Ah, les fraises et les framboises!

Guy Pouliot produit des fraises et des framboises sous abri.

Les premières fraises d’été arriveront bientôt dans les champs et dans les épiceries. Il faut attendre un peu plus longtemps pour les framboises. Face à la compétition internationale, ces deux petits fruits du Québec tentent de tirer leur épingle du jeu.


«On est à la merci des marchés internationaux, parce qu’il y a des fraises et des framboises qui sont importées même durant notre grosse saison de production, depuis les États-Unis, le Chili, le Mexique et l’Ontario», analyse Francis Blouin, copropriétaire de la Ferme François Blouin, à Sainte-Famille-de-l’Île-d’Orléans. «Cette compétition vient de pays qui sont moins réglementés au point de vue de la main-d’oeuvre et des pratiques environnementales. On a donc de la difficulté à être compétitifs.»

Tout de même, selon des chiffres avancés par l’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec (APFFQ), 97 % des fraises produites ici sont vendues fraîches et ne sont pas transformées. Il faut peut-être y lire que les Québécois ont le goût des fraises d’ici.



Bien qu’elle n’ait pas de données spécifiques par région, l’APFFQ confirme que 15 000 tonnes de fraises sont commercialisées chaque année. Par contre, le Québec importe beaucoup plus de fraises qu’il en exporte.

Selon une étude du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) publiée en 2019, le Québec avait importé 10 476 tonnes de fraises en 2017. À la même période, les exportations s’étaient élevées à 674 tonnes.

Toutefois, selon l’APFFQ, le Québec est le troisième producteur de fraises en Amérique du Nord, après la Californie et la Floride. Et la province est la première au Canada. Les plus grandes régions productrices au Québec sont la Capitale-Nationale, les Laurentides, la Montérégie et la Chaudière-Appalaches.

«Juste à l’île d’Orléans, c’est le quart de la production du Québec. Si on inclut Pont-Rouge et que vous ajoutez Saint-Nicolas [Lévis], on doit être aux alentours de 40 %.»



Seulement 5% des petits fruits sortent du Québec, selon Guy Pouliot, que l'on voit ici sous ses abris.

Voici comment Guy Pouliot, copropriétaire de la Ferme Onésime Pouliot, à Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans, résume la situation de la production de ces petits fruits dans la grande région de Québec.

«Oui, quand on va dans l’Estrie et en Montérégie, ce n’est pas seulement ça, mais il y a beaucoup de fermes champêtres. Elles n’auront donc pas un volume pour aller livrer en épicerie ou en entrepôt. Il y a peut-être beaucoup de producteurs, mais ce ne sont pas ceux qui ont le plus de volume», ajoute celui qui est aussi premier vice-président de l’APFFQ.

«À l’île d’Orléans, on a une forte concentration de producteurs qui vont livrer en épicerie et même dans les entrepôts des grandes chaînes et qui font plus de volume. Ça ne veut pas dire qu’on est 40 % des producteurs, mais plutôt 40 % du volume.»

M. Pouliot renchérit en disant que seulement 5 % des fruits sortent du Québec. «Dans les 95 % qui restent, un tiers se fait en autocueillette ou en vente directe à la ferme. Et les deux tiers de ces 95 % s’en vont chez les grossistes.»

Moins de superficies pour les framboises

La production québécoise de framboises est tout aussi répandue, mais les superficies cultivées sont moins importantes que pour la fraise, informe l’APFFQ. Et pour cette culture, les chiffres sont plutôt rares.

M. Pouliot estime que les chiffres du MAPAQ sont contestables. «Ils disent que les ventes de framboises au Québec s’élèvent à 8 ou 9 millions $ depuis des années. À eux seuls, les trois plus gros producteurs de la région de Québec, ensemble, vendent pour 7 millions $», lance-t-il.



«On fait certainement plus de la moitié des framboises au Québec. Ce n’est pas la surface, mais je parle du nombre de kilogrammes cueillis. Avec la production sous abri, plus productive que la façon traditionnelle, je fais avec un hectare ce qui m’aurait pris huit hectares auparavant» (lire texte plus bas).

Certains producteurs ont aussi trouvé des débouchés pour leurs fruits «moins beaux». M. Blouin raconte que sa ferme a lancé un volet de transformation. «On a fait ça pour valoriser les produits qui sont de deuxième ou de troisième qualité. Pour arriver à zéro déchet, zéro perte...»

Travailleurs étrangers

Qui dit exploitation agricole dit travailleurs étrangers. Bien que la situation était bien différente lors de la pandémie, elle est pratiquement revenue à la normale.

«C’est réglé. Tout va super bien. Même qu’on en sort grandi. Parce qu’il y a des choses qui se faisaient au Mexique en huit semaines qui se font maintenant en huit jours, relate M. Pouliot. En repensant leur façon de faire, avec tous les formulaires qu’il y avait avant et qui n’étaient jamais remis en question avant la pandémie, ils traitent les dossiers beaucoup plus rapidement qu’avant.»

Au plus fort de la saison, la Ferme Onésime Pouliot emploie plus de 300 travailleurs étrangers. Une pratique que l’entreprise a commencée en 2003.

Et ces Mexicains et Guatémaltèques sont très fidèles, selon le copropriétaire. «Quand on a un taux de retour de 90 % une année, ça va mal…, dit-il. Généralement, on a 94-95 % de nos travailleurs étrangers qui reviennent année après année. Assez pour avoir une stabilité, tout en nous assurant d’une bonne relève.»

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ÉTIRER LA SAISON

Afin d’étirer la saison des récoltes, Guy Pouliot – comme quelques autres producteurs de la région – a trouvé une astuce qui porte ses fruits. Il a adopté la production de framboises et de fraises sous abri.

Cela a pour effet de «tricher sur les saisons de production» et de les étirer. Et, par ricochet, de produire plus de petits fruits. «De six à huit fois plus…»



«Le framboisier est dans un pot et il n’est pas planté dans le sol. De manière traditionnelle, on plantait les framboisiers à l’an 1 pour avoir des récoltes qui commençaient à avoir de l’allure à l’an 3 ou 4, et ce, pendant 12 ans», explique Guy Pouliot, copropriétaire de la Ferme Onésime Pouliot.

«La canne [de framboisier] mesure à peu près quatre pieds. Donc, si vous aviez un pied et demi de neige, qu’il y avait deux pieds et demi de la canne en dehors de la neige et que, pendant le mois de janvier, il y avait des températures de -28 ou de -30 °C, il se pouvait que des cannes meurent pendant l’hiver», ajoute-t-il.

Pour la production de fraises, la même technique est utilisée, avec la particularité que les fraisiers sont plantés dans des tables suspendues, ce qui facilite la récolte.

La ferme de 560 acres de M. Pouliot contient plusieurs structures d’abris trois saisons sur lesquels des toiles sont déployées au printemps et repliées à l’automne. «Ils sont assez haut pour qu’un tracteur puisse passer dedans, mais pas assez solides pour supporter le poids de la neige avec les toiles déployées.»

Cette façon de faire permet de cultiver des variétés de framboisiers qui ont la réputation d’être plus résistantes au froid. «En cultivant en pots, toutes les variétés au monde deviennent potentiellement faisables au Québec.

Parce que mon pot, je le rentre à l’automne et je le garde au frigo à -1,5 °C pendant tout l’hiver. Et je le ressors à la date que je veux au printemps. Il n’y a plus de -30 °C pendant tout l’hiver. On arrive avec des variétés qui ont plus de rendement et qui peuvent aussi avoir du goût, puis une durée de vie plus longue», affirme M. Pouliot.

Grâce à de telles techniques, les Québécois peuvent maintenant déguster des fraises locales de juin à octobre.