Le Sinsemilla figure depuis plusieurs années sur ma liste de restos à visiter pour une critique. Au départ, l’objectif des proprios était de cuisiner avec le cannabis qui venait d’être légalisé. Intrigant. Mais la loi le défend. Après que la pandémie a mis la vie en suspens, l’équipe est revenue avec une formule amusante qui dissimule (un peu trop) l’incroyable qualité des assiettes.
Les analogies avec le psychotrope sont encore nombreuses. Chaque plat porte un nom de sorte de pot (Pink Dream, Nachos Bud, Hindu Kush) et réinterprète un mets qu’on a le goût de manger quand on a les munchies — une intense envie de nourriture après avoir fumé un joint. Un exemple : le poulet général Tao renaît sous forme de boulettes de pieuvre (takoyakis) dans une sauce ananas et gingembre. Ça a l’air simple dit comme ça, mais il faut savoir que les plats du chef-copropriétaire Jason Aubut, surnommé Cheddar Bob, sont de calibre bistronomique flirtant parfois avec le gastronomique. On ne s’en étonne pas quand on découvre dans quels restos il a travaillé : Patente et machin, SSS, Moine Échanson, Tanière…
L’habit ne fait pas le moine
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Le raffinement de sa cuisine a été pour moi une immense surprise. Oui, j’ai été trompée par les apparences : la déco à la va-comme-je-te-pousse, qui combine un énorme portrait de Bob Marley en train de tirer une poffe (digne d’une chambre de cégépien), des photos des légendaires Cheech et Chong ainsi que des plantes en plastique, ne laisse pas du tout présager un repas de la trempe du Bistro B ou du Albacore. Je me doute bien qu’il est voulu, ce contraste — dans le genre Patente et machin, justement. Et il produit son effet : l’ébahissement n’en est que plus savoureux lorsqu’on goûte au premier plat.
Le nôtre a été une réinterprétation du fish & chips, présenté de façon enthousiaste et détaillée par Juju (Julien Lamontagne de son vrai nom), le très aimable serveur et sommelier. Un petit bijou bien conçu en plus d’être réalisé sans fausse note : truite à tête argentée de Nouvelle-Écosse mi-cuite en gravlax puis passée à la torche, boulangère de céleri-rave (une sorte d’étagé très fondant cuit dans un bouillon d’algues), betteraves marinées émincées, sauce tartare au céleri-rave, crumble de panko et peau de poisson croustillante qui craque parfaitement. «Wow, je ne m’attendais pas à ça», s’est exclamée mon amie Catherine, qui m’accompagnait. Je n’étais pas la seule à être soufflée.
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Nos trois autres plats à partager ont été du même niveau, à la fois réjouissants par leurs références aux mets d’origine et impressionnants par leur harmonie de saveurs et de textures, et leur complexité sous leurs apparences simples. De gros morceaux de polenta frite (moelleuse, la polenta!) se prenaient pour des nachos, accompagnés de purée de haricots noirs, de dés de tomate et d’un peu de guacamole. Les points forts de cette assiette : une sauce au cheddar crémeuse et bien salée qu’on aurait voulu manger à la cuillère, et un crumble de cheddar vieilli aux olives pour un extra umami. Nous avons aussi fait un détour en Inde (en passant par le Moyen-Orient et l’Argentine!) avec un chou-fleur tandoori relevé de dukkah et de chimichurri, dont le piquant était tempéré par un beurre de noix, des oignons marinés et des feuilles de chou de Bruxelles grillées. Un plat très torréfié qui se mariait merveilleusement au pinot blanc slovaque Impression (Domaine Pivnica Brhlovce), un vin nature à la fois agrumé, poivré et minéral.
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Catherine et moi avons aussi adoré l’hybride de chaudrée de palourdes et de coquille Saint-Jacques, où deux pétoncles, quelques moules et des poireaux confits et grillés baignaient dans une hallucinante sauce crémée à base de fumet de poisson et de hareng fumé (qui évoquait le bacon), en compagnie de grains de maïs, de céleri et de deux rosaces de pommes de terre duchesse. Un gros gros gros wow, encore.
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Je manque d’espace pour vous parler des cocktails, entre autres le Pineapple Express (amaretto, bourbon, jus d’ananas et de citron, blanc d’œuf moussé), mais je ne peux conclure sans détailler le dessert du genre «s’more sur feu de camp», soit une énorme guimauve grillée à la torche coiffée d’un sablé breton (un brin mou) et d’une ganache au chocolat. Juju a fait flamber un fond de Cointreau pour le verser ensuite sur ce splendide assemblage, autour duquel la flamme bleue a dansé quelques précieuses secondes. (Je sais, ils n’ont pas inventé ça, Les Sales Gosses notamment faisaient un dessert similaire il y a des années, mais ça m’importe peu : c’était bon et ça réveillait notre cœur d’enfant.)
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Tout au long de ce repas rythmé par du hip-hop, j’ai beaucoup pensé au défunt Ix pour Bistro, à Limoilou. Même genre de cuisine, même dynamique à deux entre le chef et le serveur (la fin de semaine, ils sont quatre), même plaisir créatif palpable dans les assiettes, même lieu discret sans déco à un million de dollars. Je souhaite au Sinsemilla le même immense succès. Il le mérite.
AU MENU
Sinsemilla
665, rue Saint-Jean
418 522-1640
Ouvert tous les soirs
Vins de 46 $ à 135 $
Plats à partager de 22 $ à 30 $. Coût de l’addition pour un repas pour deux personnes avant taxes, alcool et pourboire (quatre plats à partager et un dessert) : 115 $
Bravo : pour la cuisine joueuse, bien pensée et impeccablement exécutée; l’équilibre entre plats végés, de viande et de poisson; le service décontracté, mais très avisé; la carte des vins propice à de belles découvertes.
Bof : on sent beaucoup la bouffe en sortant de là.