Le lithium est un élément d’apparence métallique qui, à cause de sa nature chimique, a une très forte tendance à «abandonner» un électron pour se transformer en «ion» — soit une molécule porteuse d’une charge électrique. C’est en partie cela (et d’autres caractéristiques du lithium, j’y reviens tout de suite) qui fait des batteries au lithium, aussi appelée batteries lithium-ion ou Li-ion, la technologie la plus performante parmi celles qui sont présentement disponibles sur le marché.
Elles offrent la meilleure densité énergétique (soit la quantité d’énergie qu’on peut faire entrer dans un volume ou un poids donné), permettent d’atteindre de plus grandes puissances, conservent mieux leur énergie et résistent mieux aux cycles de charge-décharge que les autres types de piles présentement disponibles sur le marché.
Pas étonnant, donc, que des engins aussi remarquables trouvent d’innombrables applications, non seulement dans les voitures électriques et les hybrides rechargeables, mais aussi dans des tonnes d’appareils électroniques comme les cellulaires — lesquels ne pourraient d’ailleurs pas être aussi minces qu’ils le sont de nos jours si ce n’était des Li-ion.
Mais voilà, rien n’est parfait en ce bas monde. Car si le lithium est très en demande depuis quelques années, il n’est pas particulièrement abondant dans la nature. Il ne constitue que 0,0016 % de la croûte terrestre, il n’y a pas ou peu d’endroit où il est naturellement concentré et en produire de grandes quantités est assez fastidieux (et polluant).
D’où l’idée de lui trouver des substituts. Et à cet égard, il s’adonne que le sodium (symbole chimique : Na) partage plusieurs des caractéristiques du lithium, notamment cette tendance à se débarrasser d’un électron pour devenir un ion, parce que les deux font partie de la même famille chimique, les métaux alcalins.
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Et contrairement au lithium, le sodium, lui, abonde sur Terre : pas moins de 2,5 % de la croute terrestre est faite de sodium (presque 1600 fois plus que le lithium !), et il est aussi aussi bien présent dans l’eau de mer, représentant environ 1 % de son poids. En outre, on en produit déjà de grandes quantités lors de la fabrication du chlore (Cl) à partir de l’équivalent de notre sel de table (NaCl), soulignait récemment le magazine spécialisé Chemical and Engineering News.
Alors sans surprise, le sodium se vend spectaculairement meilleur marché que le lithium : autour de 800 $ la tonne métrique pour le premier, contre environ 50 000 $ la tonne pour le second — et encore, le lithium a connu une forte baisse de prix ces derniers mois puisqu’il oscillait autour de 75 000 $ la tonne à la fin de 2022.
On comprend donc le fort intérêt qu’il y a, en recherche et dans l’industrie, pour développer des batteries au sodium performantes. La Chine compte même déjà quelques usines en opération ou en construction, notait le New York Times plus tôt ce mois-ci.
Pas demain la veille
Sauf qu’avant que le Na ne remplace le Li dans les voitures, cela risque de prendre un sacré bout de temps — si cela arrive un jour —, car les batteries au sodium n’offrent pas les mêmes performances que le Li-ion. D’abord, le sodium ne permet pas d’atteindre les mêmes densités d’énergie que le lithium, ce qui impliquerait de réduire beaucoup l’autonomie d’une voiture à batterie au sodium. Et ce n’est pas seulement une question d’efforts d’ingénierie, mais carrément de limites physiques, explique Dominic Rochefort, chercheur en chimie à l’Université de Montréal qui travaille beaucoup sur le développement de nouvelles technologies de piles.
«Une différence fondamentale entre les deux, dit-il, c’est que le lithium est un ion beaucoup plus petit que le sodium. Ça implique qu’on ne peut pas utiliser les mêmes matériaux pour les électrodes [ndlr : dans une batterie, les charges électriques voyagent d’une électrode à une autre pendant la décharge, puis en sens inverse pendant la recharge] et comme le sodium est plus gros, les matériaux dont on se sert pour les électrodes vont prendre plus de place, donc la densité d’énergie va être plus faible.»
Les deux types de pile se servent du même principe (bien qu’avec des matériaux différents) pour leurs électrodes, soit l’«intercalation», explique M. Rochefort. Grosso modo, cela signifie que les électrodes sont faites comme des séries de «plaques» superposées, et les ions (Li ou Na) viennent s’intercaler entre les «plaques». Or à cet égard aussi, la taille des ions joue contre le sodium.
«Comme le sodium est plus gros, dit-il, quand il entre et sort des électrodes, il cause une plus forte expansion/contraction du matériau. Et ça, ça vient limiter la durée de vie des batteries au sodium parce que ça cause une fatigue des matériaux plus rapidement qu’avec le lithium. Pour les batteries Li-ion, on parle d’une durée de vie de 2000 à 3000 cycles de charge-décharge, alors que c’est seulement quelques centaines avec le sodium.»
Ça n’est donc pas demain la veille, et peut-être jamais, qu’on verra des voitures électriques avec des piles au sodium — ce qui est un peu dommage pour les pays nordiques parce qu’elles résistent mieux au froid que leurs «cousines» Li-ion. Mais M. Rochefort leur entrevoit quand même une utilité potentiellement très grande dans le futur.
«Je dirais que le principal avantage des batteries au sodium, c’est la grande disponibilité des matériaux, tant du sodium lui-même que ceux des électrodes, commente-t-il. Comme ils sont plus abondants et moins dispendieux, on peut faire beaucoup de batteries, et des très grosses. Ça veut dire que pour des applications qui sont très exigeantes sur certaines performances, comme dans les voitures, ça ne marche pas, mais que c’est très bien pour emmagasiner l’électricité produite par le solaire ou l’éolien.»
En effet, un gros inconvénient du solaire et de l’éolien est que ce sont des sources dites «intermittentes», qui ne produisent pas tout le temps ni forcément quand on en a besoin. Une manière de contourner ce problème est de stocker l’énergie quand la production est forte pour pouvoir s’en servir plus tard, quand le soleil se sera couché ou que le vent sera tombé.
«Ce genre de stockage-là, ça se fait déjà un peu avec le lithium, explique M. Rochefort, mais quand on pense aux quantités d’éoliennes et de panneaux solaires qu’on va avoir dans les prochaines décennies, c’est sûr qu’on n’aura pas assez de lithium pour ça et les coûts vont devenir prohibitifs très rapidement. Et c’est là que les batteries au sodium pourraient jouer un rôle.»
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