Chronique|

Quand la DPJ se moque des tribunaux

Trop d'ordonnances de tribunaux ne sont pas respectées par la DPJ.

CHRONIQUE / Le juge en a eu assez : « Considérant que la Direction de la protection de la jeunesse se considère encore une fois au-dessus de la loi et des jugements de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, le Tribunal ne peut lui faire confiance, car on ignore où l’enfant va aller vivre et pour quelle durée à chaque endroit. »


Et vlan.

L’honorable Jacques Rioux entendait une cause où la DPJ recommandait le placement en famille d’accueil d’une fille d’une dizaine d’années. Jusque-là, ça va. Jusqu’au moment où l’intervenante a admis sans broncher qu’il n’y avait aucune famille d’accueil disponible. « Lors de son contre-interrogatoire, on finit par apprendre que l’enfant ne serait non pas confiée à une famille d’accueil, mais plutôt à un foyer de groupe tant et aussi longtemps qu’une famille d’accueil ne serait pas trouvée », écrit le magistrat dans son jugement rendu le 30 mars.

L’intervenante ne savait même pas à quel foyer de groupe elle irait, ni évidemment aucune idée où ce foyer serait situé.

Le juge Rioux déplorait aussi, alors que la stabilité de l’enfant est supposée être une priorité, que « depuis la dernière ordonnance [en juillet 2022], l’enfant a vécu à quatre endroits différents soit avec sa mère à Ville D, sa tante à Ville A, dans une famille d’accueil à Ville E et à Ville F suite à son retour avec sa mère. […] Ces changements de milieux ont fait en sorte que l’enfant a fréquenté quatre écoles différentes depuis septembre 2022. »

La DPJ ne sait pas où elle sera garrochée après. « Le Tribunal ne croit pas qu’il soit dans l’intérêt de l’enfant de la déstabiliser davantage. »

Voici ce que l’intervenante répond quand le juge lui demande pourquoi demander au tribunal un placement en famille d’accueil tout en sachant qu’il n’y en avait aucune de disponible. « Questionnée concernant ce stupéfiant manque de transparence de la personne autorisée, celle-ci affirme candidement, sans aucun malaise qu’elle n’a aucune intention de respecter l’ordonnance de la Cour si le Tribunal ordonne un placement en famille d’accueil. Elle déclare que “sa chef” l’appuie dans cette décision et qu’elle préfère que les droits de l’enfant soient lésés plutôt que de respecter le jugement de la Cour. »

C’est grave, « elle préfère que les droits de l’enfant soient lésés ».

Le juge n’en croit pas ses oreilles. « Vu l’absence de transparence de la personne autorisée, madame [Intervenante 1] et l’indifférence de celle-ci et de sa “chef” par rapport au respect d’un jugement de la Cour et des droits d’un enfant, le Tribunal ne peut avoir confiance en eux. […] De par leur position, l’intégrité et la responsabilité de la Direction de la protection de la jeunesse sont entachées. »

Et après, ils viennent se draper dans l’intérêt de l’enfant. « Il est à espérer qu’il ne s’agit pas d’une consigne généralisée à l’endroit des employés de la Direction de la protection de la jeunesse de ne pas respecter les jugements de la Cour et de maintenir des mesures inexécutables. »

Devant la « position irrationnelle » de la DPJ, le juge Rioux a ordonné que la fille reste chez sa mère, où elle voulait continuer à vivre, où elle n’est pas moins bien qu’ailleurs.

Le juge Rioux a demandé expressément que son jugement — ses commentaires — soit envoyé à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) pour que la DPJ puisse être rappelée à l’ordre. On imagine que la Commission accrocherait sur le fait que le magistrat écrit que, « encore une fois », la DPJ se place au-dessus des lois.

À la CDPDJ, on me dit ne pas avoir reçu le jugement.

La DPJ pourra continuer.

Ceux qui payent pour les ordonnances bafouées, ce sont les enfants. « J’ai un jeune de huit, neuf ans, un juge a ordonné qu’il sorte du centre de réadaptation. J’ai appelé pour voir s’il était sorti, on m’a dit qu’il n’était pas revenu à l’école, il y était encore ! Il y est resté 20 jours alors qu’il aurait dû être sorti, qu’il aurait dû être retourné [dans la ville où il était avant], avec ses amis », fulmine l’avocate Mylène L. Leblanc qui n’hésite pas à parler de « détention illégale ».

L’argument de la DPJ, à peu près toujours le même, on n’arrivait pas à trouver une famille pour ce jeune garçon. « À l’enfant, ils disaient qu’il ne pouvait pas sortir parce qu’il avait encore des choses à travailler. » Ce n’était pas vrai.

À force de démarches, l’avocate a réussi à le faire sortir de là.

Une autre avocate, qui travaille pour l’aide juridique, a talonné en vain la DPJ pour sortir une adolescente de 14 ans maintenue dans un centre de réadaptation — le dernier recours — comme un juge le lui avait ordonné. « Il a fallu que je me rende jusqu’à déposer un habeas corpus, ils lui ont finalement trouvé une famille le même jour. » Selon le Larousse, ce recours « a pour objet de garantir la liberté individuelle des citoyens en remédiant au danger des arrestations et des détentions arbitraires ».

On en est là.

Encore là, la CDPDJ avait été informée de la nonchalance de la DPJ, mais n’est pas intervenue. Informée par moi des recours entrepris par l’avocate, la Commission ne considère pas qu’elle aurait dû agir pour faire respecter l’ordonnance. « L’avocat/avocate qui représente le jeune a répondu au besoin de son client en prenant un habeas corpus en urgence », m’a répondu la conseillère en communications, Halimatou Bah.

L’avocate, elle, s’est sentie laissée à elle-même.

Cette avocate a même fait parvenir à la CDPDJ la liste d’une douzaine de noms d’enfants qu’on a laissés dans des lieux qui ne sont pas adaptés à eux, entre autres une « unité sécuritaire qui ressemble à une cellule avec des murs de béton, où ils sont censés rester un maximum de 48 heures. Il y a des enfants qui sont restés là plus qu’une semaine ! »

Si ce n’était que d’elle, « il n’y aurait même pas ce genre d’unité ».

Et quand elle défend un enfant, cette avocate a toutes les misères du monde à avoir l’heure juste. « C’est très difficile d’avoir des documents pour valider ce que les jeunes nous disent. Par exemple, je demande les notes pour un an, on m’envoie quatre pages, quatre pages pour un an! » Moins la DPJ en donne, moins cela peut se retourner contre elle.

Moins l’enfant est défendu, lorsqu’il a besoin de l’être. Reste donc la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, le seul chien de garde des enfants de la DPJ, en théorie. « Ils ne sont pas là quand on aurait besoin d’eux », déplore-t-elle après leur avoir envoyé cette douzaine de noms d’enfants.

Sans réponse.

Mais à quoi donc sert cette Commission? Au bout du fil, la vice-présidente responsable du mandat jeunesse, Suzanne Arpin, assure que « lorsqu’on reçoit une demande, on fait ce qu’on est censés faire, on enquête ». Mais du même souffle, elle tempère. « Régulièrement, on ne reçoit pas les ordonnances en lésions de droit ou bien on les reçoit un, deux mois plus tard. »

Elle est catégorique, « il faut que la DPJ respecte les ordonnances, c’est la base ».

Quelques jours avant notre entretien, la CDPDJ venait justement de recevoir un dossier où une ordonnance n’a pas été respectée. « On va enquêter, on va valider les choses, on va faire notre travail. Dès qu’une ordonnance n’est pas suivie, on intervient. On va appeler la DPJ, il y a peut-être un manque de ressources, il n’y a peut-être pas de place, ça peut être une raison. »

On excuse la DPJ, au lieu de la contraindre.

Le juge Rioux n’a pas été aussi clément. « L’absence de transparence et le non-respect d’une ordonnance de la Cour par le personnel de la Direction de la protection de la jeunesse ne constituent pas le remède approprié pour pallier la pénurie de famille d’accueil. »

Une ordonnance n’est pas une suggestion.