Chronique|

Une belle et longue cicatrice

Annie Gilbert a eu envie de plonger dans ses souvenirs d’enfance où la maladie a graduellement fait place à la santé.

CHRONIQUE / Visible dans le cou, une cicatrice remonte vers le côté droit de sa tête avant de disparaître dans ses cheveux bouclés et grisonnants. Immanquablement, cette trace profonde sur sa peau suscite la même question. Que lui est-il arrivé?


Un mot revient constamment dans le récit d’Annie Gilbert: bienveillance. Je n’ai pas compté le nombre de fois qu’elle l’a prononcé, mais à tout coup, son visage s’est illuminé comme le portrait sur le tableau derrière elle, celui-là même qui a inspiré la page couverture du bouquin déposé sur sa table de cuisine.

«Je suis passionnée par mon histoire. Je n’ai pas écrit un livre pour rien!»

La femme de Trois-Rivières revenait tout juste d’un séjour dans sa région natale, en Abitibi-Témiscamingue. Exceptionnellement, cette infirmière à la retraite avait fait la route en train, comme lorsqu’elle était un poupon qui dormait dans les bras de sa mère pendant les dix-sept heures que durait le trajet entre l’ancienne gare de Macamic et celle de Montréal.

«Pour la première fois de ma vie, j’ai pu voir les villages de Clova, Parent et tout cela. C’était fort sympathique!», s’exclame celle qui tenait à faire ce voyage au coeur de la nature et de ses souvenirs lointains.

Annie a aujourd’hui 57 ans et le désir de remercier ceux et celles qui, à l’image de cette ineffaçable cicatrice, ont marqué son enfance durant laquelle la maladie a graduellement cédé le passage à la santé.

La benjamine d’une famille de sept enfants n’avait que quelques heures lorsqu’on lui a diagnostiqué une méningite qui a aussitôt été traitée et guérie. C’est du moins ce qu’on croyait jusqu’à ce que la mère d’Annie constate que la tête de son bébé de 4 mois grossissait anormalement.

Le pédiatre de l’hôpital de Rouyn-Noranda n’a pas mis de temps à réagir. Il s’agissait vraisemblablement d’une hydrocéphalie. La bambine devait être examinée de toute urgence par des spécialistes de Sainte-Justine.

Or, je vous rappelle que nous sommes en 1966. Il n’y avait pas d’avion-ambulance pour transporter le nourrisson qui est monté à bord du train avançant dans la forêt, au beau milieu de la nuit.

À l’époque, la cohabitation n’était pas encouragée comme c’est maintenant le cas dans les hôpitaux pour enfants. Le Manoir McDonald, voisin de Sainte-Justine, n’existait pas encore pour accueillir à prix modique les familles de jeunes patients provenant des régions éloignées. La mère d’Annie n’a pas vraiment eu le choix de laisser sa fille aux bons soins de l’équipe médicale afin de retourner dans son village de Sainte-Germaine-Boulé pour s’occuper du reste de la marmaille.

Quelques jours plus tard, ce fut au tour de son mari de faire l’aller-retour pour venir signer un formulaire de consentement opératoire.

Aujourd’hui, on enverrait un fax ou un courriel, on ferait une conférence téléphonique ou virtuelle avec les parents qui, mieux encore, seraient déjà sur place. Dans le temps par contre, le père d’Annie, un cultivateur, a embarqué dans le premier autobus pour Montréal et a prié...

Sa p’tite dernière devait subir une délicate intervention chirurgicale pour diminuer la pression du liquide dans sa tête.

«Il est écrit dans mon dossier que c’était à la limite de l’opérabilité», souligne Annie qui a subi une «dérivation ventriculo-atriale». On lui a installé un tube de drainage allant du cerveau jusqu’au coeur, en passant par la veine jugulaire, ce qui explique sa longue cicatrice.

Si l’opération n’avait pas été un succès, la femme ne serait probablement pas en train de me décrire l’intervention dans les moindres détails, pas plus qu’elle aurait écrit un ouvrage de quelque 200 pages relatant son parcours en neurochirurgie, entre l’âge de 4 mois et 7 ans.

Des problèmes de santé sont survenus en 1972. La fillette avait 6 ans. Ce serait trop long à tout rapporter ici, mais retenez ces mots-clés: crise de convulsions pendant 75 minutes, deuxième opération pour changer la valve qui ne fonctionnait plus, deuxième méningite, nouveaux traitements, encore des complications, une autre chirurgie, une péritonite, le retrait de la valve...

Je m’arrête ici. Vous lirez son livre intitulé «Gratitude». Annie Gilbert a une belle plume et une facilité pour expliquer les symptômes, les diagnostics et tous les soins reçus.

La Trifluvienne d’adoption n’a gardé aucune séquelle alors qu’elle aurait pu avoir des problèmes de langage, de vision, d’équilibre… La cicatrice est son seul «vestige», sourit la femme qui en est fière.

Sa reconnaissance est infinie envers ces hommes et femmes qui ont gravité autour de l’enfant malade qu’elle était. «Ils avaient une immense compétence!»

Et de la bienveillance, bien entendu...

En disant cela, Annie Gilbert ne peut s’empêcher de prendre dans ses bras une poupée de laine, un cadeau d’anniversaire que lui avait fabriqué une infirmière qui veillait sur elle en l’absence de ses parents demeurés en Abitibi.

«C’est tellement précieux…», dit-elle au sujet de celle qui l’a prise sous son aile durant ses séjours à l’hôpital, loin des siens.

Annie Gilbert l’a retrouvée vers l’âge de 20 ans, pendant ses études pour devenir infirmière, après avoir réalisé un travail de session sur la méningite.

«Quand j’ai compris comment on pouvait en mourir rapidement ou rester avec des séquelles graves, je me suis intéressée à mon histoire et j’ai fait venir mon dossier médical de l’hôpital Sainte-Justine. Je l’ai étudié à fond et j’ai voulu remercier les gens qui m’avaient soignée.»

La Trifluvienne d’adoption a gardé de nombreux souvenirs de son enfance à multiplier les séjours et rendez-vous de suivi à Sainte-Justine, dont cet album à colorier qu’une «garde-malade» prenait le temps d’embellir avec la petite fille de l’Abitibi.

«Oui, il y a eu des moments troublants. J’ai pleuré à l’hôpital, j’ai eu de la douleur, mais l’expérience, dans son tout, n’a pas été trop dramatique. J’ai eu des soins bienveillants!», me répète Annie en pensant à ce neurochirurgien qui avait proposé à la fillette de 6 ans de se diriger vers la salle d’opération avec son ourson en peluche au creux de ses bras.

«Il a été ma figure paternelle. Il était ma sécurité et ma joie», se souvient la femme qui a eu envie de partager ce qu’elle a vécu et ressenti durant cette enfance pas comme les autres.

«Il fallait que je me souvienne et que je raconte cette belle histoire!»

En prévision de la rédaction de son livre, Annie Gilbert a fait un véritable travail d’archiviste. Elle a mis la main sur tous les renseignements médicaux la concernant en plus de répertorier les noms des personnes soignantes qui ont croisé sa route.

Certaines d’entre elles ont même reçu ses remerciements de vive voix, comme cette anesthésiste qui a su réagir avec doigté et célérité lorsqu’Annie a fait un arrêt respiratoire à 4 mois, au moment de passer un examen risqué qui n’existe plus aujourd’hui, mais qui, en 1966, permettait de diagnostiquer l’hydrocéphalie.

Annie Gilbert a rencontré cette femme peu de temps avant son décès. Un beau moment à jamais gravé dans son coeur.

«Au-delà d’écrire ma gratitude, je l’ai vécue!», dit-elle avec reconnaissance pour les membres de sa famille qui l’ont aussi accompagnée sur le chemin de la guérison, que ce soit en train, en autobus ou en pensée.

Pour se procurer son livre édité à compte d’auteur: annie27@oricom.ca