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Tramway: le jour de la marmotte

Le maire de Québec, Bruno Marchand, en réunion avec le premier ministre, François Legault, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault et Jonatan Julien, ministre responsable de la Capitale-Nationale

CHRONIQUE / Ce devait être le jour de vérité. Après des années de tergiversations, on saurait enfin à quoi s’en tenir. Le gouvernement Legault allait dire oui ou non au projet de tramway de la Ville de Québec.


En sommes-nous surpris? Il a choisi de repousser encore la décision, en refilant cette fois la patate chaude à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Celle-ci aura six mois pour identifier le «meilleur projet possible» pour Québec. Et il va de soi, au meilleur prix.

La bonne nouvelle ici, s’il faut en trouver une, c’est que le gouvernement dit tenir à un projet de transport structurant. Pour ce que vaut encore sa parole.

Concrètement, le scénario d’un tramway reste possible. Il sera cependant remis dans la balance avec d’autres. Comme si l’exercice n’avait jamais été fait. Comme si la Caisse allait pouvoir faire mieux en six mois que ce qui a été analysé depuis dix ans.

À moins que la Caisse ait reçu une commande politique, les probabilités sont fortes qu’elle arrive aux mêmes conclusions que le Bureau de projet du tramway et autres études.

Y compris celles de firmes indépendantes mandatées il y a quelques années par le gouvernement Legault et qui avaient retenu le tramway. À la différence que la facture aura continué à grimper et que le financement fédéral n’y sera peut-être plus quand reviendra le jour de la marmotte.

La CAQ peut bien continuer à tourner en rond mais elle ne pourra pas réinventer la roue.

Le tramway, malgré les limites du projet sur la table, reste jusqu’à nouvel ordre le mode de transport structurant le plus approprié pour Québec.

Un service rapide par bus n’aurait pas le même impact ni la même attractivité. Mais le gouvernement pourrait y trouver une économie et une façon de sauver la face et justifier l’abandon du tramway.

Quant à un métro, on peut tous en rêver, mais la réalité est qu’il coûterait beaucoup plus cher, ce que cherche à éviter la CAQ. On n’en sort pas.

Il n’y a pas mille moyens d’offrir un transport en commun fiable et performant dans une ville.

Il faut de la fréquence avec des véhicules de grande capacité qui roulent dans des corridors exclusifs, à l’abri du trafic et des feux de circulation. Il faut aussi pouvoir le faire dans le respect des paysages et de la vie des quartiers.

Peu importe le moyen choisi, les coûts d’infrastructures seront importants, bien plus que le type de véhicule qu’on y fera rouler.

Faire passer des autobus électriques dans des corridors exclusifs permettait d’éviter les fils aériens, mais l’emprise au sol sera la même que pour faire passer un tramway. Il faudra couper des arbres et réduire par endroits l’espace de l’auto.

Remplacer des tramways par des bus éviterait peut-être de creuser un tunnel coûteux sous la colline parlementaire, les bus pouvant franchir des dénivelés plus importants. Mais on en voit les limites tous les jours ouvrables. Une succession d’autobus dans des voies réservées engorgées. On n’y gagnerait rien.

Le gouvernement Legault et sa ministre de Transports, Geneviève Guilbault, font valoir que la Caisse de dépôt a «toute l’expertise» pour prendre charge du projet de transport structurant de Québec.

Sous-entendu, on lui fait davantage confiance qu’à la Ville de Québec et à son Bureau de projet. Un peu insultant pour Daniel Genest qui a coordonné le projet du pont Champlain avant d’être recruté pour le tramway de Québec. Mais l’heure n’est pas aux états d’âme.

Ce qui compte, c’est que Québec puisse mettre en chantier dès que possible un projet structurant.

Si l’intervention de la Caisse permet de dissiper des doutes et découdre quelques mythes, (sur les coûts d’un métro par exemple) l’exercice n’est peut-être pas inutile.

Un regard «indépendant» ne peut pas nuire. L’indépendance étant ici toute relative puisque la Caisse est un actionnaire de Alstom qui a obtenu le contrat de matériel roulant du tramway de Québec.

Des doutes et des questions

Pour le reste, l’entrée en scène de la Caisse de dépôt soulève plus de doutes et de questions qu’elle apporte de réponses.

1- Le mandat de la Caisse est de faire des profits (cible de 8 %).

Un mandat tout à fait honorable lorsqu’il est question de gérer le bas de laine des Québécois. Mais difficilement compatible avec le concept de service public. Les réseaux de transport en commun ne sont pas rentables. Si ce l’était, les entreprises privées s’offriraient à le faire.

Pour espérer des profits avec le REM de Montréal, la Caisse a exigé des redevances que doit lui payer l’autorité régionale de transport.

Elle s’est accaparé la clientèle et les revenus des sociétés locales de transport et il leur est interdit de maintenir des services dans les mêmes corridors. Celui du pont Champlain notamment. Des voyageurs s’en trouvent actuellement pénalisés.

Autant de preuves que la profitabilité d’une ligne de transport en commun est un mythe et qu’il faut changer les règles et mobiliser de l’argent public pour donner l’impression qu’on y arrive.

2- Les ratés de communication répétitifs depuis la mise en service du REM suggèrent que la priorité de la Caisse n’est pas le service au public. Les sociétés publiques ne font pas nécessairement mieux, direz-vous. N’empêche.

3- La Caisse et sa filiale CDPQ Infra ont peut-être l’expertise d’avoir mis rapidement sur rails les trains électriques du REM de Montréal et de les faire rouler sans conducteur (une économie de coûts).

Ce n’est cependant pas un modèle qui convient à Québec.

Le REM est laid. Ses poutres de béton et son plafond de fils électriques défigurent le paysage. Ce n’est peut-être pas grave dans les corridors d’autoroutes où passe le REM, mais on n’en voudrait pas dans les quartiers habités.

Un mode de transport sans chauffeur implique de le faire rouler dans des corridors hermétiques interdits aux piétons, vélos ou voitures. La ville s’en trouverait coupée en deux.

Rien à voir ici avec les terre-pleins projetés pour le tramway qui n’impliquent pas de barrières tout le long du trajet.

Le plus inquiétant, ce n’est pas que la Caisse de dépôt ait construit un train laid entre le Quartier DIX30 et le centre-ville de Montréal.

C’est qu’elle n’a pas eu la sensibilité de s’apercevoir que ce modèle ne convenait pas au REM de l’Est et à ses quartiers habités. Il a fallu une levée de boucliers des citoyens et élus locaux avant que le gouvernement Legault se résigne à retirer le projet des mains de la Caisse.

Si celle-ci débarque à Québec avec la même attitude et le même bulldozer de l’efficacité rentable, les citoyens qui s’inquiétaient des arbres sur René Lévesque vont s’ennuyer du tramway et des consultations de la ville.

4- Les coûts de construction de la première ligne du REM ont augmenté de 45 % par rapport à l’estimation initiale, soit 8 milliards $ au lieu des 5,5 milliards$.

Je vous dis ça de même, au moment où le gouvernement Legault dit ne pas faire confiance à la Ville de Québec pour gérer un projet de tramway.

Pour l’heure, plusieurs autres questions sans réponses. Elles viendront dans les prochains jours et semaines, j’imagine.

  • Quel sera l’impact de l’entrée en scène de la Caisse sur le contrat signé avec Alstom? Alstom voudra-t-elle être dédommagée pour les retards ou l’annulation du contrat de tramway? La Caisse sera ici en apparence de conflit d’intérêts.
  • Quel sera l’impact sur le partage des coûts entre les pouvoirs publics? Le fédéral sera-t-il toujours là? Si la Caisse cherche à rentabiliser l’opération transport, qu’advient-il de l’objectif d’embellissement de la ville? Est-ce la ville qui devra en absorber une plus large part.
  • Qu’advient-il du Bureau de projet et de sa centaine d’employés à partir d’aujourd’hui? Le Bureau sera-t-il dissous? Assistera-t-on à un exode des expertises qu’on y trouve?
  • Qu’advient-il des travaux en cours et expropriations en cours? On arrête tout et on attend? On rebouche les trous des chantiers? On continue comme si rien n’était avec l’argent déjà voté par le gouvernement? Le diable est dans tous ces détails.

***

Ébranlé par sa chute de popularité et par les sondages défavorables au tramway, le gouvernement Legault a choisi l’esquive et la facilité.

Il a estimé que la mise en chantier d’un projet structurant pour Québec pouvait attendre.

Qu’il était plus urgent de ne pas nuire à sa réélection qu’à lutter contre la hausse de la congestion à venir. Ou contre les changements climatiques.

On reconnaît là la signature de la CAQ. Son manque de rigueur, de cohérence, de vision à long terme, de fiabilité et de courage.

La signature d’un gouvernement qui entrera dans les livres d’histoire de Québec en lettres minuscules, avec un renvoi en bas de page qui dira : «attention, le danger croît avec l’usage».

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