Chronique|

Une question de perspective

Actuellement au Québec, c’est 328 permis de brassage qui sont actifs à travers toute la province. Parmi l’ensemble des brasseries qui produisent de la bière, 80% produisent moins de 200 000 litres de bière par année.

CHRONIQUE / L’actualité de ces dernières semaines nous laisse croire que l’ensemble de l’industrie de la bière subit des pertes et vit une crise majeure. Est-ce vraiment la fin de l’apogée des microbrasseries au Québec ? Bien sûr que non. Je vous présente ici quelques points à considérer.


Actuellement au Québec, c’est 328 permis de brassage qui sont actifs à travers toute la province. Parmi l’ensemble des brasseries qui produisent de la bière, 80% produisent moins de 200 000 litres de bière par année. Autant dire qu’elles fournissent principalement leur salon de dégustation, les canettes pour vente sur place et quelques fûts vendus à des clients-bars/restaurants. Selon l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ), environ 50 permis en attente auprès de la Régie des alcools, des courses et des jeux (RAJC) vont rejoindre ces 328 permis.

Il n’existe pas de chiffres officiels sur la vente de bière au Québec et la part de marché des microbrasseries au Québec. Seuls sont publiés les chiffres compilés de production et de vente en regroupant les déclarations d’accise et de taxes spécifiques de l’ensemble de l’industrie. Il est donc très difficile de suivre l’évolution des ventes des microbrasseries dans un contexte global. Cependant, plusieurs acteurs du milieu ont des chiffres à l’interne qui permettent de mieux comprendre la juste relativité entre perception et conclusion.



Par exemple, les grandes chaînes d’alimentation, qui représentent plus de 75% du volume de ventes des microbrasseries au Québec, sont confrontées à une offre qui dépasse largement la demande. Beaucoup de microbrasseries désirent placer leurs produits sur les tablettes, mais peu génèrent assez de ventes pour y tenir une place importante.

Environ 10% des permis de brasseurs industriels — autorisés à distribuer leurs bières dans le réseau des épiceries et détaillants spécialisés — génèrent 50% du chiffre d’affaires des bières de microbrasseries. Le 90% restant se partage donc une part de tarte relativement mince. C’est normal si on retient que 80% d’entre elles produisent moins de 200 000 litres de bière par année.

Se démarquer

Les brasseries n’hésitent donc pas à proposer des brassins en édition limitée et à renouveler sans cesse leur catalogue pour attirer l’œil du détaillant, perdu devant l’immensité de l’offre, comparée à la demande. En un an, un détaillant a accès à un catalogue « compilé » de plus de 4200 produits uniques disponibles à la vente. S’il propose 400 variétés de bière, il peut changer son offre toutes les quatre semaines environ. C’est aberrant.

Depuis un an, plusieurs initiatives sont créées dans le but de diminuer l’inventaire et de rationaliser l’offre des bières. Ces actions sont le fruit de la réflexion des détaillants, créant un stress sur l’industrie, car ce n’est plus vrai que les tablettes sont ouvertes à toutes les brasseries.



Il est donc intéressant de voir des initiatives propres à chacune des microbrasseries pour diminuer les coûts de production, réduire les inventaires ou optimiser le circuit de distribution en s’orientant vers une distribution locale. Les ventes des microbrasseries dans leurs régions sont plus importantes, car le sentiment d’appartenance l’est tout autant.

Consommation en baisse

Il est aussi important de tenir compte de la diminution de consommation de bière au Québec. De 2010 à 2020, les consommateurs québécois sont passés de 92,2 litres par personne à 74,5 litres. Cependant, si on regarde les ventes totales en dollars, on constate que le prix au litre a augmenté. Les consommateurs se sont donc dirigés vers des bières qui coûtent plus cher, importées ou microbrassées.

Dans le cadre d’une conférence au congrès de l’AMBQ en novembre 2022, j’avais défendu l’idée qu’on allait vivre une guerre de prix dans l’industrie de la bière, car le consommateur ne consomme pas forcément une marque de microbrasserie, mais un courant microbrassicole. Si je me fie aux observations du marché, les brasseries qui proposent des bières à bon rapport qualité/prix sont en nette progression, alors que les bières de spécialités qui ne profitent pas de publicité ou font partie du très petit cercle des bières tendance stagnent. Le contexte inflationniste y est pour beaucoup, car les consommateurs diminuent leur facture moyenne, mais pas forcément leur nombre de consommations.

Je crois donc à un changement de paradigme dans la vente de bière au Québec. D’abord, par l’offre chez les détaillants et ensuite par la décroissance de plusieurs projets brassicoles pour diminuer les intermédiaires entre le producteur et le consommateur et s’assurer que la majeure partie du chiffre d’affaires soit indépendant des aléas de la distribution et de la représentation. C’est le plan d’affaire des brasseries artisanales aussi appelées broue-pubs. Nous vivons présentement ce changement.