Oui, la longueur compte

SCIENCE AU QUOTIDIEN / « Je sais que la noix de coco contient une grande quantité de gras saturés, et qu’on dit qu’il vaut mieux les éviter parce qu’ils sont mauvais pour la santé. Certaines personnes m’ont rassuré en prétendant que ces gras sont peu nocifs, étant donné qu’ils ne sont pas d’origine animale, mais d’autres m’ont au contraire alerté, affirmant que, même d’origine végétale, ils doivent être consommés avec une grande modération. Que dit la science à ce sujet ? » demande Martin Parent, de Québec.


Il est en effet bien établi qu’en général les gras saturés sont un facteur de risque important pour les maladies cardiovasculaires. Bien des études ont observé que le fait de remplacer le beurre (composé à environ 50 % de gras saturés, en poids) par des huiles végétales (généralement autour de 10-15 % de gras saturés pour l’huile d’olive, par exemple) fait baisser les taux sanguins de cholestérols et de LDL, souvent appelé « mauvais cholestérol », ce qui peut finir par boucher les artères et/ou les rigidifier.

Et il est également indéniable que la noix de coco contient beaucoup de gras saturés. Selon une revue de littérature scientifique parue en 2016 dans Nutrition Reviews, chaque tranche de 100 grammes de chair de la noix de coco contient 36 g de matière grasse, dont pas moins 33 g (!) de gras saturés. Dans le cas de l’huile de noix de coco, c’est presque tout le produit (92 %) qui est composé de gras saturés.

Pas étonnant, donc, que beaucoup d’organisations sanitaires comme l’Association américaine du cœur rangent la noix de coco parmi les aliments riches en gras saturés dont on doit limiter la consommation.

Cela dit, cependant, cette habitude de mettre tous les gras saturés dans un seul et même panier commence à être pas mal contestée, parce que ces lipides ne sont pas tous égaux. « Si on dénonce les gras saturés, c’est entre autres à cause de ce qu’on appelle le palmitate, un gras saturé qu’on trouve beaucoup chez les animaux, dit Catherine Mounier, chercheuse et spécialiste des lipides à l’Université de Montréal.

« Pour la santé métabolique, c’est le pire : ça entraîne de l’inflammation, de l’obésité, du diabète. Les végétaux peuvent en contenir eux aussi, mais beaucoup moins. »

A priori, indique-t-elle, le corps ne fait pas la différence entre le palmitate d’origine animale ou végétale. Il n’y a pas eu d’études qui ont comparé les deux, du moins Mme Mounier n’en a pas trouvé dans l’immense bibliothèque médicale virtuelle PubMed, mais c’est sans doute pour une simple question de quantité, puisque les végétaux n’en contiennent en général vraiment pas beaucoup — et s’il faut boire, par exemple, 10 litres d’huile d’olive pour ingérer l’équivalent du palmitate contenu dans un steak, alors la question n’a pas un grand intérêt pratique.

Chaînes longues

Ce qu’on appelle « gras saturés » désigne en fait une grande « famille » de lipides qui ne sont pas tous équivalents, du point de vue de la santé. Et c’est surtout un sous-groupe des gras saturés, ceux que l’on dit « à chaîne longue », qui sont particulièrement néfastes.

C’est que les graisses sont des molécules qui, grosso modo, sont toutes faites sur le même patron général : il s’agit de chaînes d’atomes de carbone auxquels s’accrochent des atomes d’hydrogène. De part et d’autre de chaque carbone, il y a de la place pour deux hydrogènes.

Les gras saturés sont ceux où toutes les places disponibles sont remplies par des hydrogènes; quand il y reste des places libres, on parle alors de gras insaturés.

Lorsque la « chaîne » compte de 16 à 18 atomes de carbone, alors on parle de « chaîne longue », explique Mme Mounier. Nos cellules ne sont pas capables de s’en servir tels quels comme source d’énergie, si bien qu’elles les transforment en graisses de stockage — d’où le lien entre ce type de gras et l’obésité. De plus, ces chaînes longues ne sont pas solubles dans l’eau : il faut d’autres molécules appelées transporteurs pour les faire circuler dans le sang.

Le fameux HDL, le « bon cholestérol », est justement un de ces transporteurs (et le LDL favorise plutôt, au contraire, leur dépôt dans les vaisseaux sanguins).

Or la noix de coco contient assez peu de ces chaînes longues : autour de 10 % des graisses de cette noix en sont (ce qui représente 3-4 % de la chair elle-même), contre près de 40 % dans le beurre, selon l’article de Nutrition Reviews. « L’huile de noix de coco contient surtout des acides gras saturés à chaîne moyenne qui n’ont pas des caractéristiques nocives des acides gras saturés à longue chaîne », indique Dr André Carpentier, clinicien-chercheur et spécialiste du diabète à l’Université de Sherbrooke.

Ces chaînes plus courtes, ajoute Mme Mounier, sont solubles dans l’eau, n’ont pas besoin de transporteurs et ne risquent donc pas, ou beaucoup moins, de se déposer dans les artères. En outre, « elles sont utilisées directement par nos cellules, qui en tirent de l’énergie, et elles ne sont donc pas stockées » — donc ils ne favorisent pas l’obésité.

Grosso modo, les études qui ont regardé l’effet de l’huile de noix de coco sur les graisses en circulation dans le sang ont trouvé que c’est en moyenne moins bénéfique que les autres huiles végétales, mais quand même moins pire que le beurre, résumait l’article de Nutrition Review. Une autre revue parue cette année dans Current Artherosclerosis Reports est parvenue à des conclusions similaires — encore que les avantages par rapport aux graisses animales ne sont pas très évidents dans toutes les revues, notons-le.

Pas que du mauvais

Cela dit, il ne faut pas non plus diaboliser le palmitate et les autres acides gras à longue chaîne, avertit Mme Mounier. En fait, le corps humain a littéralement besoin de ces graisses pour toutes sortes de fonctions — entre autres choses, elles entrent dans la composition de la paroi de nos cellules et le corps s’en sert comme d’un « précurseur » chimique pour fabriquer certaines hormones. Comme en bien d’autres domaines, ce sont les abus qui sont nocifs, et la diète nord-américaine classique y incite malheureusement.

« La chimie des lipides, c’est complexe, dit Mme Mounier. Il n’existe pas de réponse unique et valable pour tout, on ne peut pas dire : ne mangez plus de ceci, ne mangez que de cela. Tout est une question d’équilibre, de quels lipides vous mangez, en quelles quantités et avec quoi. Et comment vous dépensez tout ça. »

Gras trans

Enfin, au-delà des gras saturés, l’huile de noix de coco est aussi connue pour être potentiellement riche en gras trans — une autre sorte de graisse qui, elle, est très clairement nocive pour la santé. À cet égard, conseille, Dr Carpentier, « il faut faire attention à la qualité de l’huile de noix de coco qu’on achète parce qu’une huile pressée de grande qualité et une huile modifiée et partiellement hydrogénée, c’est complètement différent du point de vue des gras trans.

« […] L’huile de noix de coco elle-même contient peu de gras trans, mais quand on la chauffe ou qu’on lui fait subir de transformation, là il y a une partie des acides gras qui vont se transformer en gras trans. »

Et s’il faut le préciser : dans tous les cas, la consommation de la chair de la noix de coco — qu’on n’a pas transformé, dont on n’a pas condensé l’huile, etc. — est sans danger.

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