Ce texte est une initiative individuelle et les opinions exprimées dans cette lettre n’engagent que son auteure. Elles n’engagent pas La Presse Canadienne.
Et ce n’est pas parce que vous pouviez, jusqu’à tout récemment du moins, les consulter gratuitement en ligne, qu’elles n’ont aucune valeur.
Au-delà de la valeur monétaire, les nouvelles locales, et donc les médias locaux, agissent comme un ciment social. Ils aident les citoyens à connaître les différents enjeux, initiatives et projets qui naissent chez eux; ils encouragent certaines personnes à se présenter à des postes électifs et stimulent la participation aux élections et aux débats publics. Ils permettent à des entreprises, des athlètes et des artistes d’ici de rayonner, de se faire connaître.
Nos médias d’information sont un rouage essentiel de toute communauté; leurs nouvelles, un bien public dont il est de notre responsabilité à tous de protéger.
Évidemment, les médias étant des entreprises, elles ont besoin de fonds pour produire leurs nouvelles. Ainsi, elles dépendaient traditionnellement des revenus d’abonnement ou des publicités qu’elles vendaient à des annonceurs.
La donne a toutefois changé avec l’arrivée de Google, Facebook et compagnie, qui ont offert, pour beaucoup moins cher, de nouvelles opportunités publicitaires qui ont fait en sorte de détourner presque tous les annonceurs des médias traditionnels.
Meta, Google et compagnie profitent elles aussi de l’achalandage créé par les nouvelles québécoises et canadiennes. Elles en tirent même un profit!
Selon des estimations de Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’UQAM, Meta a réalisé un chiffre d’affaires de 1,89 milliard $ dans les six premiers mois de 2023. Selon le chercheur, la part de revenus attribuable à la contribution des médias canadiens se chiffrerait entre 57 et 138 millions de dollars.
En 2022, M. Roy estimait, grâce à de savants calculs et aux données fournies par Facebook, que le journalisme canadien avait rapporté 210 millions de dollars en 2020 et 193 millions de dollars en 2021 à Facebook. Le professeur avait aussi calculé qu’entre 1er janvier 2018 et le 30 juin 2020, Facebook avait engrangé entre 315 et 530 millions de dollars en revenus grâce aux contenus journalistiques.
La publication de nouvelles sur ces plateformes est donc payante pour les GAFAM. Pourquoi? Parce qu’en ayant un fil d’actualités plus riche en contenus de qualité, Facebook réussit à attirer un plus grand nombre d’utilisateurs sur sa plateforme. Et plus ces utilisateurs y passent de temps, plus leur attention est payante.
Pour Meta, ces sommes ne sont qu’une petite partie de tous ses revenus. Pour les médias d’information québécois et canadiens, une fraction de ces montant pourrait faire toute la différence pour leur assurer un avenir.
C’est pour cette raison qu’ils souhaitent obtenir une redevance sur l’argent qu’encaissent les géants du Web grâce aux fruits de leur travail.
Le beurre et l’argent du beurre
La loi C-18 (Loi sur les nouvelles en ligne), adoptée cette année mais pas encore entrée en vigueur, vise justement à corriger ce déséquilibre. La même situation existe depuis déjà nombre d’années avec les câblodistributeurs, qui versaient une part de leurs revenus dans le Fonds de télévision et de câblodistribution pour la production d’émissions canadiennes, puis au Fonds des médias du Canada.
Or, comme Meta veut le beurre et l’argent du beurre, elle allègue que la Loi sur les nouvelles en ligne l’oblige à mettre fin à l’accès au contenu des nouvelles afin de se conformer à la législation, ce qui est faux. Meta préfère bloquer les nouvelles à ses utilisateurs canadiens plutôt que de verser quelques millions aux entreprises de presse.
Quand on sait que plus du tiers de la population canadienne ne s’informe que par Facebook, et qu’autrement, elle ne consulte aucun contenu d’actualité pourtant d’intérêt public, c’est grave.
Simplifions la situation : une entreprise privée décide qu’est-ce que les citoyens d’une nation étrangère indépendante peuvent consulter. Vous me direz que c’est le capitalisme : je crie à la censure.
Faire sa part
Récemment, une personnalité du monde des affaires invitait les entreprises de la région à contourner le blocage de Meta en s’annonçant sur sa page Facebook plutôt que de s’annoncer dans le journal local.
En parallèle, plusieurs citoyens, voulant bien faire, ont pris sur eux de copier-coller des articles journalistiques dans leur entièreté sur leur mur Facebook afin de partager la totalité de la nouvelle, puisqu’ils ne pouvaient plus partager de lien vers le site du média qui l’avait créé.
Dans les deux cas, ces initiatives sont la pire réaction à avoir face au blocage des nouvelles par Meta.
Dans le premier cas comme dans le deuxième, ces personnes font exactement que ce Meta attend d’eux: conserver leur attention (monnayable) sur sa plateforme sans aller sur le site des médias d’information.
Quand vous n’allez pas directement sur le site du média consulter ses contenus à la source, vous privez celui-ci de précieux clics qui peuvent lui servir ensuite à monétiser le soutien d’annonceurs.
Bref, c’est la pire chose à faire.
L’heure est à la solidarité : tous les Canadiens peuvent exprimer leur désaccord avec la décision de Meta, et ce, de plusieurs façons.
La première est de réduire son temps d’utilisation de la plateforme. La seconde est de soutenir les médias locaux, en consultant leurs nouvelles directement sur leur site Internet ou en s’abonnant pour leur permettre de poursuivre leurs activités.
D’ailleurs, saviez-vous qu’en 2021, le gouvernement fédéral a mis en place un crédit d’impôt pour l’abonnement à des médias d’information canadiens reconnus?
Il serait temps que Québec lui emboîte le pas afin de soutenir autrement les médias de la province.
Parce que ce n’est pas quand notre ville, notre MRC ou notre région deviendra un désert informationnel qu’on pourra renverser la vapeur.
Agissons avant qu’il ne soit trop tard.
L’auteure est journaliste à la Presse Canadienne. Auparavant, elle a œuvré pendant près de 10 ans au quotidien La Voix de l’Est, de même que dans plusieurs hebdomadaires.
En plus d’être auteure de plusieurs essais, dont Extinction de voix – Plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale, elle est conférencière et chargée de cours en journalisme à l’Université de Montréal.