Chronique|

La quatrième vie d’Ulysse

Mario Bergeron a dessiné tous ses livres sur une tablette.

CHRONIQUE/ «Aujourd’hui, ça ne me touche plus du tout négativement». Ça, c’est la mort de son fils, il y a 13 ans, à 21 heures et demie de vie.


Parce qu’Ulysse est encore là.

Il vit autrement, bien sûr. C’était quelques années après le décès, Mario Bergeron a recroisé un vieil ami qui lui a demandé s’il dessinait encore, ça lui a donné le coup de pied qu’il lui fallait. « Je me suis remis au dessin sur le iPad de ma blonde, je me suis dit que j’allais faire revivre mon garçon dans une histoire pour enfants. J’ai créé un personnage, Ulysse », m’avait-il raconté en 2016.



Comme dans la mythologie, il a donné à Ulysse sa Pénélope, qui est ici leur vénérable chatte, morte de vieillesse à 22 ans.

J’avais écrit son histoire il y a sept ans, Mario planchait alors sur son premier numéro – sans savoir qu’il y en aurait d’autres –, il avait lancé une campagne de sociofinancement pour amasser les quelque 5000 $ dont il avait besoin pour donner une deuxième vie à son fils. La campagne a super bien fonctionné, ça a donné Ulysse et Pénélope au zoo.

Puis, une deuxième histoire a germé, me raconte Mario, au bout du fil. « J’ai fait un deuxième livre. Étant donné le succès du premier, je me disais, dans ma naïveté, que tout le monde qui avait participé au premier livre allait être là pour le deuxième. » Mais non, l’engouement n’était plus le même. «J’ai compris qu’il ne faut rien tenir pour acquis. »

Il a encaissé le coup, durement. « J’ai eu une période de découragement. J’avais déjà commencé le troisième livre, en fait il était presque fini, mais j’avais laissé tomber. »



Pour diminuer le nombre de boîtes de livres empilées dans son garage, Mario a eu l’idée de vendre ses histoires dans des marchés de Noël, surtout que la deuxième aventure d’Ulysse et de Pénélope se passe au pôle Nord. Ça lui a redonné confiance, un peu. « En faisant les marchés, j’ai vu que j’avais un beau produit. On est souvent notre pire juge. »

Il voyait, surtout, que son histoire touchait les gens, quand il racontait qu’Ulysse continuait de vivre au travers de ses dessins, de ses livres.

Puis, encore une fois, une mort est venue le fouetter. C’était au début du printemps, un ami de sa blonde emporté par une crise cardiaque. «Ça m’a fait beaucoup réfléchir. J’ai eu une discussion avec ma belle-mère, je lui ai dit : “si je décède, il y a une chose qui va me déranger si je ne l’ai pas faite, c’est le troisième livre”... »

Et il s’y est remis. « J’ai décidé de tout faire pour que ça fonctionne. La vie est courte et quand on y croit, il faut le faire. Il faut faire confiance. Mes livres font du bien… Et ça me fait du bien aussi. Je me sens sur mon X, je fais quelque chose qui me tient à cœur. »

Ulysse et Pénélope et l'Halloween est la troisième histoire imaginée et dessinée par Mario Bergeron.

Il a même trouvé l’inspiration pour un quatrième livre. « Il est dans ma tête. »

Il est au même endroit que son petit Ulysse, à qui on a diagnostiqué une malformation pendant la grossesse, que lui et sa blonde ont mené à terme en sachant qu’il avait entre 50 % et 70 % de chances d’avoir une qualité de vie. Leur bébé est né en détresse respiratoire, ils ont dû prendre la difficile décision de le débrancher à moins d’un jour de vie.



À sa façon, Mario a donné une autre existence à leur enfant, mort dans leurs bras. « Ulysse, il n’y a personne d’autre que moi et ma blonde qui l’a vu. Pour les autres, il n’a pas existé. Mais il a vécu 21 heures et demie et encore aujourd’hui, il touche du monde. C’est beau quand même. Est-ce que c’est pour nous enseigner quelque chose qu’il est venu au monde? »

Mario a appris à se relever, à continuer. « C’était mon premier deuil, c’était une méchante claque dans la face. Mais on est passés au travers, on ne se laisse pas écraser. Aujourd’hui, ça ne me touche plus du tout négativement. »

Ulysse, aussi, c’est une puissante métaphore pour parler des deuils, quels qu’ils soient. « Je rencontre des gens qui vivent des deuils, ça nous permet de discuter. J’ai rencontré un homme qui avait perdu son emploi à cause de la pandémie, et sa femme aussi, ils avaient trouvé ça très difficile. Je lui ai parlé trois quarts d’heure, ça lui a fait du bien. Il ne faut pas minimiser un deuil. »

Il a traversé le pire deuil qu’on puisse imaginer. À côté de ça, se disait-il, les autres deuils font bien pâle figure. «Avant, je jugeais les autres deuils, j’aurais dit : “Ben voyons, c’est juste une job!” Mais j’ai connu quelqu’un qui a perdu sa job et pour qui c’était toute sa vie. Quelqu’un qui a perdu un chat, c’était peut-être le seul être vivant qui partageait sa vie. Avant, j’avais beaucoup moins d’empathie, moins d’écoute. Aujourd’hui, je ne juge plus. »

Il aide les autres à voir un peu de lumière.

Et chaque 25 avril, le jour où Ulysse est décédé dans ses bras, il se souvient. «Chaque année, le 25, moi et ma blonde on ne travaille pas. On fait une envolée de ballons avec nos deux filles. La vie continue. »

Avec Ulysse.

* Pour contribuer au troisième livre.