J’ignore de quel(s) secteur(s) exactement parle M. Verret, si bien que je ne peux pas me prononcer spécifiquement sur ce qu’il a vu. Mais disons quand même que, de manière générale, oui, tout indique qu’il y a plus de vers blancs qu’avant dans la région de Québec. Et oui, il y a une cause derrière tout ça…
« Il y a cinq espèces d’insectes qui font des vers blancs qui peuvent s’attaquer au gazon, dit Guillaume Grégoire, professeur de phytologie à l’Université Laval et spécialiste des pelouses. Une de ces espèces est abondante et elle a toujours été là. C’est le hanneton commun.
« Ça fait des gros vers blancs, c’est presque aussi gros qu’une crevette. Mais ce hanneton-là a un cycle de vie qui est long, ça s’étire sur trois ans. Et d’habitude, les dommages qu’il cause aux pelouses sont assez localisés. »
Entendons-nous, ici : il s’agit clairement d’un insecte dit « nuisible », notamment en agriculture — en particulier dans les champs de maïs et de pommes de terre, d’après le site des « Projets d’agriculture écologiques » de l’Université McGill, mais ses larves peuvent également s’en prendre aux racines de « graminées » comme le gazon et le faire jaunir par plaques. Essentiellement, les larves du hanneton commun vivent dans le sol et se réfugient jusqu’à 1 mètre de profondeur en hiver pour se protéger du froid. Elles remontent ensuite dans les 15 premiers centimètres lors de la belle saison afin de se nourrir de racines — ce qui, bien sûr, peut finir par tuer les plantes.
Sauf que son cycle de vie s’étend sur trois ans, et c’est lors de leur deuxième année que les dommages sont concentrés. Après leur éclosion en juin, les larves de premier stade se nourrissent surtout de végétation en décomposition, de champignons et de radicelles (le fin bout des racines). Elles atteignent leur second stade en août et s’enfoncent alors plus profondément dans le sol. C’est lorsqu’elles émergent de leur premier hiver et qu’elles en sont à leur troisième stade larvaire qu’elles sont les plus voraces et, bien sûr, dévastatrices. Le printemps qui suit leur deuxième hiver marque leur passage au stade adulte, ce qui les empêche d’être très actives — et une fois adulte, le hanneton commun se nourrit surtout de feuilles, mais pas en quantités suffisantes pour causer des dégâts notables.
Pas le bienvenu
Le fait qu’il ne soit véritablement nuisible qu’une année sur trois réduit donc passablement les inconvénients que le hanneton commun est capable de causer. Sauf que, dit M. Grégoire, il y a une autre espèce de hanneton qui est arrivée dans la région de Québec assez récemment : le hanneton européen (Amphimallon majalis).
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une espèce exotique et envahissante. C’est dans l’État de New York, dans les années 1940, qu’il a été observé pour la première fois à l’état larvaire dans le sol, ce qui indiquait une reproduction active et qu’il était donc là pour rester, lit-on sur le site de l’Université Michigan State. Il s’est par la suite répandu petit à petit, arrivant en Ontario en 1959 avant d’être observé pour la première fois au Québec en 1986, à Rougemont.
Et il est maintenant rendu dans la région de Québec. « Ça fait cinq ou six ans que j’en vois ici », témoigne M. Grégoire.
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Tant que sa population à un endroit donné n’est pas trop grande, le hanneton européen ne cause pas de problème. Mais si elle dépasse un certain seuil, à partir de 50 à 100 larves par mètre carré, précise notre chercheur, alors bonjour les dégâts…
Car si ses larves s’enfouissent elles aussi dans le sol pour se nourrir de racines, le « cousin » européen n’a pas un cycle de vie de trois ans comme le hanneton commun, mais de seulement un an. Les dommages qu’il occasionne n’étant pas « dilués » sur trois années, ils peuvent donc être nettement plus rapides et visibles.
Malheureusement, dit M. Grégoire, « une fois qu’on voit les dommages, il n’y a plus grand-chose qu’on peut faire. Même avec des pesticides de synthèse, il n’y a à peu près rien qui est vraiment efficace. Alors si un exterminateur vous dit : « oui oui, on va vous en débarrasser », il y a de fortes chances pour qu’il ne puisse pas tenir ses promesses ».
Il existe, certes, quelques méthodes de contrôle biologique comme des nématodes (des vers microscopiques qui parasitent le hanneton) et des champignons pathogènes, « mais leur efficacité est dépendante de plusieurs facteurs [température, humidité, etc.] et donc très variable — souvent très peu efficace, en fait », ajoute-t-il.
« Donc il faut travailler en prévention, poursuit M. Grégoire. De la fin-juin à la mi-juillet, on peut éteindre les lumières de la maison parce que ça attire les adultes [qui pondront alors leurs œufs sur le terrain]. On peut aussi garder le gazon assez long pour avoir plus de sortes d’insectes [parmi lesquels il y a des prédateurs de larves et/ou des œufs, ce qui va garder la population de hanneton sous contrôle]. »
M. Grégoire précise aussi qu’il entend souvent que de mélanger du trèfle ou d’autres espèces de plantes dans le gazon aiderait, mais qu’il en doute fortement parce que le hanneton (commun ou européen) n’est pas un insecte très spécialisé.
Il est possible qu’il ait une préférence pour les racines de graminées, mais il peut également s’accommoder de bien d’autres sortes de plantes, et « les larves ne se laisseront pas mourir de faim : si elles n’ont pas de gazon à manger, elles vont prendre ce qui est disponible », dit-il.
Ajoutons pour finir qu’une autre espèce envahissante présente dans la région de Québec fait elle aussi des vers blancs qui peuvent endommager la pelouse. Il s’agit du scarabée japonais, mais il fait généralement moins de dégâts.
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