Chronique|

Si Martine avait pleuré...

Bernard Drainville en mêlée de presse à l'Assemblée nationale, jeudi

Quebec Education Minister and Levis MNA Bernard Drainville ponders a question after he apologized for the cancellation of the tunnel between Levis and Quebec City, Thursday, April 20, 2023 at the legislature in Quebec City. THE CANADIAN PRESS/Jacques Boissinot

CHRONIQUE / Dimanche au tout premier Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer, à quelques kilomètres du pont entre Pointe-à-la-Croix et Campbellton, la journaliste devenue ministre Martine Biron savait qu’elle n’y échapperait pas, au troisième lien.


Son premier « coup de vent », venu de son propre camp.

Martine a accepté, avec Paule Robitaille et Alexis Deschênes, l’invitation à venir parler de la «grande tentation» pour ces journalistes qui ont fait le saut en politique. Le sujet s’impose, nous sommes dans la Gaspésie de René Lévesque, et les organisateurs en ont profité pour souligner sa contribution au journalisme et, plus largement, au Québec.



Au dos des chandails officiels de l’événement, une citation du fondateur du Parti québécois, «être informé, c’est être libre».

Sur la scène de l’auditorium, devant une salle comble, Martine Biron sait qu’elle devra essuyer quelques salves sur la spectaculaire volte-face de son gouvernement à la fin avril sur le lien autoroutier entre Lévis et Québec. Et elle ne s’est pas défilée. « Ça a pédalé dans la saumure solide, on l’a appris à la dernière minute », lâche-t-elle d’emblée.

La ministre des Relations internationales et de la Francophonie a répété que la décision n’a pas fait l’objet de discussions en caucus, qu’elle et les autres ont été jetés dans la fosse aux lions. « Ça n’a pas été discuté et je l’ai dit publiquement. C’est difficile parfois, la ligne de parti, surtout quand il n’y en a pas… tu l’inventes, hein? » Elle affirme ne s’être « jamais sentie bernée ».

Sa ligne a été celle-ci : « Je pense que l’ascenseur doit remonter », en ajoutant qu’«il y a plein de projets. » Il n’en fallait pas plus pour qu’on lui reproche de faire de la vieille politique, d’avoir fait la «gaffe du siècle». Ce à quoi elle a répondu dimanche, «il y a des chroniqueurs qui vont manquer de superlatifs quand je vais faire une vraie gaffe. »



Elle sait, elle a été de l’autre côté.

Martine Biron aurait-elle pu pleurer le lien autoroutier?

L’ex-journaliste politique s’assume. « Ce n’était pas parfait, j’ai été critiquée, des gens qui ont perçu que je voulais avoir plus qu’ailleurs. Ça a été mal dit, finalement, mes mots de communicatrices ont été probablement mal choisis. Mais je vis avec ça, c’est correct. Le plus important, c’est d’être moi, de dire comment je le vivais. […] Je voulais dire que sans cette colonne qui était le troisième lien, il fallait trouver d’autres projets. »

Éric Trottier, le DG du Soleil, animait la rencontre, il a commencé une question :

- Des excuses ont été offertes par certaines personnes de votre parti…

- Par une.

Et vlan, elle n’allait pas tourner autour du pot, des excuses et des larmes de Bernard Drainville, qui a choisi la contrition. « Tu fais référence à Bernard. Bernard, lui, c’est comme ça qu’il le sentait et il l’a fait comme il le voyait, je respecte ça. Mais moi, bon, moi je l’ai fait comme moi je le voyais. Je ne sais pas comment j’aurais été jugée si j’avais versé une larme, par exemple, sur le troisième lien, je ne suis pas sure que ça aurait bien passé. Comme femme, je veux dire, une femme qui pleure, c’est un peu ordinaire. »



Et vlan encore. Elle sait qu’on aurait dit d’elle qu’elle était faible, qu’elle n’avait peut-être pas la couenne assez dure pour la politique, comme Lise Thériault avant elle quand, malheur, une larme avait fait couler son mascara en plein point de presse.

Les émotions, ironiquement, c’est pour les gars.

Le débat sur les glandes lacrymales des élus fait d’ailleurs les manchettes pas plus tard qu’il y a deux mois en France alors que la première ministre Élisabeth Borne a fait face aux «rumeurs» – c’est le mot employé par la presse – d’avoir versé quelques larmes en sortant de l’Assemblée nationale après avoir imposé un 49.3 – l’équivalent de notre bâillon – dans le controversé dossier des retraites.

Voici comment une de ses conseillères a réagi à la rumeur ébruitée entre autres dans le quotidien Le Monde : « À aucun moment elle n’a pleuré. […] Les clichés ont la peau dure : une femme politique qui traverse une épreuve doit pleurer. Raté, cela ne fut pas le cas. » Son collègue, le ministre du Travail Olivier Dussopt, s’est aussi porté à sa rescousse. « La première ministre est solide », a-t-il rétorqué, admettant du bout des lèvres un « moment d’émotion ».

Il a été catégorique, « elle ne pleure pas », bon.

Imaginez seulement une seconde si Justin Trudeau était une femme, lui qui a l’excuse et la larme particulièrement faciles, au point où on soupçonne le mauvais pli du professeur de théâtre qu’il a été. Drôle de hasard, je suis tombée sur un coup de gueule de Bernard Drainville au 98,5 FM du 7 juin 2019, où il dit, à propos de notre larmoyant premier ministre, « trop, c’est comme pas assez. »

C’est la même chose pour les excuses.

Ce qui est certain, c’est que les hommes politiques qui pleurent s’en tirent plutôt bien, on n’a qu’à penser à Obama, Bush, Clinton, qui n’ont pas hésité à sortir leurs mouchoirs devant les caméras. « Sur le plan du caractère, le fait de pleurer est associé à des personnalités qui ont beaucoup d’empathie », a déclaré en 2017 à l’AFP Lauren M. Bylsma, professeure en psychiatrie à l’Université de Pittsburgh et auteure de plusieurs études sur les larmes.



Les larmes nobles des vrais hommes, s’entend.

Pas celles des femmes.