Les terres agricoles «étouffent»

Une forte majorité des terres où l’on cultive le maïs et les céréales ont été tellement compactées par la machinerie que leurs rendements en souffrent.

Une forte majorité des terres où l’on cultive le maïs et les céréales ont été tellement compactées par la machinerie que leurs rendements en souffrent, au point où l’avenir à long terme de plusieurs entreprises agricoles serait menacé si rien n’est fait, avertit une étude préliminaire présentée jeudi au congrès de l’ACFAS.


En principe, il faut que les premiers 30 cm de sol contiennent au moins 10 % d’air et que les gaz puissent y circuler et s’y renouveler minimalement bien, explique Jean Caron, chercheur en physique des sols à l’Université Laval et co-auteur de l’étude. Mais ce n’est pas du tout ce que lui et son équipe ont trouvé en analysant les sols d’une vingtaines de fermes cultivant du maïs et des céréales en Montérégie : «Dans notre étude, il y a environ 90 % des sols qui ont d’importants problèmes de respiration», dit-il.

Si l’air ne pénètre pas bien dans le sol, alors les microbes qui y vivent sont privés d’oxygène et doivent se tourner vers un autre élément à «brûler», ce qu’ils font en consommant de l’azote. Et comme cet azote, sous forme de nitrates, est une partie cruciale des engrais, il en reste moins pour la croissance des plantes.

«Maintenant, est-ce que ça influence les rendements d’une ferme ? En fait, dans notre étude, le seul facteur de productivité qui est vraiment ressorti, c’est celui-là», a résumé M. Caron.

Fait intéressant, ces travaux ont testé différentes «doses» d’azote appliquées dans les champs de maïs-grain, à partir de 50 kilos par hectare (kg/ha), ce qui est très faible, jusqu’à des épandages massifs de 250 kg/ha. Mais les chercheurs n’ont constaté aucun lien entre les quantités d’azote utilisées et les rendements obtenus. En fait, une bonne partie des sites qui n’ont reçu que 50 kg/ha ont produit entre 12 et 14 tonnes de maïs par hectare alors que la moyenne globale (incluant les endroits qui ont eu plus d’engrais) était d’à peine plus de 10 tonnes/ha.

En outre, les sols trop denses entraînent une série d’autres conséquences qui, si elles ne pèsent pas directement ou rapidement sur le bilan d’une ferme, n’en sont pas moins néfastes.

Par exemple, comme l’eau percole moins facilement dans les sols denses, elle va ruisseler davantage en surface et éroder la terre — ce qui est déjà inquiétant puisque l’on s’attend à ce que les pluies intenses deviennent plus fréquentes avec les changements climatiques. Les nappes phréatiques seront également moins rechargées.

Notons que ces résultats sont encore préliminaires, et doivent donc être considérés avec une certaine prudence. Ils sont néanmoins cohérents avec ceux d’une autre étude récente sur les sols du sud du Québec menée par l’Institut de recherche et développement en agroenvironnement, souligne M. Caron.

Pas de solution facile

Les causes de la compaction des terres qui cultivent surtout du maïs et des céréales sont bien connues. Le poids toujours plus grand des tracteurs et équipements employés dans ces cultures est le premier visé, mais la faible rotation des cultures (certaines plantes font des racines plus profondes, ce qui aide à relâcher le sol) et le manque d’apport en matière organique jouent également.

Il existe aussi des solutions connues pour «décompacter» les sols, mais elles ne sont pas forcément faciles à mettre en œuvre. Les équipements utilisés pour le maïs et les céréales ne se prêtent pas forcément bien aux autres cultures, si bien qu’un fermier qui voudrait se mettre à la rotation de ses cultures devraient acheter de nouveaux équipements — qui ne sont pas donnés.

«Sortir des grandes cultures n’est pas une mince affaire, admet M. Caron. (…) Les échanges de terres entre des gens faisant des plans fourragères et des grandes cultures seraient une avenue intéressante. En même temps, je crois quand même qu’on devrait prendre la peine d’évaluer la pertinence d’avoir des systèmes agroforestiers [ndlr : qui intègrent des arbres et arbustes à la production agricole] pour maintenir la santé des sols et des écosystèmes et augmenter la résilience des environnements de production. Les études sur le sujet sont malheureusement insuffisantes, mais devraient être encouragées.»

En bout de ligne, les efforts pour décompacter la terre pourraient bien en valoir la peine. M. Caron et ses collègues ont en effet calculé les coûts et bénéfices des travaux à faire et, en comptant le rétablissement de la productivité des sols et les dépenses moindres en engrais, tout indique que c’est rentable à moyen et long terme.

«C’est sûr qu’au début, ça entraîne des dépenses supplémentaires, donc une perte de profits à court terme, indique-t-il. Mais sur une dizaine d’années, on atteint un équilibre. Et à long terme, c’est la survie de l’entreprise qui en dépend. (…) Si on ne le fait pas, il y a une chute de rendement. Et ça, ce n’est pas des prévisions ou des modélisations, c’est des observations sur le terrain.»