J’avais signé trois chroniques sur le sujet en 2009. Il s’agit de verbes qui font « défection » : on ne peut pas les conjuguer à certains temps, modes ou personnes.
En sachant cela, le premier auquel vous pensez en ce moment, c’est probablement falloir, puisque ce verbe impersonnel n’existe qu’à la troisième personne du singulier. Vous pouvez inclure dans cette catégorie plusieurs homologues « météorologiques » comme pleuvoir, neiger, grêler, venter…
Mais il y en a bien plus que ça. Par exemple, si vous fouillez dans un Bescherelle, vous découvrirez que le verbe traire et ses dérivés (extraire, soustraire) n’ont pas de passé simple.
Effectivement, je ne crois pas que vous ayez déjà lu dans un roman du terroir : « Il entra dans la grange et trut ses deux vaches »…
Certains verbes défectifs n’existent même qu’à l’infinitif. D’autres nous ont légué des noms, des adjectifs, des locutions figées…
Bref, comme j’ai un peu manqué de temps cette semaine, je vous offre un petit condensé de ces chroniques qui n’ont pas trop mal vieilli.
Choir, échoir et déchoir
Le cas du verbe choir est intéressant. Ce verbe n’est guère plus utilisé aujourd’hui qu’aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel, au présent de l’indicatif et aux temps composés (il choit, ils ont chu).
Mais grâce à Charles Perrault, nous connaissons tous une ancienne forme de son futur simple : « Tire la chevillette et la bobinette cherra. »
En effet, au futur, le verbe choir se conjuguait sur le même modèle que voir (on disait aussi choira). La bobinette était la pièce qui maintenait la porte fermée, et en retirant la chevillette, elle tombait.
Bref, ce que la grand-mère dit au grand méchant loup dans son vocabulaire du XVIIe siècle, c’est : « Entre, c’pas barré! »
Le Bescherelle relève quand même certaines des anciennes formes de choir devenues désuètes, comme je chois, nous choyons (on pourrait confondre avec le verbe choyer), je chus et nous chûmes (une idée de blague sur un hôpital?).
Choir n’a pas de participe présent, contrairement à son cousin échoir, qui donne échéant.
Mais le cas le plus étonnant, c’est celui du verbe déchoir. Imaginez-vous qu’à la troisième personne du singulier, en plus d’il déchoit, il s’est déjà conjugué sous la forme… déchet.
Ainsi, lorsqu’une personne ou une chose perdait de sa valeur, s’affaiblissait ou s’inclinait, on pouvait jadis dire : elle déchet.
Un déchet, c’est donc quelque chose de déchu. Et de la même façon que le verbe échoir nous a donné échéance, déchoir nous a légué déchéance.
Assavoir, apparoir et ravoir
Si une personne vous lance qu’elle vous fera bientôt assavoir quelque chose, ne la reprenez pas : elle utilise un vieux verbe que le français québécois a gardé.
Il n’y a d’ailleurs pas si longtemps qu’il est tombé en désuétude chez nos cousins : le Trésor de la langue française le relève dans la prose de Proust et des frères Goncourt. Il note même, dès 1403, l’emploi d’assavoir comme synonyme de c’est-à-dire. Par exemple, je viendrai avec mes amis, assavoir Jean et Paul.
Aujourd’hui, assavoir (connaître) peut surgir encore, surtout dans des textes juridiques, mais toujours à l’infinitif et précédé du verbe faire. Personne ne vous répliquera donc qu’il assavait tout ça.
Le verbe apparoir est également utilisé dans la langue juridique, à la forme infinitive précédée du verbe faire, pour signifier faire preuve. Par exemple, on peut « faire apparoir » de sa légitime défense.
Mais apparoir se rencontre surtout à la forme impersonnelle, il appert, que la langue courante emprunte parfois. Il veut alors dire il apparaît, il est évident.
En passant, aviez-vous déjà remarqué qu’on peut ravoir quelque chose, mais qu’on ne peut jamais en avoir reu? Ravoir n’existe qu’à l’infinitif.
Férir, partir et quérir
Le verbe férir, qui voulait dire « frapper avec le fer » (ou, si vous préférez, « croiser le fer »), nous a laissé une expression figée, « sans coup férir », c’est-à-dire sans avoir à sortir les armes, sans difficulté.
Mais nous utilisons aussi son participe passé féru comme adjectif. Celui-ci fut d’abord employé au sens littéral, tel « être féru (frappé, blessé) par un coup, la beauté d’une personne, etc. », mais aujourd’hui, son sens figuré (être passionné, épris de qqch) est le plus courant.
Saviez-vous également que partir est un verbe défectif? Mais attention, seulement quand il veut dire « diviser en plusieurs parties, partager ».
Tout ce qui reste de son usage, c’est l’expression « avoir maille à partir ». La maille est une ancienne monnaie médiévale, de très faible valeur.
Avoir maille à partir, c’était être obligé de partager quelque chose de déjà très petit, donc éprouver de frustrantes difficultés, à cause de quelque chose ou de quelqu’un.
Partir nous a aussi laissé départir et répartir.
Finalement, si nous pouvions toujours conjuguer le verbe quérir, il faudrait composer avec des formes vraiment rigolotes, telles que « nous quîmes Kim » ou « tu as quis quoi? »… Hélas! Ce verbe issu du latin quaerere (chercher, demander) n’est plus employé qu’à l’infinitif, précédé le plus souvent d’un autre verbe comme aller, faire, venir, envoyer…
Perles de la semaine
Restons dans les examens de biologie : la rate s’en porte mieux.
Heureusement, les intestins sont très longs, sinon nous aurions tout le temps envie d’aller aux toilettes.
Le foie est un organe qui a une forme molle. D’ailleurs, on en fait du mou pour les chats.
Le cœur est une pompe. S’il marche mal, il peut tout faire exploser.
Le cerveau dirige le corps et les autres organes sont obligés de penser comme lui.
Cet organe de l’oreille interne s’appelle « tronche d’Eustache ».
Source : Le sottisier du bac, Philippe Mignaval, Hors Collection, 2010.
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