
Le resto jjacques: comme un wagon-bar [PHOTOS]
Pour monter à bord, on se bute d’abord à une porte close à l’adresse officielle, le 341, rue Saint-Joseph Est. À l’inscription énigmatique sur la porte «Pour trouver la lumière, suivez le saint vers la cité qui ouvre la porte du royaume des anges», il faut simplement lire... de passer par-derrière, rue Notre-Dame-des-Anges. Un indice, une porte affiche le double j de jjacques. On y reviendra.

Les visiteurs doivent sonner pour entrer et être reçus «comme il se doit», explique le designer et cofondateur d’Atelier Filz, Anthony Laliberté-Vincent. Il a embarqué à plein dans le projet de Vincent Thuaud et sa bande, pour la plupart aussi copropriétaires du restaurant Chez Tao.
Cette fois, ils avaient en tête un espace «coupé du temps», inspiré du grand-père de Thuaud. Peu avant l’ouverture de l’établissement, en juillet, il confiait au Mag: «Mon grand-père, Jacques, a quitté la région de Charente en France en 1961 pour s’installer au Québec. Ayant vécu la guerre, c’était un homme curieux des bonnes choses, mais intransigeant sur la qualité. Il savait recevoir ses proches autour d’une bonne table et de bon vin».

Voilà la prémisse. L’Atelier Filz a notamment travaillé avec Jean-Olivier Pellerin, à la direction artistique du restaurant, qui a proposé un tableau d’inspiration. «On savait qu’on allait avoir des velours, du mauve, du vert, une ambiance feutrée. Mais il cherchait aussi à être surpris», se remémore le designer. Il y avait également cette idée de créer un espace qui relevait du rêve. Dans ce qui était auparavant un casse-croûte très étroit et linéaire.
Anthony Laliberté-Vincent salue d’ailleurs le travail des «super héros» qui ont permis de sauver le moindre pied carré. L’entrepreneur général au dossier était Construction Poitras, dont Sébastien Poitras est un bon ami des propriétaires. Les travaux ont d’ailleurs permis de faire une mise aux normes.

Quant au design, il se découvre pas à pas. L’entrée brute, de couleur terracotta, est insérée entre un vestiaire et la zone salle de bain aux miroirs rétroéclairés. L’accueil se fait au son de la musique classique française, ambiance qui changera un peu plus loin.
Puis on franchit un premier rideau, «un geste qui permet l’émerveillement». Le passage dans un tunnel brun métallique donne cette sensation de parcourir un train. Une impression relevée par la clientèle qui décrit bien le projet, trouve après coup le designer. «C’est comme si on allait d’un wagon à l’autre et les gens ne savent pas où ils sont.»

On traverse de nouveau des rideaux, puis la suite est faite de courbes, de voilages, de banquettes de velours sur lesquelles on passe la main, faisant passer le tissu de clair à foncé. Le jeu des textures est bien dosé. Le wagon-bar, appelons-le ainsi, se décline dans les tons de mauve, de rose et de crème.

Le mur et le plafond arrondi sont recouverts de peinture à la chaux. Les propriétaires ont d’ailleurs mis la main à la pâte pour cette étape.
Double j
Dans ce compartiment, le bar, légèrement surélevé, est habillé d’une mosaïque de céramique grise et d’un comptoir teint de couleur foncée, comme les tables. Le bar a deux postes «de spectacle» — notre critique gastronomique, Sophie Marcotte, a parlé de cocktails «savamment composés, magnifiques» —, et une petite cuisine. Toute la zone de travail est éclairée par des luminaires «doublons» conçus par l’Atelier Filz. Plusieurs éléments du décor font d’ailleurs un clin d’œil au double «j» de jjacques, un nom qui fait jaser (prononcez simplement Jacques).


Doubler des détails augmente les coûts, mais dans ce cas-ci, l’exercice d’esthétisme avait aussi une utilité: rendre luminaires, pattes et tubulures de dossiers plus résistants, souligne Anthony Laliberté-Vincent, à l’origine de tout le mobilier sur mesure.

En contrepartie, le designer n’a pas hésité à se procurer quatre globes à 4 $ chacun au Village des valeurs. Bien nettoyés et suspendus dans pareil décor, ils brillent de mille feux.

S’ensuit une pièce plus feutrée et cosy, bordée de rideaux de velours vert profond, qui peut accueillir un groupe allant jusqu’à 10 personnes. Des bandes de miroirs permettent aux convives d’embrasser l’ensemble du décor.

Le point de chute donne sur la rue Saint-Joseph, où l’on trouve l’unique fenêtre. Mais le réflexe des propriétaires a plutôt été de la cacher derrière un meuble et même d’y tirer un rideau le soir venu. La porte verrouillée en verre fumé laisse simplement deviner la silhouette des passants.

Dans cette partie où s’entrecroisent les tons de terracotta, de vert et de mauve, l’artiste muraliste Cyrielle Tremblay signe une œuvre onirique. L’Atelier Filz avait remarqué sa fresque sur le mur de béton de la côte de la Pente-Douce. «On a proposé plusieurs artistes, dont Cyrielle. Sans le savoir, elle était une amie des propriétaires. On lui a dit de s’amuser. Elle nous amène dans un plafond nuageux un peu magique.» En prime, elle a ajouté au mur quelques bonshommes sourire.


Cette salle, dernière de l’enfilade, peut accueillir 16 personnes.
Anthony Laliberté-Vincent a planché sur ce projet dès novembre 2018. Le chantier a duré de mai à juillet 2019. Un travail d’équipe et une synergie avec l’entrepreneur et l’artiste qu’il décrit comme «du gros plaisir».
«En rentrant ici, beaucoup de gens ne se sentent pas à Québec, mais ailleurs. Pour nous, c’est une réussite», se réjouit le designer, qui signait pour la première fois un espace-bar tamisé.