Chronique|

GameStop n’a pas dit son dernier mot

L’année financière 2022 a vu l’entreprise Gamestop perdre 313,1 millions $

CHRONIQUE / On a l’impression que l’entreprise GameStop (anciennement EB Games au Canada) est dans une pente descendante qui ne finit plus de finir. Si cette perception est plutôt le fidèle reflet de la situation sur le terrain, le dernier rapport annuel de l’entreprise permet toutefois de constater qu’il y a une certaine lueur au bout du tunnel. Elle devra toutefois opérer une transition majeure très rapidement si elle souhaite poursuivre ses activités dans les prochaines années.


On va aller droit au but, GameStop opère à perte... et de grosses pertes à part ça. L’année financière 2022 a vu l’entreprise perdre 313,1 millions $. En 2021, c’était un bilan négatif de 381 millions $ alors que les années précédentes ne sont guère mieux. Il faut revenir à 2017 pour trouver le dernier exercice financier bouclé dans le positif.

L’entreprise avait notamment fait grand bruit en fin d’année 2022 en connaissant son premier trimestre positif en plus de deux ans. Si la nouvelle avait fait les manchettes, il faut toutefois mettre en contexte que plus du tiers du chiffre d’affaires de l’entreprise se fait durant cette période qui comprend le temps des Fêtes. En 2021 et 2022, le détaillant y a réalisé respectivement 37 % et 38 % de ses ventes.



Mais la bonne nouvelle selon Michel Magnan, professeur et chercheur à la Chaire de gouvernance Jarislowsky de l’École de gestion Molson de l’Université Concordia, c’est que l’entreprise possède de bonnes liquidités ce qui lui donne une marge de manœuvre pour redresser son modèle d’affaire déficitaire.

« GameStop est dans une situation financière délicate, mais non critique à court terme, analyse l’expert. Ses opérations ne sont pas rentables, mais elle a pu générer des liquidités l’an dernier, notamment en réduisant ses stocks. Elle a relativement peu de dettes portant intérêt et détient d’importantes liquidités à court terme qui lui donnent une certaine marge de manœuvre pour redresser son modèle d’affaires. »

« Ils ont des liquidités qui peuvent les maintenir en vie pendant un an, peut être plus », analyse de son côté Frédéric Turcotte, conseiller en placement chez Valeurs Mobilières Peak.

La bannière a perdu 34 % de ses points de vente en 10 ans.

Un modèle d’affaires désuet

On s’entend que la vente de jeux physique n’est pas un domaine d’avenir. En début d’année, la Entertainment Retail Association (ERA) estimait que 90 % des ventes dans l’industrie étaient digitales. Ça inclut les jeux mobiles donc il faut prendre cette donnée avec un grain de sel, mais la tendance est lourde, très lourde à travers le monde.



Les données financières de GameStop confirment ce phénomène. Les ventes de jeux, neufs ou usagés, représentaient en 2013 un peu plus de 6 milliards de dollars. En 2018, déjà ce chiffre avait diminué à 3,8 milliards et en 2022, on parle de 1,8 milliard $.

La vente de consoles et d’accessoires se porte toutefois très bien avec des ventes de plus de 3 milliards $ en 2022. Ce secteur est toutefois cyclique en lien avec le lancement de nouvelles consoles. Ça m’étonnerait que les ventes soient aussi élevées en 2023 avec la Switch qui est un peu en perte de vitesse et le PS5 et la Xbox Series X/S qui sont disponibles depuis déjà trois ans. Des baisses de prix ou la sortie de très gros jeux comme le récent Tears of the Kingdom pourraient toutefois venir changer la donne.

Le secteur dans lequel GameStop fonde le plus d’espoir (et ça paraît en magasin) est celui des articles de collection. On parle ici des figurines, jouets, cartes et autre articles reliés à l’univers du jeu vidéo, des films ou de la culture populaire. De un, les marges de profits sont excellentes et de deux, c’est plus ou moins impossible d’acheter une figurine en format digital. Il y aura donc toujours un marché physique. La part du chiffre d’affaires de ces objets est d’ailleurs passée de 7,5 % en 2017 à plus de 16 % en 2022.

« À 16 % du total des ventes, c’est encore loin pour assurer une meilleure profitabilité. », indique toutefois M. Turcotte.

Le secteur dans lequel GameStop fonde le plus d’espoir (et ça paraît en magasin) est celui des articles de collection.

Plusieurs fermetures

Employant environ 11 000 salariés à temps plein et entre 14 000 et 27 000 personnes à temps partiel dépendamment de la période de l’année, GameStop mentionne avoir initié en 2022 une réduction du personnel qui se traduit visiblement par des fermetures un peu partout. L’entreprise ne compte maintenant plus que 216 magasins au Canada alors qu’elle en avait plus de 300 il y a à peine trois ans.

Dans le monde, on compte aujourd’hui 4 413 points de vente dont la majorité aux États-Unis (2949). On en comptait plus de 5500 en 2020 à travers l’Europe, l’Australie, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Canada. En 2012, il y avait 6 675 magasins actifs. La bannière a donc perdu 34 % de ses points de vente en 10 ans.



Ces fermetures pourraient se poursuivre puisque pas moins de 1723 baux viennent à échéance en 2023. L’entreprise pourrait en profiter pour fermer ou relocaliser plusieurs magasins pour tenter d’augmenter sa rentabilité.

Devant tous ces chiffres, il apparaît évident que l’avenir de l’entreprise ne se retrouve pas dans la vente de jeux. Il restera toujours une certaine clientèle qui aime mieux le format physique, mais elle est devenue trop marginale pour assurer le succès d’une chaîne. Et dans le petit segment de marché qui reste, la compétition s’appelle Amazon et Walmart...

La situation de GameStop n’est pas sans rappeler celle des clubs vidéo, qui faute d’adaptation face aux Netflix de ce monde, ont tous disparu. L’entreprise américaine peut toutefois compter sur le marché des consoles et celui des articles de collections pour garder la tête hors de l’eau. La question est toutefois de savoir si elle réussira à opérer cette transition à temps. Il en va de son avenir.