Chronique|

Changer un pays une femme à la fois

Fatoumata Bouaré et Foity Diarra travaillent à rendre meilleure la vie des femmes de leur pays.

CHRONIQUE / C’est écrit noir sur blanc dans la loi au Mali, le garçon doit avoir 18 ans avant de pouvoir se marier, la fille, 16. Ou moins, si elle a l’air d’en avoir 16.


Et, le plus souvent, elle ne choisit pas avec qui.

J’ai rencontré Foity Diarra et Fatoumata Bouaré à Québec mercredi, les deux Maliennes étaient de passage dans les bureaux d’Avocats sans frontière Canada avec qui elles travaillent dans leur pays pour qu’on arrête de considérer les femmes comme des enfants. «Il y a une subordination de la femme du berceau jusqu’au tombeau», résume Fatoumata.



Elles en savent quelque chose, elles qui sont nées et ont été élevées dans cette société patriarcale jusqu’à la moelle. Elles ont en commun d’avoir réalisé très tôt qu’elles devaient être soumises à leur père, leurs frères, plus tard à leur mari. « Je ne comprenais par pourquoi il y avait cette soumission extrême des filles. On nous disait comment s’assoir, comment manger. Il y avait toujours des interdictions », se souvient Foity.

Elle se rappelle aussi qu’elle n’avait pas la langue dans sa poche, ce qui, évidemment, n’était pas bien vu pour une fille. « On me traitait de petite blanche de la maison. »

Les deux ont aussi eu en commun d’avoir eu un père qui leur a laissé faire des études, alors que les autres retiraient leur fille à la première journée à l’école. « À la rentrée, on était 74. Les autres filles ont été déscolarisées et mon père, lui, m’a laissée. On était 18 élèves en classe et j’étais la seule fille autochtone », raconte Fatoumata.

Elle se rappelle la « grande fête » à la fin du primaire, « il y avait des ballons, des cadeaux ».



Les deux se sont rendues à l’université et, presque naturellement, elles ont épousé la cause des Maliennes. Fatoumata est devenue socioanthropologue pour comprendre les « goulots d’étranglement » qui contraignent les femmes. À la suggestion de son père. Foity a fait son droit, est allée travailler sur le terrain, dans le sud du pays, pour apprendre aux femmes qu’elles n’avaient pas être se soumettre aux hommes, non plus à faire exciser leurs filles, ni à les donner en mariage au plus offrant.

Elles l’ignoraient.

Foity a su, à ce moment-là qu’elle pouvait faire une différence pour ces femmes, et pour toutes celles du Mali. «J’ai vu leur vrai vécu, ce qu’elles enduraient. Je sentais que j’apportais quelque chose. C’est clair qu’arriver à un changement profond est un long cheminement, mais je voyais des résultats. Je recevais des témoignages très forts de gens qui ne savaient pas.»

Des femmes, mais des hommes aussi.

Pour un changement profond, il faut aussi s’attaquer aux lois, et il se trouve que les lois maliennes, encore aujourd’hui, sont bourrées de dispositions qui maintiennent la femme dans un état d’infériorité, qui en font en quelque sorte une enfant. « Les femmes, pour recevoir des soins dans une clinique de santé, devaient avoir la permission de son mari ».

Fatoumata, Foity et des dizaines de Maliens et Maliennes qui portent ce même combat s’attaquent à tous ces détails qui n’en sont pas.



Et ça fonctionne.

Lentement, il fait mieux être femme au Mali.

Des détails, presque des anecdotes vues d’ici, comme cette histoire que me raconte Fatoumata. « Il y a une femme qui a réussi à empêcher un mariage précoce et la déscolarisation d’une fille. Elle a approché les parents, elle leur a parlé des conséquences négatives et aussi des avantages de la scolarisation pour leur fille. Après, la famille a renoncé au mariage. »

C’est une sorte de tectonique des plaques. « Il y a beaucoup d’évolution, beaucoup de prises de conscience sur la violence basée sur le genre, observe Foity. Les femmes savent maintenant qu’elles peuvent aller quelque part pour avoir de l’aide. Avant, elles avaient peur, elles avaient peur de ce que les gens allaient dire. »

Et, chose inimaginable il n’y a pas si longtemps, elles sortent même dans la rue pour réclamer leurs droits. « Depuis un peu plus d’une année, on voit des marches, des manifestations, des plaidoyers pour un meilleur accès à la justice. On entend plus d’actrices et d’acteurs des villages qui prennent conscience et qui disent : " c’est assez « ! »

Il y a même eu, un peu comme chez nous avec les Premières Nations, une « commission justice et réconciliation » chapeautée par Avocats sans frontières Canada, comme d’autres programmes auxquels les deux Maliennes participent. « En les appuyant, c’est ça qui va changer le pays, la société, assure le directeur général d’ASFC, Pascal Paradis. C’est de l’intérieur que les sociétés changent, par ces femmes qui disent " ça ne se passera pas comme ça! " »

Lui aussi y a vu des changements. « Il y a des femmes qui me disent : " avant, on ne t’aurait pas regardé dans les yeux parce que tu es directeur général " et qui maintenant me regardent droit dans les yeux. C’est ça qu’on veut! »

Et quand on regarde dans les yeux, on lève la tête.



Fatoumata a 47 ans, Foity 30, elles sont encore animées par le sentiment d’injustice qu’elles ont ressenti toutes petites. Elles rêvent que de plus en plus de filles n’aient pas à se marier trop tôt ni à être excisées, comme Foity l’a été, elle n’avait pas deux ans. « On peut faire quelque chose. On a une raison d’être, on doit continuer. Je trouve ma satisfaction dans le fait de contribuer à ce que la vie ne serait-ce que d’une personne soit meilleure. Je suis très fière des sacrifices que je fais pour améliorer mon pays. »

Il serait si facile de baisser les bras, dans ce pays empêtré dans le marasme de la violence où les attaques djihadistes font encore trop souvent les manchettes et où la corruption gangrène le pouvoir. Où, contrairement aux racines du baobab, celles de la subordination des femmes aux hommes sont profondément enfoncées.

Sur cet arbre qui résiste, le vent souffle de plus en plus fort