Chronique|

Prières dans les ministères

Une fois encore, les valeurs canadiennes de liberté absolue de religion et la vision québécoise d’une société moderne et pluraliste où la prière se fait en privé, s’entrechoquent.

CHRONIQUE / Le gouvernement fédéral a aménagé une cinquantaine, oui, une cinquantaine de salles de prière pour ses fonctionnaires qui peuvent donc parler à Dieu sur les heures de travail aux frais des contribuables. Bof, direz-vous, les fumeurs aussi font des pauses.


Ce n’est pas la baisse de productivité chez les fonctionnaires fédéraux qui m’exaspère – bien que cela soit discriminatoire envers ceux qui ne prient pas - mais l’interprétation rigoriste du préambule de la Constitution qui affirme la «suprématie de Dieu». Pourtant le Canada n’a pas de religion officielle comme le Royaume-Uni et l’anglicanisme par exemple. Dieu peut donc dicter ses volontés à travers ses fidèles qui veulent prier au travail et la majorité des Canadiens qui ne le font pas ne peuvent surtout pas rouspéter.

Dieu est-il le vrai dirigeant du Canada? Quoi d’autre cette entourloupette légale permettra-t-elle? De travailler pour le gouvernement à visage couvert? J’oubliais, c’est déjà permis au fédéral.

Tout commentaire inquisiteur ou négatif de la part de citoyens sera considéré comme intolérant, voire islamophobe car les demandes pour des salles de prière proviennent de musulmans pratiquants qui s’imposent de prier cinq fois par jour. (Il est permis de faire les prières à la maison le soir.)

Six de ces salles de prière ont pignon sur rue au Québec, à Gatineau. Or, le Québec a officialisé la séparation du politique et du religieux avec la loi 21 sur la laïcité de l’État. Une fois encore, les valeurs canadiennes de liberté absolue de religion et la vision québécoise d’une société moderne et pluraliste où la prière se fait en privé, s’entrechoquent.

On peut dire sans se tromper qu’il s’agit d’un cas d’accommodement religieux tout sauf raisonnable. Il s’agit d’une décision piégée qui comporte sa part de conflits potentiels. Comme le soulignait Denise Bombardier dans une récente chronique, les Juifs orthodoxes et les musulmans ne prient pas en présence d’adhérents à des religions différentes. Combien de temps ces salles de prière multiconfessionnelles le resteront-elles? Sans oublier que les hommes musulmans et les Juifs pieux ne prient jamais côte à côte avec des femmes. Bel exemple du féminisme à géométrie variable du premier ministre Justin Trudeau.

Sans compter que certaines religions exigent des croyants qu’ils se lavent les pieds, les mains, les bras et le visage avant de prier. Ce qu’on appelle des ablutions, une forme de purification rituelle obligatoire. Va-t-on aussi aménager des salles de bain religieuses?

Pendant ce temps, le Québec refuse la présence de salles de prières dans les écoles demandées par des élèves musulmans appuyés par des organisations de défense de l’Islam. Parmi les groupes de pression qui se sont tournés vers les tribunaux, on remarque la présence de la Muslim Association of Canada (MAC) qui se réclame des enseignements d’Hasan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans, un des principaux groupes islamistes dans le monde. C’est sur leur site web, le www.macnet.ca

Comment contester l’évidence même ? En 2023, une école est un lieu d’apprentissage et pas un lieu de dévotions. À moins de fréquenter une école religieuse privée.

Ces demandes d’exceptions religieuses ne cesseront-elles jamais ? Probablement pas car l’obligation de respecter les pratiques et croyances religieuses font désormais partie de plusieurs conventions collectives d’employés de l’État fédéral, nous dit La Presse. Les syndicats, depuis longtemps libérés de tout caractère religieux, cautionnent donc des pratiques discriminatoires au nom de la non-discrimination.

Et puis il y a les Chartes des droits qu’on dit universels. Une bien bonne idée sur papier mais instrumentalisées pour permettre des pratiques injustes envers la majorité.

Mais où veut-on en venir? Quand demandera-t-on d’abolir les congés confessionnels traditionnels parce qu’ils sont d’inspiration chrétienne? Des mesures dites d’inclusion – ce qu’elles ne sont pas car elles divisent - ne suffiront jamais pour des gens qui rêvent d’instaurer la loi divine sur Terre.

Notons que ces salles de prière sont aménagées avec des fonds publics. Ça suffit ce carnaval des religions et c’est une croyante et pratiquante à temps partiel qui l’affirme haut et fort. Alors que le monde occidental se détache massivement des croyances et pratiques religieuses ancestrales voilà qu’on resserre l’étau de la foi dans l’enceinte même du gouvernement. (Il y aura aussi des salles dans les quartiers généraux des Forces armées canadiennes).

Le pire, c’est qu’on ne voit pas de solutions à l’horizon à moins que le Québec ne décide de couper les ponts avec le reste du Canada.

Cela s’appelle un cas de conscience.

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Lise Ravary est journaliste depuis 40 ans et a tout fait dans le métier, que ce soit à la radio ou dans des magazines et des journaux, de Montréal à Toronto, en passant par Londres et Alexandria, avant de devenir observatrice et commentatrice à temps plein. On peut lire ses opinions dans nos pages deux fois par semaine.