
Les conteneurs de rêves
Ce dernier écran de fumée pour justifier Laurentia, à savoir que sa réalisation serait la première étape nécessaire vers la dévraquisation du port de Québec, est aberrant à trois égards.
Premièrement, il ne viendrait jamais à l’idée de l’APQ de souhaiter publiquement le départ de la majorité de ses locataires actuels. Le maire a-t-il imaginé ce scénario tout seul, ou le lui a-t-on offert en mirage pour revigorer son appui? Les dirigeants des entreprises faisant la manutention de matières solides et liquides en vrac ont dû sursauter en entendant ces propos faisant d’eux des opérateurs indésirables.
Deuxièmement, s’il existait une réelle volonté de la part de l’APQ de convertir les activités de vrac en conteneurs, pourquoi diable faudrait-il remblayer l’équivalant de 17 terrains de football canadiens (zone des buts incluse) de milieu aquatique pour y parvenir? La conversion graduelle des terrains actuellement utilisés pour le vrac serait une option plus respectueuse de l’environnement et des gens de Québec. Malheureusement, Laurentia transformerait en «fenêtre sur le fleuve» le panorama extraordinaire à la plage de Beauport, un legs du fédéral pour le 400e de Québec, et enlaidirait celui apparaissant aux croisiéristes au détour de l’île d’Orléans.
Troisièmement, il est utopique de penser que la grande majorité des terrains portuaires du secteur Beauport pourrait être dédiée à la manutention de conteneurs. Omettons ici de discuter le déplaisir et le temps qu’implique la navigation vers Québec pour les porte-conteneurs géants. Une analyse faite à partir des documents de l’APQ montre que si vraiment (on se croise les doigts) 700 000 conteneurs EVP étaient transbordés annuellement sur les 17 nouveaux hectares de Laurentia, avec une répartition train-camions de 90 %-10 % (on se recroise les doigts), cela nécessiterait le passage à toute heure, six jours sur sept, de 5,6 convois ferroviaires mesurant 1,8 km de long à travers la ville et ses quartiers résidentiels pour rejoindre le pont de Québec, de même que le transit d’un camion-remorque toutes les 2,1 minutes pendant huit heures des jours ouvrables. Ces trafics à travers la ville n’ont rien de réjouissant, sauf pour le CN et les entrepreneurs en asphalte. Or, le secteur Beauport du port possède à lui seul une superficie utilisable de 60,5 hectares, soit 3,6 fois plus grande que Laurentia. Pas besoin d’une calculette pour constater l’impact négatif qu’aurait le rêve du maire sur la qualité de vie des gens de Québec.
Depuis sa fondation, la population de Québec a graduellement encerclé le port jusqu’à l’enclaver. Remblayer le fleuve au centre-ville de Québec est un projet du XIXe siècle. L’APQ devrait militer pour que le fédéral l’aide à réparer ses infrastructures décrépites au lieu de préparer une fuite en avant comme Laurentia, forcer ses locataires à transborder les matières en vrac sous couvert, et favoriser les activités de transbordements de bateau à bateau. Voilà qui serait du développement durable.