Lili Plourde est présidente de la Fédération québécoise de l’autisme. Elle se désole de voir des enfants chez qui on soupçonne un trouble du spectre de l’autisme (TSA) être complètement abandonnés. «C’est particulièrement vrai pour les 6 à 17 ans.»
C’est aussi ce que pense le père de Mathieu, 8 ans. Son fils est bien entouré à l’école, mais il est en attente d’une évaluation depuis deux ans. Quand il a demandé une mise à jour, récemment, on lui a répondu qu’il faudrait encore attendre un an. Peut-être plus.
«L’école aide mon fils. Je l’accompagne aussi de mon mieux. Mais tous les soirs en me couchant, je me demande: est-ce que j’agis bien avec lui? Est-ce que je le pousse assez pour qu’il se développe le mieux possible? Est-ce que je suis trop dur, au contraire? Ça m’empêche de dormir», raconte le père de Mathieu d’un ton las, sans cesser de secouer la tête.
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Le parcours du combattant
Les enfants autistes sont uniques. Chacun a ses propres caractéristiques, ses propres défis, ce qui rend l’adaptation des milieux d’autant plus difficile. Certains ont aussi d’autres diagnostics, comme le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Les enfants hyperactifs provoquent plus souvent des remous, comparativement à ceux qui ne le sont pas et qui passent facilement inaperçus, parce qu’ils sont «dans la lune».
«Si tu veux des services dans la vie, sois tannant à l’école. Sinon, bonne chance.»
— Lili Plourde, présidente de la Fédération québécoise de l’autisme
Son affirmation, lourde de sens, a été confirmée par une dizaine de témoignages livrés par des parents des quatre coins du Québec. Comme le père de Mathieu, aucun d’entre eux n’a voulu s’identifier, par crainte de nuire au dossier de son enfant.
Magalie est la mère de Simone, sept ans, une petite Estrienne soupçonnée d’être autiste par des intervenants scolaires. Elle a été vue par son médecin de famille, qui a prescrit une évaluation pour un trouble du spectre de l’autisme.
«C’est un parcours du combattant qui nous attend.»
— Magalie, mère de Simone, sept ans
Un parcours du combattant qui pourrait durer au moins cinq ans avant d’en arriver à un diagnostic officiel.
Une évaluation coûteuse au privé
Il a été impossible de comptabiliser combien d’enfants sont en attente au Québec malgré une vingtaine de demandes d’accès à l’information, car les CISSS et les CIUSSS ont presque tous des façons différentes de gérer leurs listes. On a pu apprendre par exemple qu’il y avait 934 jeunes de 0 à 18 ans en attente en Estrie au 31 mars dernier, et 741 évaluations en attente chez les 0-21 ans en attente en Mauricie-Centre-du-Québec. Ce vaste CIUSSS desservant notamment Trois-Rivières, Drummondville et Victoriaville a reçu 543 nouvelles requêtes en 2022-2023, et a réussi à en réaliser 360 durant la même période; un déficit de 183 entre l’offre et la demande.
Découragés par les listes d’attente dans le secteur public, plusieurs parents se tournent vers le secteur privé. Quelques professionnels font aussi des évaluations et des suivis dans des cliniques privées. Coût moyen : entre 1500$ et 2500$, selon la complexité de l’évaluation.
«Même dans plusieurs cliniques privées, les listes d’attente sont tellement longues qu’elles ne prennent plus de noms. Les parents se butent à des portes fermées partout.»
— Jocelyne Sylvestre, directrice de l’organisme Trait d’union en Outaouais
Après le diagnostic, les parents et l’enfant ont besoin d’aide – souvent depuis longtemps. Les besoins sont multiples : travailler la propreté, le sommeil, l’alimentation, la motricité, les retards de langage, les habiletés sociales…
«Quand on finit par arriver auprès d’un enfant, souvent, la situation a dégénéré», déplore une intervenante estrienne, qui travaille auprès de cette clientèle depuis de nombreuses années et qui a vu la situation se détériorer. Elle garde l’anonymat parce qu’elle n’avait pas l’autorisation d’accorder une entrevue.
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Une situation qui dégénère, c’est d’ailleurs ce que vivent Maëlle, 13 ans, et ses parents. Après un diagnostic d’autisme en 2020, Maëlle a été réévaluée «à la fin de l’hiver 2022 en raison de ses idées suicidaires», raconte sa mère.
Depuis? Rien. Le téléphone n’a pas sonné depuis près de 18 mois.
À l’école, on lui a bien offert quelques accommodements «dus à sa condition», mais c’est tout. «Maëlle réussit quand même à l’école et elle ne dérange pas. Elle n’a aucun service, parce qu’elle n’est pas une élève problématique dans une classe», mentionne sa mère.
1,5% de la population
On estime qu’environ 1,5% de la population est atteinte d’un trouble du spectre de l’autisme, bien qu’il soit difficile d’avoir l’heure juste. Avant 2003, il y avait très peu de diagnostics de TSA au Québec.
Le nombre de diagnostics est en constante augmentation en province, comme ailleurs dans le monde. C’est essentiellement en raison d’une meilleure connaissance du trouble du spectre de l’autisme, notamment de la façon dont il se présente chez les femmes qui sont généralement moins hyperactives que les hommes.
Les bonnes idées et les initiatives mises en place ont été torpillées par la pénurie de personnel. La pandémie, qui a eu l’effet d’un tsunami dans les réseaux de la santé et de l’éducation, a aggravé les choses. Sans compter que la crise qui sévit depuis 2019 à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) a compliqué la tâche.
Plusieurs professionnels quittent leur emploi dans les centres de services scolaires ou dans les CIUSSS afin d’aller travailler dans le secteur privé, dit Danny Roulx, représentant national de l’Estrie pour l’APTS, le syndicat qui représente notamment les psychologues et les éducateurs spécialisés dans le réseau de la santé.
Les professionnels qui travaillent auprès des autistes sont souvent «amoureux de leur clientèle, une clientèle extraordinaire quand on apprend à les connaître et qu’on peut travailler dans des bonnes conditions», poursuit Sonny Gagné, éducateur spécialisé et représentant de l’APTS au Saguenay-Lac-Saint-Jean.
«Encore ce printemps, j’ai des collègues passionnés qui ont démissionné, qui ont carrément abandonné le métier pour aller travailler au gouvernement fédéral et même chez Rio Tinto Alcan! À un moment donné, les employés n’en peuvent juste plus», s’attriste celui qui travaille dans le domaine depuis 31 ans.
Se battre pour des services
Les parents qui ont besoin d’aide pour leurs enfants doivent se battre pour obtenir le moindre service. Souvent, ils se tournent d’abord vers le milieu scolaire, qui travaille d’arrache-pied.
«On n’a pas besoin d’attendre un diagnostic pour mettre des services autour des élèves quand on a des soupçons ou quand l’enfant ne fonctionne pas bien à l’école», dit Christine Nadeau, porte-parole de l’Association québécoise du personnel de direction des écoles.
Mais dans le réseau scolaire comme dans celui de la santé, ce sont les enjeux de personnel qui font mal : nombreux sont les postes d’orthophonistes, d’ergothérapeutes ou éducateurs spécialisés qui demeurent vacants.
«Mais on s’organise, on se mobilise, poursuit Mme Nadeau. On n’a pas le choix d’arriver à assurer une qualité des services qu’on donne à nos élèves.»
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Des parents épuisés, sans ressource ni répit
Laissés sans réponse et souvent sans soutien, de nombreux parents sont au bout du rouleau. Le répit est le plus grand service demandé par les familles, explique Lili Plourde de la Fédération québécoise de l’autisme. Or les organismes communautaires dont la mission est de soutenir les autistes et leurs proches «sont sous-financés et encore plus durement frappés par la pénurie de main-d’œuvre que le réseau de la santé».
«Ici, nous avons une politique de partage à nos familles, si bien qu’on donne des miettes à presque tout le monde.»
— Jocelyne Sylvestre, directrice générale de Trait d’union en Outaouais.
La liste d’attente de l’organisme pour une place dans un camp de jour, l’été dernier, comptait 50 familles, qui n’ont eu accès à aucun service.
«Ceux qui ont eu des services ont eu droit à un maximum de trois semaines durant l’été, ce qui laisse encore beaucoup de semaines à pallier, pour ne pas dire patcher», ajoute Mme Sylvestre.
Une petite soirée de congé pour des parents épuisés, le temps d’un repas au restaurant ou d’un long bain chaud sans être dérangé? « On peut offrir deux soirées aux trois ou quatre mois!»
Chez Autisme Saguenay-Lac-Saint-Jean, la politique est différente. «On fait des choix déchirants. Par exemple, on donne du répit aux familles naturelles avant les familles d’accueil, et si ça ne suffit pas, on donne du répit aux familles naturelles dont les parents travaillent. C’est un gros défi, et c’est très difficile, parce qu’on sait que les parents frappent des portes fermées partout», déplore la directrice générale Guylaine Cauchon.
«Pas très positive à court terme»
Et l’avenir? Au bout du fil, la vingtaine d’intervenants et de parents interrogés par les Coops de l’information gardent tous le même silence. Un long silence.
«Je ne suis pas très positive à court terme. Nos acquis ont reculé à cause du manque de personnel», soutient Lili Plourde.
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«À court terme, on n’a pas de baguette magique. Je dirais qu’il faut formuler des plaintes, continuer de demander, frapper aux portes, se faire entendre», soutient Jocelyne Sylvestre, directrice générale de l’organisme Trait d’union en Outaouais.
«ll y a des journées frustrantes. La situation est difficile. Mais on ne peut pas baisser les bras pour autant. Il faut penser à des solutions pour pouvoir embaucher plus de gens, pour avoir une meilleure rétention du personnel», dit pour sa part Guylaine Cauchon, directrice générale d’Autisme Saguenay-Lac-Saint-Jean.
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