
J.A. Moisan: une épicerie d’antan au goût du jour [PHOTOS]
En novembre 2019, Donna Willet et son associé — un homme d’affaires de la Nouvelle-Écosse — ont acquis plus qu’une épicerie. Ils sont devenus propriétaires du plus vieux commerce de vente d’aliments au détail en Amérique du Nord. Et, comme la famille Saint-Laurent avant eux — les propriétaires des 20 dernières années —, ils ont à cœur de transmettre l’histoire du lieu, son caractère patrimonial, en maintenant sa vocation.
«Les travaux ont commencé en mars 2020. On avait prévu qu’ils dureraient huit semaines… ça a finalement duré neuf mois. Nous avons dû faire beaucoup plus que des rénovations “cosmétiques”. Il a fallu refaire toute l’électricité et la plomberie, le sous-sol ainsi qu’un mur complet supportant la structure du bâtiment», détaille Mme Willet, ajoutant qu’il n’y a à peu près que la façade extérieure qui n’a pas été touchée.
C’est que l’édifice patrimonial dans lequel s’est établie l’épicerie J.A. Moisan en 1871 a été construit en 1846… Les nombreuses «surprises» auront donc fait passer la facture estimée de 600 000 $ à quelque 3,5 millions $. Mais le jeu en vaut la chandelle, croit Donna Willet.

La Gaspésienne ne se destinait pourtant pas à devenir épicière. Mais en cherchant à acquérir un commerce à Québec, après avoir vendu les deux Tim Hortons qui lui appartenaient à Paspébiac et à Amqui, elle a eu un coup de cœur pour J.A Moisan, qu’elle connaissait déjà «comme touriste». Mme Willet avait en tête d’ouvrir un magasin de plein air dans la capitale, mais conserver la vocation d’épicerie était incontournable. On a donc coupé la poire en deux : l’épicerie occupe désormais près de la moitié de sa superficie originale, tandis que l’autre section est en cours de transformation pour devenir une boutique de plein air sur deux niveaux — l’ouverture est espérée en juin. L’auberge au-dessus de l’épicerie, qui compte quatre chambres avec salle de bain ainsi que des aires communes, devrait rouvrir à la fin du printemps.

Une offre à redéfinir
Avec un plus petit espace, il a fallu faire des choix. «J’étais impressionnée par l’offre de charcuteries et de fromages uniques qu’on retrouve chez J.A. Moisan, des produits du Québec et d’importation. C’est vraiment quelque chose qu’on voulait continuer de mettre en valeur, en plus des produits fins et du terroir. On se positionne vraiment comme une épicerie fine», indique Donna Willet. Avec l’offre complémentaire d’autres commerces en alimentation de la rue Saint-Jean, on a donc choisi de laisser tomber les fruits et les légumes, ainsi que les épices en vrac qui occupaient l’arrière du magasin — c’est maintenant un vaste cellier qui s’y trouve.
En entrant dans le commerce, on aperçoit à gauche un comptoir où se procurer thé et café, dont le mélange J.A. Moisan torréfié par Sud Café (propriété de Café Charlevoix). Le meuble qui sert de comptoir date du début des années 1800 et aurait probablement appartenu à une bijouterie à l’origine, indique Mme Willet. À droite, l’espace dégustation comprend une large banquette et de vieilles tables restaurées sur lesquelles ont été imprimées des photos d’époque.


Dans la section épicerie, au centre, c’est le présentoir à charcuteries et à fromages qui vole la vedette. Terrines, pâtés et rillettes trônent au-dessus du comptoir réfrigéré contenant rosette de Lyon, prosciutto di parma et Reblochon, tandis que des pâtisseries ainsi que des pains et viennoiseries de La Boîte à Pain se trouvent de chaque côté.
Sur les tablettes, plusieurs huiles d’olive, confitures, conserves, chocolats et grignotines, tandis qu’un large frigo contient une belle sélection de bières québécoises. Quelques mets préparés sur place sont aussi proposés, tels pizzas, sandwichs et salades.
En plus de sa fille Candice Dort qui s’est lancé dans l’aventure J.A Moisan avec elle, la nouvelle épicière Donna Willet peut compter sur une équipe d’employés expérimentés, qui travaillaient déjà au commerce avant qu’il change de mains — certains depuis une vingtaine d’années! C’est le cas de Muriel Pourreau, employée depuis 18 ans, qu’on devinait sourire derrière son masque au comptoir de charcuteries : «Je suis vraiment heureuse de retrouver l’équipe, et la clientèle aussi, qui en fait partie en quelque sorte. Ça fait vraiment plaisir et l’accueil est positif, même si le commerce est plus petit».
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VITRINE POUR LES VINS QUÉBÉCOIS
Tout au fond de l’épicerie, on gravit deux petites marches — faites avec d’anciennes solives du bâtiment — pour pénétrer dans un vaste cellier qui contient environ 130 vins différents. Tous québécois. La copropriétaire Donna Willet y tenait : «On a environ 25 à 30 domaines représentés, et chaque année on souhaite mettre en valeur certains d’entre eux en proposant des dégustations de leurs produits, lorsque ce sera possible. J’aimerais que ça devienne comme le rituel du vendredi soir!»
Au mur, les photos de sept vignobles dont les produits se trouvent au cellier, notamment Gagliano, Les Vallons de Wadleigh et Coteau Rougemont. À l’entrée du cellier, ce sont plutôt des photos d’époque de Québec qui sont accrochées au mur recouvert de vieille tôle peinte en noir, qui ornait auparavant le plafond de l’épicerie. Un autre rappel de l’âge vénérable du commerce : un fragile document encadré qui souligne ses «noces d’or» en 1921!
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QUI EST J.A. MOISAN?
Qui est donc cet homme dont l’épicerie du faubourg Saint-Jean-Baptiste porte toujours le nom, 150 ans plus tard?
Sur le site Web de la Ville de Québec, dans la fiche informative au sujet de l'épicerie J.A. Moisan, on indique ceci : «La rumeur veut que le fondateur de l’épicerie Moisan faisait partie des Irlandais qui ont fui la famine sévissant dans leur pays au milieu du 19e siècle. Ses parents auraient péri lors du naufrage du navire qui les transportait, non loin de Québec, et un menuisier du faubourg l’aurait adopté et élevé.»
Cette hypothèse est également soulevée dans un article publié en 1986 dans la revue historique Cap-aux-Diamants.
Toutefois, selon le site nosorigines.qc.ca, «J.A. Moisan est né le 25 décembre 1848, du mariage de Jean Moisan, menuisier du faubourg, et de Marie Anne Gingras». Cette information est corroborée par une descendante de Jean-Alfred Moisan, qui a fourni au Mag des documents à l'appui.
«Jean-Alfred Moisan n’a que 23 ans lorsqu’il ouvre une première épicerie au coin des rues De La Chevrotière et de l’Artillerie (aujourd’hui disparue). Deux ans plus tard, il se marie à Laetitia Clavet, fille d’un grossiste en boucherie, et déménage son commerce rue Saint-Jean, qui est alors la principale artère commerciale de la haute-ville, à l’extérieur des fortifications. Après avoir habité la maison voisine, J.-A. Moisan acquiert en 1885 le bâtiment que l’épicerie occupe toujours», ajoute la Ville de Québec sur son site.
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