La confiance est essentielle

L'ancienne députée Catherine Dorion a discuté de son essai <em>Les têtes brûlées</em> à <em>Tout le monde en parle</em> le 12 novembre dernier.

POINT DE VUE / En tant que membre de Québec solidaire mais surtout en tant qu’ancien employé de l’aile parlementaire, je tiens à partager mon point de vue sur les mots et les maux qui sont partagés dans l’espace public depuis la parution de Les têtes brûlées, de Catherine Dorion. Parce que ce qui compte, ce n’est pas de savoir qui a raison ou tort dans tout ça.


Ce qui compte, c’est la suite des choses pour notre parti.

J’ai quitté mon emploi à l’aile parlementaire après la campagne électorale de 2022. Après un peu moins de trois ans dans ce poste, je ne sentais plus que j’avais la flamme qu’il fallait pour continuer. L’horaire, le rythme fou et les luttes souvent si lourdes pour le moral m’ont amené à choisir autre chose, pour me préserver.

Mais au-delà de ces obstacles que vivent toutes les personnes qui travaillent en politique, un autre élément a pesé dans la balance : la transformation de notre parti en une structure contrôlante beaucoup plus centralisée et moins à l’écoute du terrain. Plus encore, le manque d’espace pour exprimer des opinions divergentes de celles du cabinet du chef parlementaire - Gabriel Nadeau-Dubois.

Contrairement à d’autres, je ne prétends pas parler pour l’ensemble du personnel actuel et passé de l’aile parlementaire. Cela dit, nous étions plusieurs à déplorer (entre nous et auprès de la direction) l’étanchéité de plus en plus malsaine au bout du corridor, là où se prennent les décisions. Cette étanchéité se traduisait trop souvent par des occasions manquées de faire avancer les dossiers portés par le parti. Et je sais que c’est encore le cas aujourd’hui.

Malheureusement, la politique étant ce qu’elle est, il est extrêmement difficile de changer les méthodes de travail alors que la machine roule à plein régime et qu’on se bat pour des luttes tellement importantes. Mais ces luttes sont justement trop importantes pour qu’on évite de se questionner sur notre façon de travailler. Si on ne se donne pas de l’espace, de l’autonomie et de la créativité pour réellement faire de la politique autrement, on ne pourra pas atteindre les objectifs pour lesquels on se bat tous les jours.

Et c’est l’une des choses* que partage Catherine dans son livre : le danger que représente la tendance à centraliser, contrôler et uniformiser les façons de faire. Le problème de cette centralisation et de ce contrôle, c’est l’immobilisme qui peut en découler. C’est ce qui arrive. Depuis deux ans, plusieurs militant.es et employé.es ont préféré se ranger sur le côté ou même quitter complètement, afin de préserver leur santé mentale et leur flamme.

C’est d’ailleurs le cas de nombreuses femmes, qui m’ont dit qu’elles ne voient même plus l’utilité de militer au sein de Québec solidaire parce que leurs voix ne sont pas entendues. Elles n’ont plus l’énergie ni l’intérêt de se battre pour ce parti dans le contexte actuel.

Cela devrait être un énorme signal d’alarme pour la direction, dans un parti qui se dit féministe et progressiste, et devrait surtout commander des actions sérieuses pour y faire face, principalement de la part des hommes en position de pouvoir. Mais depuis deux ans, le réflexe face à ces signaux d’alarme est plutôt d’attaquer la crédibilité des personnes qui lèvent la main pour le dire.

Pour affronter la réalité du travail politique en équipe, ça prend de la confiance dans les deux sens. À de nombreuses reprises, ce que plusieurs employé.es appelaient (et appellent encore) la « peur d’avoir peur » a immobilisé des initiatives créatives et originales pour faire avancer les propositions politiques mises de l’avant par Québec solidaire.

La direction du parti doit faire confiance aux employé.es, aux militant.es et aux membres, et doit le démontrer dans toutes les sphères de l’action politique, pas seulement quand ça l’arrange. C’est une condition essentielle pour que notre parti grandisse.

En terminant, je trouve extrêmement dommage que Catherine soit attaquée sur ses défauts alors qu’elle nomme quelque chose de concret et d’inquiétant qui menace notre capacité à mener les luttes sociales, environnementales et économiques que nous portons.

Dire que Catherine a été malheureuse est non seulement faux (elle dénonce plutôt le cadre politique trop souvent stérile), mais aussi et surtout insuffisant.

Ça masque le fond du problème : le manque d’espace pour nommer les difficultés réelles et concrètes vécues par beaucoup de gens, et surtout des femmes, au sein du parti. Catherine a mis des mots sur les maux de plusieurs. Il est temps d’écouter le message, et non d’attaquer la messagère.

Jonathan Gagnon

Ancien employé de l’aile parlementaire de Québec solidaire

*Je vous invite à lire le livre. Il y a beaucoup plus que ce dont on entend parler dans les médias.