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La gâchette néodémocrate

Officiellement, le NPD de Jagmeet Singh appuie l’interdiction des armes d’assaut. Dans les faits, ses députés sont déchirés. Plusieurs (10 sur 25) représentent des circonscriptions rurales, nordiques ou à forte concentration autochtone, des endroits où le contrôle des armes ne fait pas l’unanimité.

CHRONIQUE / Petit quiz: les armes de poing et les armes d’assaut sont-elles déjà interdites au Canada? Si vous n’êtes plus certains de la réponse, n’ayez pas honte. Les troupes de Justin Trudeau procèdent si lentement dans le dossier, réannonçant sans cesse les mêmes intentions, qu’on finit par ne plus s’y retrouver. Et cette lenteur s’explique en partie par l’influence qu’exerce le NPD sur le gouvernement libéral minoritaire.


Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a annoncé cette semaine qu’il renonçait à inclure dans son projet de loi C-21 une liste des armes d’assaut désormais interdites. Faut-il y voir un recul ou un détail technique? Cela dépendra en grande partie de Jagmeet Singh, qui multiplie les embrouilles sur cette question.

Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique du Canada.

En 2020, Ottawa a interdit environ 1500 armes dites d’assaut. (Les propriétaires jouissent toutefois d’une amnistie jusqu’au 30 octobre prochain.) Mais les libéraux ont réalisé que ce qu’ils avaient pu interdire facilement par décret pourrait tout aussi facilement être autorisé à nouveau par décret par un éventuel gouvernement Poilievre. Pour cadenasser leur héritage, ils ont donc décidé de graver la liste d’armes interdites dans une loi, calculant que seul un gouvernement conservateur majoritaire aurait assez de voix au Parlement pour l’abroger.



On se souvient de la suite. La liste, bonifiée de 482 autres modèles, a créé une confusion monstre, car elle énumérait parfois aussi les exceptions, amenant plusieurs chasseurs, dont Carey Price, à croire leur arme désormais interdite. Le gouvernement a retiré sa liste début février et le C-21, qui interdirait par ailleurs les armes de poing, poireaute depuis.

À défaut d’une liste, le ministre Mendicino entend s’en remettre à une définition. L’idée est de codifier ce qui constitue une arme d’assaut (capacité du chargeur, puissance en joules, etc.) afin que l’interdit demeure d’actualité même après la mise en marché de nouveaux modèles. Simple? En réalité, le défi est immense, car la ligne est parfois mince entre ce qui constitue une arme conçue pour des contextes militaires et une arme de chasse, surtout lorsqu’il s’agit de chasse au gros gibier. Une première définition proposée par M. Mendicino ne faisait d’ailleurs pas consensus et a aussi été retirée.

Le gouvernement libéral a besoin de l’appui d’au moins un parti d’opposition. Il a déjà celui du Bloc québécois. Pourtant, il tergiverse encore, disant plancher sur une solution qu’on devrait nous dévoiler la semaine prochaine. Pourquoi? Parce qu’il désire coûte que coûte obtenir l’appui du NPD, son partenaire de quasi-coalition.

On dit en coulisses que le cafouillage de février a tellement mis le NPD en colère que l’alliance en a été compromise. L’entente de collaboration est muette au sujet des armes à feu, mais elle est basée sur «le principe directeur du ‘sans surprise’». Les libéraux ne sont pas prêts à compromettre leur règne pour cet enjeu. Le problème, c’est qu’en matière de contrôle des armes, le NPD est moins progressiste qu’il ne le prétend.



Officiellement, le NPD de Jagmeet Singh appuie l’interdiction des armes d’assaut. Dans les faits, ses députés sont déchirés. Plusieurs (10 sur 25) représentent des circonscriptions rurales, nordiques ou à forte concentration autochtone, des endroits où le contrôle des armes ne fait pas l’unanimité. Certains essayent donc de circonscrire l’interdit envisagé, par exemple en épargnant les tireurs sportifs ou les Autochtones. Au cours d’une séance de patinage digne des Olympiques, M. Singh a d’ailleurs refusé cette semaine de s’engager à interdire toutes les armes contenues dans la liste initiale. Tout cela explique la sortie de PolySeSouvient contre le NPD.

L’histoire se répète donc. Rappelez-vous 2010. Quand Stephen Harper, minoritaire, avait tenté d’abolir le registre des armes à feu, le NPD avait laissé ses députés voter librement. Ce n’est qu’à l’arraché que Jack Layton avait réussi à en convaincre juste assez pour maintenir le registre en place. (Il a été aboli une fois les conservateurs majoritaires.) Niki Ashton, qui est toujours députée, avait appuyé le démantèlement. Carole Hugues et Charlie Angus, eux aussi encore députés, avaient accepté seulement à la dernière minute de changer de camp. Récemment, les deux ont dénoncé dans la presse locale du Nord de l’Ontario l’approche libérale, invoquant le droit des chasseurs.

Le malaise néodémocrate est palpable. À la rencontre du caucus, seul Randall Garrison a accepté de répondre à nos questions, admettant que ses commettants étaient divisés «moitié moitié». Les autres? Visiblement alertés par les services de communication, ils se sont défilés, prétextant être au téléphone ou en retard. De la part d’un parti qui exige sans cesse la transparence des autres, on se serait attendu à mieux. Il faut croire que la vertu se prêche plus facilement qu’elle ne se pratique.

Cela fait maintenant presque quatre ans et deux élections que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a promis d’interdire les armes d’assaut au pays.

Des solutions?

Ottawa envisage plusieurs options, dont la création d’un panel d’experts. Celui-ci évaluerait chaque nouvelle arme à l’aube de la définition à venir pour trancher si elle devrait être interdite. Le ministre aurait le dernier mot. Cela restaurerait l’arbitraire politique en la matière.

Pour ce qui est des 482 modèles qui avaient échappé au décret de 2020, Ottawa songe à les laisser finalement en circulation, mais à en interdire la revente ou l’utilisation ailleurs que dans un champ de tir. Cela apaiserait le NPD, mais pas le lobby pro-contrôle.

Quant à l’idée du NPD de s’attaquer aux manufacturiers, qui provient à l’origine du Bloc québécois, le gouvernement l’adoptera probablement. Il s’agirait d’obliger les fabricants à soumettre à la GRC chaque nouveau modèle avant sa mise en marché, question qu’il soit classifié par le gouvernement et non l’industrie elle-même.



Enfin, le gouvernement songe à ajouter une disposition qui interdirait de modifier la classification d’une arme si c’est pour la rendre plus facile d’accès. Ce serait une autre façon de menotter les conservateurs.

Toute cette lenteur est irritante. Cela fait maintenant presque quatre ans et deux élections que Justin Trudeau a promis d’interdire les armes d’assaut. Le gouvernement espère maintenant, au mieux, y parvenir d’ici décembre, à temps pour la commémoration de la tuerie de Polytechnique. La première tentative du ministre Mendicino a été un fiasco. Si ce délai de quelques mois supplémentaires sert à parfaire l’initiative, cela en aura valu la peine. Mais s’il débouche sur une édulcoration de la réforme simplement pour apaiser un partenaire moins convaincu qu’il ne le prétend, alors l’électorat sera en droit de se demander si M. Trudeau a plus à coeur son intérêt électoral que l’intérêt public.