Plus de nuages à cause... des feux de forêts ?

SCIENCE AU QUOTIDIEN / « Est-ce que les particules fines générées par les immenses feux de forêt peuvent favoriser la formation de nuage et ainsi provoquer des pluies plus abondantes ? », demande Jean-Pierre Guillot, de Québec.


Autant vous avertir tout de suite : ça va paraître un peu bizarre. Car oui, les panaches de fumée qui se dégagent des feux de forêts contiennent (beaucoup) de fines particules qui peuvent accélérer la formation des nuages. Mais non, cela ne veut pas forcément dire que cela causera des pluies plus abondantes. Suivez le guide.

« Ce qu’on trouve là-dessus dans la littérature scientifique, c’est que la cendre va fournir des « noyaux de glaciation », donc des particules qui flottent en altitude et qui vont permettre à la vapeur d’eau de se déposer en glace dessus, ou à une gouttelette d’eau liquide de geler », indique Julie Thériault, chercheuse au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM qui mène justement des travaux sur les précipitations.



En altitude, les températures sont nettement plus froides qu’au sol, si bien que les nuages que l’on voit dans le ciel sont souvent composés de cristaux de glace. Même ceux qui finissent par tomber en pluie peuvent « naître » à partir de petits cristaux glacés.

Or même si on sait tous qu’en principe, l’eau gèle à partir de 0°C, en pratique ce n’est pas toujours vrai. Pour que des cristaux de glace commencent à se former, il leur faut habituellement un « démarreur », pour ainsi dire, ou un « noyau de glaciation », comme les appelle Mme Thériault. C’est habituellement des impuretés ayant une structure cristalline ressemblant à celle de la glace qui vont jouer ce rôle.

Une fois que la formation de la glace est entamée, elle se poursuit facilement toute seule. Mais sans « noyau » pour la débuter, l’eau peut avoir étonnamment de mal à geler : « L’eau liquide pure ne va geler qu’à - 40 °C, mais s’il y a des noyaux de glaciation, la glace va se former plus facilement », illustre Mme Thériault.

On peut d’ailleurs expérimenter ce phénomène, nommé surfusion, sur le plancher des vaches. Si vous mettez une eau bien propre dans un contenant de plastique dont l’intérieur est très lisse, et que vous placez le tout au congélateur, il n’est pas entièrement certain que l’eau va geler. C’est évidemment ce qui va se produire la plupart du temps mais, si le contenant est vraiment sans aspérités, il y a des chances pour qu’elle reste à l’état liquide même si sa température est nettement sous zéro. Ce n’est que si elle est «dérangée», parce que quelqu’un aura pris le contenant ou aura tapé dessus, que l’eau va finir par geler — et alors, elle le fera d’un seul coup. Pour l’avoir déjà vu de mes yeux, je peux dire que c’est assez spectaculaire !



Bref, la fumée fournit des noyaux de glaciation qui aide les nuages à «attraper» plus d’humidité. Quelques études récentes l’ont d’ailleurs démontré en laboratoire, en testant l’effet de la fumée de feu de bois (parfois en la faisant « vieillir », pour imiter les transformations chimiques qui lui arrivent dans l’atmosphère) sur la condensation et la formation de glace.

Pas plus de pluie

« Donc ça [la fumée de feux de forêt] va augmenter la concentration des cristaux de glace dans l’atmosphère, dit Mme Thériault. Mais bon, après, est-ce que ça va tomber en pluie ? Ça dépend de plusieurs facteurs. Il faut par exemple qu’il y ait suffisamment d’humidité dans l’air pour que le nuage croisse. »

À ce sujet, d’ailleurs, une équipe américaine a réalisé une expérience des plus intéressantes qui a été publiée en 2021 dans les Geophysical Research Letter.Essentiellement, ils ont fait plusieurs vols d’avion dans l’Ouest des États-Unis en prenant soin de passer à travers des nuages, à un moment de l’année où il y avait beaucoup de feux de forêt. Ils avaient à bord des instruments pour analyser la composition des nuages, mais aussi pour mesurer les traces de fumée.

Résultat : dans les secteurs où il n’y avait pas de fumée, les nuages «normaux» contenaient autour de 240 micro-gouttelettes d’eau par cm³, alors que ce nombre allait jusqu’à 1100/cm3 dans les nuages influencés par la fumée. Mais il n’y avait pas forcément plus d’eau dans ces nuages-là, puisque les gouttelettes étaient nettement plus petites dans les nuages influencés par la fumée (4-5 microns (µ) de rayon) que dans les autres (8 µ). Notons ici que si ces gouttelettes avaient un rayon deux fois plus court, cela signifie que leur volume était 2³ = 8 fois plus faible.

Environ les trois quarts (76%) des gouttelettes dans les nuages influencés par la fumée avaient un diamètre de 5 à 7 µ, et « à cette taille, on s’attend à ce que la coalescence [la fusion de gouttelettes, qui les fait grossir et éventuellement, quand elles sont assez lourdes, tomber en pluie, ndlr] et la précipitation en phase liquide soient minimes », lit-on dans l’étude.

Cela correspond aussi à des expériences d’ensemencement de nuage qui ont été réalisées dans le passé, où l’on s’est rendu compte qu’en multipliant les gouttelettes de faible taille, on nuisait (étonnamment) aux précipitations plutôt que de les forcer à se produire, relate Mme Thériault.



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