JMS. Votre entrée en politique a été fracassante. Je ne reviendrai pas sur vos échanges avec la CAQ. J’en ai déjà parlé. Mais vous qui aviez déjà beaucoup de notoriété dans votre milieu professionnel, vous en avez en quelque sorte acquis tout de suite pour cette élection avec cet épisode…
PP. Ça a été très difficile pour moi. Ma réputation a été attaquée. Il y a eu une campagne de salissage. Ce n’est pas l’entrée que j’espérais. J’espère que ce ne sera pas de nature à décourager des vocations politiques.
JMS. On ne vous accusera pas d’opportunisme politique. Vous avez joint un parti qui n’a jamais fait élire de député dans Jean-Talon. N’empêche que le Parti québécois est dans une dynamique. J’ai souvent estimé que c’était dû au fait qu’il s’assume comme il ne l’avait pas fait depuis longtemps. Mais je ne crois pas qu’on puisse dire que le PQ s’assume quand on le voit repousser la présentation du « budget de l’An 1 » au lendemain de la campagne.
PP. Le PQ s’assume entièrement avec ce document sur les finances d’un Québec souverain puisqu’on a annoncé que ça s’en venait en octobre.
JMS. Ça n’aurait pas fait un beau débat pendant la campagne?
PP. Est-ce que vous pensez que les gens de Jean-Talon auraient aimé que la campagne électorale perde deux semaines de débats sur les enjeux d’ici pour parler de cet enjeu-là? Il est extrêmement important, mais il n’est pas la priorité de demain matin dans Jean-Talon. Vous le savez , si on avait présenté le budget d’un Québec souverain pendant la campagne, c’est ça qui aurait été le sujet pendant une semaine, deux semaines. Peut-être plus. C’était une question de respect pour les gens de Jean-Talon, qui ont d’autres préoccupations dont ils nous parlent tous les jours dans le porte-à-porte : le coût de la vie, la crise du logement, l’environnement, les transports collectifs, les soins à domicile, la situation des aînés. C’est ça dont ils veulent parler.
JMS. La souveraineté n’intéresse pas?
PP. Les gens nous en parlent quand même. Nous, on s’assume. J’ai travaillé pendant 25 ans à l’échelle internationale et j’ai toujours été indépendantiste. Je ne suis pas gêné du tout d’en parler. Je réponds toujours très franchement. Mais le gouvernement restera le même pendant les trois prochaines années. Il n’y aura pas d’indépendance du Québec pendant les trois prochaines années parce que c’est un gouvernement fédéraliste. La question du budget d’un Québec souverain, ce sera au mois d’octobre et on a très hâte de présenter le document.
JMS. Parlons du tramway. Êtes-vous inquiet de l’avenir du projet?
PP. Ce qu’on sait, c’est qu’il y a une étude sur le bureau de la ministre [Geneviève Guilbault]. Mais on ne sait pas ce qu’il y a dedans. Il y a un enjeu de transparence extrêmement important là-dedans. (…) C’est un projet de la Ville de Québec, qui est largement financé par le gouvernement du Québec. Donc, là, il y a un enjeu qui est vraiment dans les mains de la ministre. Il faut qu’on ait l’information pour qu’on ait le bon débat. Pour que ce projet de transport collectif structurant avance, il faut qu’on ait les bonnes données sur la table. Parce qu’on le voit, l’appui populaire vacille. Mais ce n’est pas juste une question d’appui populaire. Il faut avancer avec des projets comme celui-là.
JMS. Vous êtes inquiet, finalement?
PP. L’enjeu de la transparence est essentiel à la réalisation du projet.
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JMS. Vous lancez un appel à la ministre?
PP. Oui, parce que plus on va être transparent, plus les gens, ici, dans Sainte-Foy et dans Sillery, et ailleurs à Québec, vont comprendre les tenants et aboutissants du projet; mieux on va être capable d’en discuter, mieux on va être capable d’avancer. Il faut un système de transport structurant.
JMS. Sur le tunnel sous-fluvial, le « 3e lien ». Le PQ a proposé un lien sous-fluvial doté d’un moyen de transport collectif, un train léger. C’est encore votre projet?
PP. J’ai toujours été opposé au projet présenté par la Coalition avenir Québec avant les dernières élections générales. Nous, on commence par des solutions pragmatiques : le 1er lien et le 2e lien. Le 1er, c’est le pont de Québec. Des décennies de tergiversations entre le CN, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec... Nous on dit : faisons l’acquisition du pont de Québec. On sera maître d’oeuvre du projet. Le 2e lien, c’est le pont Pierre-Laporte. On ne niera pas qu’il y a des enjeux de circulation. Là aussi, il existe des solutions pragmatiques à analyser. Je pense à une voie dynamique. C’est faisable. Pourquoi on n’analyse pas des solutions pragmatiques qui sont bonnes à court, moyen et long terme? Le troisième lien, pour nous, est toujours un élément auquel il faut réfléchir. Il faut mieux unir le centre-ville de Lévis et celui de Québec.
JMS. Le projet du Parti québécois n’est plus nécessairement un lien sous-fluvial, donc.
PP. À voir. Nous, on est dans l’opposition. Qu’est-ce qui se passe au gouvernement? Qu’est-ce qu’ils ont comme analyse? De combien parle-t-on? Ça marche comment creuser un tunnel sous le fleuve Saint-Laurent? (…) Ce que je dis, c’est qu’un 3e lien pour rendre le transport entre Lévis et Québec plus efficace, par transport collectif notamment, c’est une bonne idée. Il y a encore des problèmes de circulation. Il faut aussi unifier Lévis et Québec. Ça, c’est super important. Donc, oui, c’est possible. Réfléchissons-y. Mais, en premier, il faut de l’information.
JMS. Sur le projet d’une commission parlementaire sur l’identité de genre proposé par le chef du Parti québécois, j’ai écrit que, selon moi, ce n’était pas une bonne idée de se rendre là tout de suite — ni peut-être même plus tard; qu’il faudrait au moins circonscrire le sujet. C’est pourquoi j’ai écrit que le projet du gouvernement de passer par un comité de sages est le meilleur qui soit dans les circonstances.
PP. Paul St-Pierre Plamondon et moi en avons parlé et je suis entièrement d’accord avec lui. Ce que nous disons est qu’il y a des questions délicates qui sont soulevées actuellement sur toutes sortes d’enjeux, qui ont trait notamment au système public d’éducation. Ce qu’on veut éviter, nous, c’est qu’il y ait des nouvelles façons de faire, des nouvelles pratiques, des nouvelles idées qui soient imposées par des idéologues sans qu’on puisse en discuter calmement comme on est capable de le faire au Québec. (…) Ce que j’aime du Parti québécois, c’est que c’est un parti social-démocrate, un parti profondément généreux, ouvert au monde, ouvert à la différence. On évite justement les extrêmes à droite et à gauche. On est capable de réunir les Québécoises et les Québécois dans de nouvelles façons de faire, dans de nouveaux débats. On est une société ouverte et on est capable de discuter calmement.
JMS. Une balle facile et gratuite... : le placement publicitaire de Québec Solidaire sur Meta-Facebook. J’imagine que ça a une signification pour vous.
PP. Oui, et tellement importante! Nous, on s’est posé la question trois quarts de seconde et on s’est dit qu’on n’allait pas là. Je suis en politique pour des raisons de principe. J’ai abandonné une carrière dans le plus grand cabinet d’avocats du pays — j’étais un avocat d’affaires — et je suis retourné dans mon appartement, tout seul, avec 500$ dans un compte en banque pour Avocats sans frontières. Je l’ai fait par conviction. On peut faire quelque chose contre Meta. On peut se lever debout. On peut être un exemple.
JMS. Finalement, votre décision de ne pas placer de pub sur Meta — ce qui vous empêche de joindre certains électeurs, c’est vrai — cette décision-là, elle joue finalement en votre faveur, non? Québec solidaire se trouve sur la défensive depuis quelques jours.
PP. C’est l’analyse que vous faites. Mais c’est sûr que, pour moi, cette affaire constitue un élément distinctif. Pour moi, c’est un message aux électeurs et aux électrices de Jean-Talon. On ne donnera pas un sou à Meta.
JMS. Pouvez-vous me citer une idée ou un projet de la CAQ, ou de l’un des partis d’opposition, avec lequel vous êtes en accord?
PP. Cette question nous ramène à ce qu’est l’essence de la politique. Je pense que ce système, où il faut toujours être dans la critique, c’est dur, c’est fatigant. En réalité, c’est sûr qu’il y a des choses dans le programme de Québec solidaire, dans le programme du Parti libéral, dans le programme de la Coalition avenir Québec où il existe des points de convergence. Quand je vois que tous les partis se sont réunis au Sommet sur l’itinérance, je trouve que c’est un bon signal.
JMS. Le mot de la fin vous revient.
PP. Chaque soir, je me couche en me disant que c’est extraordinaire ce que je suis en train de vivre. La fenêtre sur la vie des gens et leurs préoccupations que la campagne offre, j’en ai la chair de poule rien que de vous en parler. On vit le contact avec les gens dans nos tripes.