«NO SHOW» CHEZ LE MÉDECIN | Jusqu’à 30 000 rendez-vous manqués chaque mois

Pas moins de 177 593 patients québécois ne se sont pas pointés à leur rendez-vous chez leur médecin de famille, une donnée qui est en plus très largement sous-estimée.

EXCLUSIF — Le phénomène du «no show» est bien connu dans le milieu de la restauration. Mais voilà que le phénomène est devenu un «véritable fléau» chez les médecins de famille du Québec.


«On peut estimer que les patients québécois manquent en moyenne entre 25 000 et 30 000 rendez-vous par mois. C’est énorme!» soutient le Dr Marc-André Amyot, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).

Pas moins de 177 593 patients québécois ne se sont pas pointés à leur rendez-vous chez leur médecin de famille, entre avril 2021 et décembre 2022, selon les données obtenues par les Coops de l’information. Ces chiffres ne représentent toutefois que la pointe de l’iceberg, car seulement 2644 des 6000 médecins qui font de la prise en charge ont facturé leurs cas de «no show», précise le président de la FMOQ.

«Le phénomène du ‘no show’ est un véritable fléau, et un fléau d’autant plus dérangeant qu’il se produit dans un contexte de difficultés d’accès à la première ligne, alors qu’il manque 1100 médecins de famille au Québec pour répondre aux besoins», précise le Dr Amyot.

Le phénomène de la «non présence» des patients a mené à une entente entre la FMOQ et le ministère de la Santé et des Services sociaux, qui ont convenu de créer un code de facturation pour les patients qui ne se présentent pas à leur rendez-vous à partir du 1er avril 2021.

Le Dr Marc-André Amyot, président de la FMOQ, soutient que le phénomène de la «non présence» est un vrai fléau chez les médecins de famille.

«Bien sûr, les médecins ne touchent pas un sou, mais ça permet à la RAMQ de compiler des statistiques», explique le Dr Pierre Martin, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie.

Un intervalle mystérieux

Médecin de famille à Sherbrooke, le Dr François Roy se désole de voir tous ces patients qui ne se pointent pas à leur rendez-vous.

«Durant une seule semaine en avril, j’ai eu neuf patients qui ne se sont pas présentés à leur rendez-vous, dit-il. C’est fâchant, parce que j’offre des rendez-vous pour aider des patients. Ceux qui ne se présentent pas ont pris la place de quelqu’un qui en aurait eu besoin.»

Le Dr Roy prend bien soin de garder des plages vides dans son horaire, presque tous les jours, pour y recevoir des patients en urgence. Un patient qui s’est blessé la veille ou dont la toux s’est suffisamment aggravée pour devoir consulter aura donc une chance de le rencontrer en cours de journée en téléphonant à la clinique tôt le matin.

Or il arrive que des patients qui ont téléphoné avant 8 h pour prendre un rendez-vous le jour-même ne se présentent tout simplement pas quelques heures plus tard.

Les patients qui ne se présentent pas à leur rendez-vous chez un médecin empêchent un autre patient qui en aurait eu besoin de profiter de cette disponibilité.

Que s’est-il passé dans le court intervalle?

Les médecins interrogés ne le savent pas. Ils sont débordés, leurs secrétaires peinent à répondre aux nombreuses demandes qui pleuvent toute la journée.

«Si on essayait de rejoindre les patients, ça prendrait un temps fou à nos secrétaires et ça occuperait les lignes téléphoniques», explique le Dr Roy.

Des solutions?

Pour renverser la situation, les médecins de famille disent miser sur la sensibilisation. «Les patients doivent comprendre que ça fait partie de leur responsabilité sociale de laisser leur place à quelqu’un d’autre s’ils n’ont plus besoin d’un rendez-vous chez un médecin», explique le Dr Marc-André Amyot.

«C’est facile de se dire que c’est juste une fois, donc ce n’est pas grave. Mais quand on accumule chaque rendez-vous manqué chez chacun des médecins du Québec, ça devient vite énorme comme problème. Je ne pense pas qu’il y a tellement de patients récidivistes, qui annulent leurs rendez-vous à répétition.»

—  Le Dr Pierre Martin, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie

Des efforts seront déployés pour améliorer l’accès aux options d’annulation, qui varient d’un groupe de médecine familiale (GMF) à un autre, en fonction des systèmes informatiques utilisés.

Dans certains GMF, il faut annuler les rendez-vous par téléphone – et les lignes peuvent être difficiles à obtenir. Dans d’autres, il faut passer par Internet pour prendre rendez-vous, mais le site connait des ratés importants.

«Les outils technologiques fournis par le ministère ne sont pas parfaits. Par exemple, si vous réussissez à avoir un rendez-vous dans une ville qui n’est pas votre premier choix, et que finalement on vous octroie une place dans une ville où vous étiez en attente, est-ce que le système annule un des deux rendez-vous? On le sait pas toujours», illustre le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

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Jusqu’à 12% d’absence chez les médecins spécialistes

Les absences aux rendez-vous chez les médecins spécialistes sont aussi un fléau. Un fléau difficile à chiffrer, toutefois.

«Ça semble varier selon les milieux, explique la porte-parole du ministère, Marie-Claude Lacasse. Les améliorations en cours des systèmes d’information impliqués vont permettre l’accès à des données précises dans le futur par rapport à la non-présence.»

La région de l’Estrie est l’une de celles qui parviennent le mieux à chiffrer la problématique, parce que son centre de répartition des demandes est intégré aux centrales de rendez-vous. Le taux d’absentéisme lors des rendez-vous dans les cliniques externes du CIUSSS de l’Estrie-CHUS varie présentement entre 10 % et 12 %.

Le taux d’absentéisme lors des rendez-vous dans les cliniques externes du CIUSSS de l’Estrie-CHUS varie présentement entre 10 % et 12 %.

«Peu importe le nombre, un patient qui ne se présente pas à son rendez-vous signifie un patient qui attend son tour alors qu’il aurait pu être vu. […] Certaines personnes attendent avec impatience leur rendez-vous; il est primordial de penser aux autres et de céder sa place si vous ne comptez pas vous présenter», soutient le Dr Mario Viens, chirurgien général et directeur adjoint des services professionnels au CIUSSS de l’Estrie-CHUS.

Les rendez-vous chez les médecins spécialistes sont pourtant beaucoup plus prévisibles que les rendez-vous médicaux en première ligne.

Les patients de l’Estrie ont la possibilité d’annuler ou de reporter le rendez-vous à partir d’un site Internet sécurisé, ce qui permet de contourner la problématique de l’attente – parfois longue – pour parler à l’agente administrative au bout du fil.

L'absence des patients à leur rendez-vous chez un médecin spécialiste est aussi un problème important.

Ailleurs au Québec, il est difficile de documenter la problématique, parce que de multiples systèmes informatiques sont mis en cause.

Les cinq hôpitaux du CHU de Québec-Université Laval, par exemple, affichent un taux d’absence de 5,3% des patients aux consultations externes et de 5% en imagerie, pour l’année 2022.

Le taux d’absentéisme a été de 3,5% dans les cliniques externes de trois des quatre hôpitaux de Chaudière-Appalaches, soit Saint-Georges, Montmagny et Thetford. Impossible d’avoir les données pour l’Hôtel-Dieu de Lévis, qui sera mis à jour sous peu.

Les données ne sont pas disponibles non plus au CIUSSS du Saguenay-Lac-Saint-Jean ni au CISSS de l’Outaouais.