L’imagerie par résonance magnétique (IRM) se sert grosso modo d’un champ magnétique et d’ondes radio pour exciter les atomes d’hydrogène dans un endroit précis de l’organisme. Ceux-ci émettent alors des signaux qui permettent de mesurer leur densité, qui n’est pas la même dans tous nos tissus mous — et c’est comme ça que l’IRM « voit » à travers le corps, notamment à l’intérieur de la boîte crânienne.
Maintenant, pendant très, très longtemps, le cerveau vivant est demeuré une sorte de boîte noire dont le contenu était inaccessible à la science. On pouvait uniquement étudier le cerveau de gens décédés, ce qui a tout de même permis de belles avancées, comme d’identifier la fonction de différentes parties du cerveau. Mais il n’y avait tout simplement pas de moyen d’observer directement un cerveau vivant — du moins, pas sans risquer de tuer son propriétaire.
C’est pour cette raison que la psychiatrie a été, pendant presque toute son histoire, littéralement condamnée à classer les maladies mentales sur la base des symptômes, sans égard à leurs racines physiologiques. Ce qui n’est évidemment pas idéal du tout : c’est un peu comme si la médecine devait appeler une maladie «toux» sans savoir si ladite toux est causée par un virus, une bactérie, des poussières, une tumeur, etc. (J’exagère un peu ici, quand même, parce que les psychiatres sont très loin de poser des diagnostics aussi farfelus, mais l’idée est là.)
Or les techniques d’imagerie médicale comme l’IRM (et d’autres méthodes) ont justement permis d’ouvrir cette « boîte noire ». Plus besoin d’attendre le décès de quelqu’un pour mesurer les différentes parties de son cerveau et voir si ce ne serait pas là la source d’un trouble mental.
Cela a évidemment fait naître le grand espoir de sortir la psychiatrie de l’«ère des symptômes» et de la faire entrer dans celle où les diagnostics sont basés sur des biomarqueurs objectifs. Et de nombreux résultats prometteurs ont été publiés.
Ainsi, une revue de littérature parue en 2021 dans le Journal of Neuroimaging a conclu que chaque trouble de la personnalité est associé à des patterns particuliers d’activation de certaines zones du cerveau. De même, on a trouvé des particularités au cerveau des personnes psychotiques (sujettes à des hallucinations et des pertes de contact avec la réalité) qui sont détectables par IRM : deux zones au cœur du cerveau, l’amygdale (impliquée dans la réception émotionnelle des stimuli) et l’hippocampe (important pour la mémoire et pour se repérer dans l’espace), ont des volumes réduits chez elles.
Et on pourrait allonger longtemps cette liste de particularités du cerveau associés à des troubles mentaux. Mais le pattern est presque toujours le même : bien que l’IRM soit en usage depuis les années 1990, ses promesses ne se sont pas encore vraiment matérialisées en clinique, pour différentes raisons.
Peu utile en clinique
Une des principales, explique Dr Marc-André Roy, clinicien-chercheur en psychiatrie au centre de recherche CERVO, à Québec, «les différences qui sont mesurées sont assez subtiles [et comme il y a naturellement des variations d’une personne à l’autre], on n’est pas capable de les observer sur une base individuelle. Il faut plusieurs sujets pour les voir».
En d’autres termes, les IRM ont identifié des écarts entre des moyennes de groupes. Mais si, par exemple, une certaine partie du cerveau est plus petite de 0,2 cm en moyenne chez les patients atteints, par exemple, du trouble de la personnalité limite, mais que ladite partie du cerveau a une taille qui varie naturellement entre 3 et 5 cm, alors la différence entre les moyennes est clairement trop faible pour aider au diagnostic.
Il y a aussi le fait que les résultats obtenus ne sont pas toujours entièrement cohérents ou comparables entre eux, ajoute Dr Roy : «C’est vrai qu’il y a pas mal de résultats qui sortent, mais un problème, c’est toujours la reproduction indépendante. Quelqu’un peut conclure quelque chose, mais il y a plein d’aspects techniques dont il faut tenir compte, comme le fait que les images ne sont pas toujours acquises sur les mêmes machines, ni avec les mêmes séquences de programmation. Il y a beaucoup de paramètres en IRM, ça peut rendre [l’interprétation des études] assez compliquée.»
En outre, ce n’est pas parce qu’un IRM détecte une anomalie associée à un trouble que la maladie va forcément se développer — cela peut indiquer une simple vulnérabilité qui ne mènera à la maladie mentale que si l’individu se trouve dans un environnement qui l’y pousse.
Le cas célèbre du neurochercheur américain Jim Fallon l’illustre d’ailleurs très bien. Lui-même spécialiste des psychopathes, il apprit un jour qu’il y avait plusieurs meurtriers dans une branche de son arbre généalogique. Un peu à la blague, il a fini par faire passer des IRM et des tests génétiques à des membres de sa famille, et il a effectivement trouvé quelqu’un qui avait le cerveau et les gènes typiques d’un psychopathe : lui-même. Mais contrairement à beaucoup de meurtriers, qui ont subi toutes sortes de violence tôt dans leur vie, M. Fallon avait eu une enfance heureuse, dans une famille aimante et structurée, si bien que sa propension pour la psychopathie n’est restée que ça : une propension.
Tout cela montre aussi à quel point les troubles de santé mentale peuvent être extraordinairement complexe, ce qui complique pas mal l’identification de biomarqueurs.
«Moi-même, je croyais qu’en étudiant les gènes, on allait comprendre la physiopathologie [ndlr : les base biologiques] des troubles mentaux, se remémore Dr Roy. À l’époque, on pensait que la plupart des maladies mentales tenaient à seulement un ou quelques gènes, mais on s’est rendu compte qu’en fait, il y a presque toujours des multitudes de gènes impliqués. (…) Ça ne veut pas dire qu’on n’arrivera jamais à trouver des biomarqueurs objectifs pour diagnostiquer les problèmes psychiatriques, je crois que c’est possible, mais c’est juste normal que ça prenne du temps.»
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