Chronique|

Éric Morasse, visage de la résilience

Le visage d’Éric Morasse s’illumine en pensant à ses filles qui le regardent avec amour.

CHRONIQUE / Éric Morasse ne voit plus son reflet dans un miroir, mais il peut se le figurer. Devenu aveugle à la suite d’un accident causé par une arme à feu, l’homme de 38 ans n’a pas besoin de croiser notre regard pour savoir qu’il attire l’attention, suscite la curiosité et soulève des questions. Entouré de l’amour de ses deux fillettes, leur papa tourne vers elles son visage plein d’espoir. Il pourrait devenir la deuxième personne à subir une greffe faciale au Canada. Voici l’histoire de sa bouleversante reconstruction, le portrait de la résilience dans sa forme la plus pure.


Éric a grandi et vit toujours à Trois-Rivières où il aspire à reprendre la vie là où tout a failli s’arrêter. Le jeune homme y rencontre des personnes qui l’encouragent en ce sens. Lise Michelin est du nombre. C’est chez elle que nous avions rendez-vous. Il est comme un fils pour celle qui le regarde avec les yeux du coeur.

Des photos d’Éric sont déposées sur la table de la cuisine. Ici, il pose avec ses filles, là, avec son casque de gars de la construction.

«J’aimais ça travailler dehors», me glisse cet amateur de plein air qui s’adonnait à la chasse et à la pêche, été comme hiver, en compagnie d’un épagneul springer anglais appelé «Matt» par Naomie et Anaïs. Comme leur père, elles avaient chacune leur quatre-roues pour s’aventurer avec lui dans les sentiers.

Séparé depuis environ un an, Éric traversait une période plus difficile au printemps 2020. À cela s’ajoutaient une pandémie, des mesures de confinement, une pause forcée du travail, une solitude de plus en plus lourde à porter et le reste…

Éric était seul à la maison au moment de l’accident survenu le 26 mai 2020. Sans jamais perdre conscience, poussé par un incroyable instinct de survie, le jeune homme a réussi à sortir de la maison où un voisin l’a aperçu et lui a porté secours jusqu’à l’arrivée des ambulanciers.

«On t’endort», lui ont-ils dit sans plus attendre. Le jeune homme était vivant, mais allait-il survivre?

Il s’est réveillé un mois plus tard à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, à Montréal. Plongé dans le noir, Éric ne voyait plus, conséquence directe de la balle qui l’avait défiguré en traversant son crâne sans toucher le cerveau.

«Il n’avait plus de visage, pas de mâchoire du bas, pas de mâchoire du haut, pas de nez...», décrit le chirurgien plasticien montréalais, le Dr Daniel Borsuk, dans un des premiers épisodes de la série Chirurgie plastique: Reconstruire la vie à laquelle Éric a participé.

Le médecin spécialiste s’est notamment servi de la peau et du muscle de la cuisse droite d’Éric pour refermer la plaie béante, refaire sa langue, l’intérieur de sa bouche et de ses lèvres afin de lui permettre de s’alimenter et de parler le mieux possible.

Après deux mois d’hospitalisation, Éric est revenu à Trois-Rivières, au Centre de réadaptation en déficience physique (Interval) où, non voyant, il devait apprendre à trouver ses nouveaux repères.

«J’aimais ça. J’avais de quoi à faire. Je me pratiquais à marcher avec une canne blanche, à cuisiner, à manger», raconte Éric qui a été gavé avant de passer à la nourriture en purée. Aujourd’hui, il réussit à ouvrir sa bouche suffisamment grande pour pousser vers les dents qui lui restent des aliments préalablement coupés en très petits morceaux.

Éric n’est pas rentré directement chez lui après ce mois à apprivoiser sa nouvelle réalité. De son propre chef, il a demandé à être admis pour quelques semaines en psychiatrie, le temps d’encaisser tous ces bouleversements dans sa vie.

«Je trouvais ça dur… Qu’est-ce que j’allais faire? Je ne voyais plus rien, je n’avais plus de job. Je me rendais compte de tout ce que j’avais perdu.»

Dans un élan du coeur, Lise Michelin accompagne Éric Morasse depuis le premier jour de leur rencontre, il y a trois ans. «Il est tellement une belle personne, il fait tellement des efforts. Je suis là pour l’épauler dans ses démarches.»

C’est à ce moment-là que sa route a croisé celle de Lise Michelin. C’était à l’automne 2020. La conseillère communautaire était alors directrice du SRAADD, un organisme de défense des droits en santé mentale.

Au fil de leurs rencontres, Lise et Éric se sont liés d’amitié.

«Il est tellement courageux!», souligne la préretraitée avec admiration pour celui qui vit seul dans sa maison de deux étages, en s’occupant de tout comme avant l’accident et la perte de sa vue. Le jeune homme cuisine sa propre sauce à spaghetti, passe la tondeuse, a assemblé son nouveau barbecue, a construit son garage…

Adroit de ses mains, Éric est aussi ingénieux. Manifestement doté d’un sixième sens, il a développé une multitude de trucs pour se retrouver à l’intérieur comme à l’extérieur de chez lui où Naomie, 10 ans, et Anaïs, 8 ans, viennent régulièrement le visiter.

«Comment tu fais papa? Tu ne vois pas, mais tu sais tout ce qu’on fait!», lui a fait remarquer l’autre jour la benjamine, après qu’Éric lui eut demandé ce qu’elle faisait là, à fouiller dans les armoires.

«Elles n’ont pas eu peur», me dit-il lorsque je lui demande comment ont réagi ses filles en voyant son nouveau visage pour la première fois.

Très attachées à leur père, elles le couvrent de câlins et utilisent le transport adapté pour aller faire les courses et diverses activités avec lui.

«Je n’ai plus d’auto...», laisse tomber Éric qui a dû faire le deuil de sa roulotte, de son bateau, de sa motoneige… «J’ai tout vendu. Ça m’a fait de la peine en maudit», avoue l’homme qui, guidé par la voix enjouée de ses filles, arrive à les suivre de près à bicyclette, en patins à roues alignées et le long des murs d’escalade.

Naomie et Anaïs ont hérité de la résilience de celui qui ne voit pas les regards insistants que des petits et grands posent sur lui en public.

«Si ça te dérange, tourne les yeux», ne se gêne pas pour leur dire Lise lorsqu’elle s’aperçoit que leur façon de dévisager Éric frôle le manque de respect.

Ce dernier évite d’en faire grand cas, comme la fois où une fillette a fait ce commentaire à l’une de ses cocottes: «Il est donc ben laid ton père.»

«C’est une enfant», l’excuse Éric. Soit, mais si je peux me permettre, ses parents ont peut-être manqué une belle occasion d’initier celle-ci à l’empathie.

Éric Morasse travaillait dans le domaine de la construction avant d’être gravement blessé par une arme à feu. Le père de deux fillettes de 10 et 8 ans exprime aujourd’hui le souhait qu’à travers son histoire, ceux et celles qui traversent «une mauvaise passe» s’accrochent à l’espoir «que ça va passer, qu’un jour, ça va aller mieux». De l’aide existe.

Heureusement, Éric rencontre sur son chemin une majorité de personnes qui font preuve de sensibilité à son égard. Le charpentier-menuisier est un habitué des quincailleries où des employés et clients le reconnaissent et le saluent.

«Lâche pas! Continue!», l’encouragent-ils.

«Ce n’est que du positif!», ajoute Lise, ravie de constater que ces gens sont, comme elle, inspirés par son ami qu’elle a voulu aider dès l’instant qu’ils ont fait connaissance, il y a trois ans.

En voyant le visage d’Éric, Lise a aussitôt pensé à un épisode de l’émission Découverte dans lequel on nous présentait le docteur Daniel Borsuk et son patient, Maurice Desjardins, ce Québécois qui a reçu en 2018 la première transplantation faciale au Canada.

«Éric mérite une seconde chance. À l’âge qu’il a, il faut faire quelque chose», s’est dit la femme avant de lui demander la permission de faire parvenir des photos de lui au chirurgien plasticien de renommée internationale.

«Ça a du sens», a été la réponse d’Éric en faisant pleinement confiance au médecin touché par la détermination de celui qui est devenu son patient.

«Le docteur Borsuk l’adore!», témoigne Lise qui accompagne son protégé à chacun de ses rendez-vous qui se sont déroulés sous l’oeil des caméras du docuréalité produit par Zone 3. La suite de son parcours reviendra sur nos écrans plus tard à l’automne, dans une nouvelle saison diffusée sur Moi et cie.

Dans un précédent épisode mettant Éric en vedette, on a pu voir Marcel Desjardins qui revient sur les étapes entourant cette délicate intervention d’une trentaine d’heures. On nous présente également le bon docteur Borsuk, mettant cartes sur table en parlant des risques de mourir durant la chirurgie, des complications et infections, de la longue période d’hospitalisation, des nombreux suivis médicaux et des médicaments anti-rejets que le greffé doit prendre le reste de sa vie.

Après avoir longuement réfléchi, pesé le pour et le contre, Éric Morasse a décidé d’aller de l’avant. La date de la greffe de visage reste à être déterminée. Le processus est long, l’attente l’est tout autant, mais la patience de cet homme n’est plus à prouver. Et que dire de la force physique et mentale qu’il lui faut pour accepter de traverser une pareille épreuve.

Il est prêt. Éric se lance en ayant une pensée pour Naomie et Anaïs.

«J’aimerais refaire ma vie là où je l’ai laissée. J’aimerais que mes filles soient fières.»

Elles le sont déjà, tout comme Lise qui reste à ses côtés en lui disant encore et encore: «N’oublie pas comme on t’aime!»

Éric sourit timidement, les yeux brillants: «Oui, je le sais.»