Et quand on souffre de la maladie de Lyme, ça veut dire 14 tours de calendrier à composer avec une panoplie de symptômes handicapants qui affectent toutes les sphères de la vie.
Presque une décennie et demie avant d’avoir finalement une réponse, une confirmation de ce qu’il suspectait depuis 2007.
« Les quatre premières années, je peux dire que j’ai vécu une descente aux enfers », résume l’Estrien
Faute de tests diagnostic précis, il a erré dans le système médical. C’est fréquent, avec Lyme. Trop fréquent.
J’y reviendrai. Parce que depuis plusieurs années, François-Olivier planche sur une solution en misant sur la recherche et le développement d’un outil de diagnostic.
« Il y a actuellement beaucoup de faux négatifs avec les tests actuels, et ça rend le tout encore plus difficile pour les malades », m’explique-t-il autour d’un café.
On jase longtemps, lui et moi.
De tout ce qu’est Lyme, de tout ce qu’elle a comme effet. De tout ce qu’elle change, de tout ce qu’elle freine.
Juste avant d’être infecté par la fameuse tique à pattes noires, le Sherbrookois était suffisamment en forme pour monter et descendre le mont Washington en moins de 12 heures.
« Je pesais alors 165 livres, je randonnais, j’étais en santé. »
Un an et demi plus tard, il était à 125 livres et avait perdu toute sa masse musculaire. Les douleurs présentes en permanence l’empêchaient de dormir. Nuit après nuit après nuit après nuit. Pendant quatre ans.
« J’avais fondu, j’étais au fond du baril. »
Les médecins cherchaient ce qu’il avait, sans trouver.
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« C’est complexe parce que c’est une maladie qui n’affecte personne de la même façon. Mais son caractère le plus commun, pour les gens qui en sont atteints, c’est qu’ils perdent le contrôle de leur corps. Les systèmes nerveux et musculaire peuvent être touchés, les organes internes aussi. »
C’est une saboteuse qui mine le moral en même temps qu’elle plombe la santé.
« Lorsque les malades disent qu’ils ne sont pas capables de sortir de leur lit, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas le moral. C’est parce qu’ils n’en ont pas la force. Ils sont constamment en douleur. »
La qualité de vie se détricote.
« Quand des gens qui ont déjà eu un cancer et qui ont maintenant la maladie de Lyme disent qu’ils reprendraient un cancer demain matin à la place de ça, c’est quand même assez frappant. Quand on l’a, on n’a pas le choix d’apprendre la résilience, de faire des deuils de sa vie. Sinon, c’est difficile de continuer sereinement. Tu ne passes pas au travers, tu vois ton futur en noir. »
François-Olivier, lui, avait 30 ans lorsque son futur a changé. Il venait de terminer sa maîtrise en pharmacologie, il allait poursuivre son parcours comme associé de recherche.
Avant de filer en Europe présenter les résultats de son mémoire, il avait mis le cap sur la Nouvelle-Angleterre avec un ami. Boston, le mont Washington et la trail Acadia figuraient au menu de ces petites vacances de randonnées et de camping sauvage.
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« On s’en allait vraiment au royaume des tiques. Je suis revenu avec des écorchures, des égratignures, des piqûres. »
Et la cible caractéristique d’une morsure de tique infectée, sur le mollet. Le fameux érythème migrant.
On parlait évidemment moins de la maladie de Lyme qu’on ne le fait en ce moment, il y a 18 ans.
« Je ne peux toutefois pas blâmer ma complète ignorance parce que pendant mon parcours universitaire, j’ai eu un professeur spécialisé en microbiologies et maladies infectieuses à l’UQTR. Il nous en avait parlé. »
Mais bon, il avait aussi évoqué quantité d’autres maladies. À 30 ans, surtout lorsqu’on est en forme comme l’était François-Olivier, on se sent invincible.
« Il y avait des pancartes, dans les sentiers, qui martelaient de faire attention aux tiques. Mais bien franchement, ça n’évoquait pas grand-chose pour nous. »
Une tique, après tout, ce n’est pas un ours, mais un minuscule insecte dont la morsure est indolore. Et même si on s’inspecte, elle peut passer sous notre radar tant elle est petite.
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« Lorsqu’elle est au stade de nymphe, la tique est grosse comme un grain de poivre. »
C’est petit, un grain de poivre, quand même. On peut facilement passer à côté.
« Une fois rendu en Allemagne, je me suis mis à être malade.»
Fièvre, frissons, nausée, symptômes grippaux. La totale.
« Je m’étais pris un billet de train pour me rendre jusqu’à Berlin. À Vienne, je me rappelle, j’avais un mal de cou terrible. J’étais incapable de tourner ma tête du côté gauche. »
Se sont ajoutés des migraines, des étourdissements, des palpitations cardiaques, des douleurs musculaires.
« C’est là que j’aurais dû aller consulter. En Allemagne. Mais je n’étais pas dans ma ville, je devais assister au congrès. J’ai fait ma présentation en étant très malade. J’étais épuisé. Au lieu de profiter du voyage, j’étais au lit à 18 h »
De retour au Québec, il allait mieux. Mais un mois plus tard, rebelote, François-Olivier était frappé par la même tempête dans tout son corps.
« Le torticolis est revenu une fois par mois. Puis une fois par semaine. Puis deux fois par semaine. Et ainsi de suite, jusqu’à devenir permanent. »
Aujourd’hui, ça fait 18 ans que François-Olivier cohabite avec la maladie et tous ses symptômes. Beaucoup d’inflammation, parfois le cerveau dans le brouillard, une douleur omniprésente, des troubles cardiorespiratoires, des symptômes neurologiques. Entre autres.
« Ça use. Tu dois adapter ta vie au complet. »
Au fil du temps, il a développé divers trucs pour se sentir mieux. Des automassages, des plantes, du yoga, des huiles essentielles, une hygiène de vie adaptée, du Tylenol, tout ce qui peut aider.
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« Ça m’aide à maintenir le statu quo, en quelque sorte. »
Il a lu sur le sujet. Beaucoup. Il m’a d’ailleurs apporté Healing Lyme, un livre abondamment documenté de Stephen Harrod Buhner. Dans chaque chapitre, il a surligné de nombreux passages en jaune.
« La bibliographie est pleine de références à des études scientifiques. Tous les médecins devraient lire les cinq premiers chapitres. Ça ouvre les yeux sur la complexité de cette maladie. »
Parce que la bactérie Borrelia burgdoferi a cette capacité de modifier ses protéines de surface d’innombrables manières. « Elle peut recréer différentes combinaisons antigéniques », me précise François-Olivier.
« Pour se dissimuler, elle affole le système immunitaire, elle génère des variantes. »
En résumé, je comprends c’est une super adaptative qui sait se jouer du système immunitaire.
Et la Santé publique ne la prend pas suffisamment au sérieux, insiste l’Estrien.
« Sa complexité fait qu’on la comprend encore mal. Et ce qu’on comprend mal, on ne s’en occupe pas suffisamment. C’est une bombe à retardement, parce qu’elle est bien présente au Québec. Mais comme on peine à la diagnostiquer, c’est comme si on ignorait le problème. »
Plus de 2500 personnes suivent le groupe Facebook de l’Association québécoise de la maladie de Lyme. Je fais défiler les publications où les membres commentent. Même douleur. Même errance dans le système médical. Mêmes difficultés au quotidien.
« Les gens vont consulter en psycho, en neuro, en physio, en gastro. Ils multiplient les spécialistes parce que leurs symptômes sont variés, et en cascades. On leur prescrit des antidépresseurs, ou d’autres médicaments, mais la source de tous leurs maux n’est pas prise en charge parce qu’il y a beaucoup de faux négatifs, avec Lyme. »
Lorsqu’elle est soupçonnée ou confirmée et qu’elle est traitée par antibiothérapie dès le début, rapidement, la maladie n’a pas le temps de s’installer.
Lorsqu’elle a eu la possibilité de se nicher dans tout l’organisme, c’est autre chose.
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« En 2009, j’avais des idées suicidaires. Je vivais une détresse profonde. Si je n’avais pas eu ma formation en sciences, peut-être que je n’aurais pas eu de lueur d’espoir. Je me suis dit qu’avec mes études en microbiologie pharmacologie, je pouvais faire quelque chose, que c’était ça, ma job. Si je ne le faisais pas, qui allait se lancer? »
La réflexion l’a amené à fonder Raspberry Scientific, une originale entreprise de recherche financée par… le vinaigre de cassonade (vinaigreriemcduff.ca, pour en apprendre plus et connaître les points de vente).
On s’était rencontré, lui et moi, pour causer de son original projet. Un produit alimentaire local d’exception qui sert de pilier financier à de la recherche scientifique, tout de même, ce n’est pas banal.
« En achetant notre vinaigre, que ce soit pour la maison, un restaurant ou une grande cuisine d’institution, les gens nous aident à agir contre la maladie de Lyme. »
Parce que l’argent, c’est toujours le nerf de la guerre en recherche, insiste François-Olivier.
La vinaigrerie, Raspberry, ça a été sa porte de sortie, l’espoir de mieux. Pour tous les malades. C’était sûrement aussi une façon de donner un sens à tout ça.
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Mais avant d’oser ce lancement en affaires, avant de passer en mode solution, il a vu sombre. Il m’en parle franchement, sans faux-fuyant.
« Des idées suicidaires, on en a tous. Tous ceux qui ont Lyme. Et plus d’une fois. »
Certains passent des idées aux actes.
« Tu sais, il y a eu six décès dans les deux dernières années, au Québec. Dont la présidente fondatrice de l’Association. Et il y a eu Amélie. »
Amélie Champagne, dont les médias ont beaucoup parlé. Elle avait 22 ans quand la maladie de Lyme est devenue trop lourde. François-Olivier est émotif lorsqu’il en parle.
« Amélie, tu vois, elle n’avait pas à mourir. C’est comme si le système l’avait laissée tomber. Ils l’ont renvoyé chez elle alors qu’elle était en souffrance. Personne ne devrait avoir à vivre une souffrance comme celle-là, mais encore moins être abandonné par le système de santé avec cette souffrance. »
La douleur, insiste François-Olivier, peut être extrêmement pointue. Et la souffrance avec elle.
« Nous, ce qu’on veut, avec Raspberry, c’est que les malades soient diagnostiqués le plus tôt possible, de manière non équivoque. Qu’on arrête au moins l’hémorragie, parce que plus on agit tôt, avec la maladie de Lyme, meilleures sont les chances de guérison. »
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Ça avance, ça augure bien.
« On prévoit déposer une demande de brevet provisoire d’ici la fin de l’année. On a dans notre mire de précommercialiser les tests l’an prochain. »
Ce que François-Olivier espère pour la suite tient en peu de choses.
« Souhaite-moi de vendre du vinaigre. Parce que si on fait ça, le reste va avancer. Et le reste va bien aller. »
Pour lui, pour d’autres aussi.
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