Les travailleuses du sexe ne sont pas de victimes ou des pauvres femmes à sauver

En réaction à la chronique, Le sexe n’est pas un travail comme les autres de la journaliste Lise Ravary parue le 23 septembre.


Bonjour Mme Ravary. Je me nomme Gabrielle et je suis intervenante responsable aux luttes féministes dans l’organisme Projet L.U.N.E. à Québec. Nous sommes un organisme de défense des droits des travailleuses du sexe, le seul à Québec d’ailleurs et nous en sommes très fières. Notre organisme est un «par et pour» et se compose donc de plus de 60% de travailleuses du sexe ou ex-travailleuses du sexe.

J’ai lu l’article que vous avez écrit le 23 septembre dans les médias des Coops de l’information à propos du travail du sexe: Le sexe n’est pas un travail comme les autres.

J’ai été véritablement choquée et bouleversée tout au long de votre article. Également, plusieurs de mes collègues travailleuses du sexe ont été blessées et offensées par vos propos. C’est pourquoi je voulais vous écrire.

Des femmes choisissent ce métier que vous le vouliez ou non, j’ai croisé le chemin de centaines de femmes pratiquant ce métier par choix et volonté et nombreux organismes communautaires en sont la preuve (Alliance canadienne de réforme des lois sur le travail du sexe).

Dans votre chronique, vous infantilisez les femmes qui choisissent de faire ce métier, ces femmes sont autonomes, intelligentes et elles ont du jugement. Vous niez leur autodétermination, leur « pouvoir d’agi r», ce qui est une forme de domination et c’est infiniment violent. Ce sont vos jugements et vos préjugés que vous partagez en public qui les mettent le plus à risque.

Vous dites avoir beaucoup lu et écrit sur le sujet, mais pour être réellement informé, je crois qu’il faut l’avoir pratiqué ou du moins avoir parlé avec des femmes qui l’ont vécue, qui ont pratiqué ce métier. Vous ne pouvez pas prétendre mieux savoir ce qu’elles veulent qu’elles-mêmes.

Les travailleuses du sexe ne sont pas des victimes, elles ne sont pas de pauvres femmes à sauver, elles sont des travailleuses.

Deux choses distinctes

De plus, il n’y a aucun lien entre l’exploitation sexuelle et le travail du sexe. Ce sont deux choses tout à fait distinctes. L’une n’amène pas l’autre. Le travail du sexe existe sans l’exploitation. L’exploitation sexuelle est une violence à cause des agresseurs et non à cause du travail du sexe. Et c’est à cette violence que les lois doivent s’attaquer et je crois que sur ce point nous sommes d’accord.

Vous dites également que les travailleuses du sexe ne sont pas criminalisées en vertu de cette loi. Malheureusement, elles le sont puisque les articles de cette loi les criminalisent (tierce personne, publicité, sollicitation), par conséquent elles se retrouvent encore plus en danger.

Finalement, vous oubliez une notion primordiale: celle du consentement sexuel. Le travail du sexe est consensuel et volontaire. Le travail du sexe n’existe pas sans consentement. On parle alors d’une agression sexuelle ou encore d’exploitation sexuelle.

Je pourrais parler de ce sujet des heures avec vous parce que ce combat est le mien, même si comme vous, je ne suis pas travailleuse du sexe, mais je suis une femme. Et je me bats pour que toutes les femmes soient en sécurité et puissent pratiquer le métier qu’elles désirent. Et cela passe par la décriminalisation du travail du sexe.

Nous ne viendrons jamais à bout des préjugés et nous n’atteindrons jamais l’égalité des sexes, si nous continuons à faire comme si des articles comme le vôtre sont normaux. Croyez un peu en l’autodétermination des femmes et en l’empowerment des travailleuses du sexe; elles connaissent l’industrie, vous non.

En toute bonne foi, vous serez toujours la bienvenue à discuter avec nous au Projet L.U.N.E.

Au plaisir,

Gabrielle, alliée

À la suite, voici un témoignage de l’une de mes collègues:


C’est dommage à dire, mais je n’ai pas été surprise par cet article, j’ai été fâchée par contre. Encore une fois, on nous infantilise et on nous victimise. C’est quand même drôle que les gens qui nous envoient le plus de violence et de mépris ne sont pas nos clients, mais plutôt les gens qui ne connaissent rien de notre métier et qui prétendent vouloir nous « sauver ».

Ça fait depuis 2018 que je suis dans le domaine, j’ai fait mes recherches avant de commencer, alors sachez que c’était un choix hyper éclairé et informé. Pour ma part, je n’ai jamais connu d’exploitation ni de violence. Je suis toujours en contrôle de ce que j’offre comme service, je choisis même mes clients! Je suis consentante avec eux, c’est un échange dans lequel j’exige le respect et la douceur. Tout se fait avec mes termes et la majorité des clients sont respectueux et veulent seulement un service pour combler leurs besoins, que ça soit affectif, intime ou sexuel. Malgré ce que vous pensez, c’est un travail. Nous avons des sites professionnels, des annonces et des dépenses comme toute autre «business». J’ai choisi mes tarifs et je mets mes limites, alors dites-moi, c’est qui au juste qui « m’exploite »?

Charlotte Savard, Escorte Indy