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Pourquoi cette frénésie pour les Remparts?

Pourquoi cette frénésie qui a mis la ville aux pieds des Remparts?

CHRONIQUE / Les Remparts de ce printemps 2023 battent les records d’affluence du hockey junior et ont semé en ville une frénésie jamais vue depuis les années Guy Lafleur.


Plus de 18 000 billets vendus en quelques minutes pour les trois matchs de la finale québécoise. Des sièges jusqu’à 250 $ sur des sites de revente pour la prochaine partie locale, ce vendredi.

«Je suis surpris», admet candidement Frank Pons, directeur de l’observatoire international en management du sport à l’Université Laval.



Des billets à ce prix, «pas sûr que ça se justifie», analyse-t-il.

Mais nous voici, une fois encore, rattrapés par cette fatalité : «Il n’y a aucune logique à l’irrationalité du sport».

«Le sport est une échappatoire», expose M. Pons. Une échappatoire à la pandémie, à l’inflation, à la morosité.

«Ça nous amène ailleurs. Les gens ne pensent plus avec leur tête. Ça passe par les émotions».



Des étudiants lyonnais de passage à Québec lui ont raconté avoir «vécu l’expérience de leur vie» au Centre Vidéotron vendredi dernier. Une «impression de ligue nationale». Les Remparts ont gagné ce soir-là 5-1 lors du premier match de la finale contre Halifax.

Nicole Bouchard, que ses collègues décrivent comme la «vraie DG» des Remparts, confie n’avoir jamais rien vu de comparable à ce printemps.

Ni en 2006 quand l’équipe a conquis la Coupe Memorial. Ni en 2015, lorsque Québec a accueilli le tournoi de la Coupe Memorial dans le vieux Colisée.

La DG en rajoute. «Même pas sous les Nordiques» où elle a oeuvré depuis son premier stage dans le hockey en 1981 jusqu’au départ de l’équipe en 1995.

Depuis que Jacques Tanguay, Michel Cadrin et Patrick Roy ont acheté l’équipe en 1997, les Remparts ont eu beaucoup de succès. Ça s’est poursuivi après le rachat par Québécor.

On a vu de bonnes équipes, de très bonnes parfois et nombre de futures vedettes de la Ligue nationale. Les chandails au plafond de l’amphithéâtre en témoignent.



D’où la question : pourquoi cette année? Pourquoi cette frénésie qui a mis la ville aux pieds des Remparts?

On n’a «rien fait de plus cette année», assure Nicole Bouchard. «Rien fait de différent en marketing» non plus.

À part des publications dans les réseaux sociaux, dit-elle, mais cela n’a rien de particulier aux Remparts. C’est l’époque qui le veut ainsi.

Si ce n’est pas la publicité, quoi alors? Pourquoi cet engouement pour une équipe qui ne compte pas de Jean Béliveau, de Guy Lafleur, de Radulov, Crosby ou Connor Bedard pour remplir le stade?

Cela dit sans rien enlever aux leaders qui ont mené les Remparts d’aujourd’hui à la finale. Les Théo Rochette et Zachary Bolduc, notamment. Plus de 100 points chacun cette saison et une apparence qui, parait-il, ne laisse pas les jeunes filles indifférentes.

Plusieurs explications.

1- Une équipe gagnante

La recette est simple. Ça prend une équipe qui gagne. C’est la principale explication. Une condition préalable sans laquelle on ne parlerait pas des autres causes ou éléments de contexte.

«Quand tu gagnes, le monde aime s’associer à des gagnants», résume Alain Rioux, fier Remparts du milieu des années 70.



L’équipe de cet hiver a battu des records en saison et enfilé 21 victoires de suite à la fin de l’année et en séries éliminatoires.

Ça donne une idée de la puissance des «diables rouges», surnom hérité de la première heure, en référence à la couleur du chandail et à l’effet intimidant sur les adversaires.

Ce succès n’est pas arrivé par hasard. Il a été planifié depuis trois ans par des choix de repêchage et des échanges judicieux.

Les Remparts ont ainsi mis beaucoup d’oeufs dans le panier de 2023 et pour l’heure, ils ont eu la chance que leurs gros joueurs ne soient pas blessés.

Cela veut dire qu’il y a de réelles chances d’aller jusqu’au bout. Davantage qu’en 2006 où la victoire en Coupe Memorial n’était pas prévisible.

Les connaisseurs l’avaient déjà compris. Il y a eu des foules de 10 000 spectateurs toute l’année, rapporte Nicole Bouchard. Voici que s’y ajoutent des partisans de passage, attirés par la victoire.

Comme la plupart des villes, Québec carbure aux gagnants. À la différence que Québec est un gros marché pour la ligue de hockey junior. Quand ses citoyens s’excitent, ça donne de grosses foules et ça paraît plus qu’ailleurs.

Et puis, hasard (ou pas), les vendredis et samedis sont de bons soirs pour attirer les familles et remplir l’aréna. «Ça arrive au bon moment», s’amuse Frank Pons.

Les Remparts avaient aussi une bonne équipe, l’an dernier, mais ce n’est pas comme cette année. Pas le même bruit. Pas le même «buzz».

L’an dernier, Patrick Roy avait dû lancer un appel à tous en série pour avoir 14 000 spectateurs, se souvient Nicole Bouchard.

2- L’après-pandémie

Privés de divertissement pendant la pandémie, les gens retrouvent le plaisir des foules et se ruent aux guichets.

À ceux des agences de voyages. À ceux des Remparts. À ceux du Festival d’été dont tous les laissez-passer se sont envolés en moins de deux heures le mois dernier.

Les Capitales disent avoir senti un effet similaire pour leur match d’ouverture.

Ça change de l’an dernier. «On avait commencé les séries avec des masques», se souvient Nicole Bouchard. «On n’était pas trop à l’aise». Ce sont les premières séries où on retrouve la légèreté d’avant.

3- Le «happening»

Un «tailgate» avant un match des Remparts

Un printemps tardif et rien d’autre à faire à Québec.

Un peu par défaut peut-être, les Remparts sont le principal «happenning» en ville. «The place to be», décrit Frank Pons de l’Université Laval.

Une façon de lutter contre la «morosité ambiante». Cela répond à un «besoin de positivisme» autour d’un «objectif commun» et d’un «sujet qui rassemble», explique-t-il.

Il se pourrait en effet que cela fasse du bien après une année où les sujets qui divisent ont occupé toute l’avant-scène (élections, troisième lien, tramway, etc).

Go Remparts donc!

Oubliés les turbulences, rumeurs et scandales qui ont ébranlé le hockey junior canadien dans la dernière année (mais épargné les Remparts).

«Quand le jeu commence, les gens embarquent», constate M. Pons. Peu importe ce qui a pu se passer avant.

Un «sentiment de communion». Les gens ne font pas qu’assister à un spectacle. «Ils contribuent à créer l’émotion», note-t-il. Pendant le match dans les «tailgates» qui précèdent.

Ce «happening» est stimulé par la couverture média, croit Nicole Bouchard. Les Remparts ont toujours une bonne couverture, mais «depuis trois semaines, il y en a plus qu’avant», a-t-elle constaté.

Toute la semaine, Mme Bouchard a répondu à des médias de Montréal. C’est «particulier».

Cela nous amène aux deux explications suivantes.

4- Le dernier tour de piste de Patrick Roy?

Serait-ce le dernier tour de piste de Patrick Roy?

Patrick Roy en est peut-être à ses derniers matchs comme entraîneur des Remparts. Cela ajoute à l’intérêt des séries. Y compris à l’autre bout de la 20.

Il y a une «construction autour de Roy», analyse Frank Pons.

«C’est une partie de l’équation», croit Alain Rioux. Nicole Bouchard le pense aussi. Roy est la plus grande vedette des Remparts. Quand il va partir, ce printemps ou plus tard, Québec va s’en ennuyer de son énergie, de son dévouement à sa cause et de sa classe. Oui, j’ai bien écrit de sa classe.

On en a eu un autre exemple cette semaine. Un jeune partisan des Mooseheads de Halifax atteint du syndrome de Down avait été intimidé lors de sa visite au centre Vidéotron. Les Remparts de M. Roy l’ont invité à leur entraînement pour essayer de réparer un impair dont ils n’étaient pourtant pas responsables. Un geste qui honore l’équipe et la ville.

5- L’absence des Canadiens

L'absence des Canadiens explique en partie l'engouement pour les Remparts. 

21 mars 2023

Rien de bien nouveau, direz-vous. On en a maintenant l’habitude. Reste que c’est une des explications.

«Si Montréal était dans les playoff, il y aurait la moitié moins d’engouement pour les Remparts», pense Alain Rioux, à qui on ne peut certainement pas reprocher de manquer de loyauté à Québec.

«C’est la seule équipe au Québec qui joue encore au hockey», rappelle Nicole Bouchard. À part dans les ligues de garage, s’entend. Je le précise par respect pour mes chums qui y jouent.

***

Pourquoi autant d’agitation autour d’une équipe de hockey junior? m’étais-je demandé dans une chronique parue au printemps 2006.

C’était l’année de Alexander Radulov. Celle où on allait au Colisée juste pour le voir exploser dans la baie vitrée pour célébrer ses buts spectaculaires.

L’année de Marc-Édouard Vlasic aussi, d’Angelo Esposito, Brent Aubin, Cédrick Desjardins et les autres. L’année de la dernière Coupe Memorial, conclue avec un défilé sous la pluie sur Grande Allée et une fête au Colisée.

J’avais à l’époque trouvé les mêmes réponses qu’aujourd’hui. Ça me frappe en me relisant.

Pourquoi autant d’agitation?

«Parce qu’on aime le hockey. On aime les victoires; on aime l’été, la fête et les défilés. On aime quand il se passe quelque chose», avais-je écrit.

«On aime gagner, se rassembler derrière un projet commun, en période de divisions, pour ne pas dire morosité».

Décidément, je découvre que j’ai de la suite dans les idées.

Parce que «Québec joue encore au hockey et pas Montréal», avais-je relevé. Je ne m’acharnerai pas davantage.

«L’espoir peut-être d’attirer l’attention de la LNH», avais-je aussi ajouté.

Si c’était le cas à l’époque, je doute que ce soit aujourd’hui une motivation à aller faire la fête aux Remparts. Il faudrait être bien naïfs.

Québec n’a plus de preuve à faire. La Ligue nationale de hockey est certainement au fait de son intérêt pour le hockey.

L’ennui est que la LNH n’a rien à foutre d’un marché «naturel» au Nord en ce printemps où ses quatre demi-finalistes habitent des marchés «surnaturels» du Sud : Dallas, Miami, Raleigh et Las Vegas. Ça ne s’invente pas.

***

«On connaît des propriétaires qui auraient profité d’une coupe Memorial et de l’élan d’enthousiasme qu’elle suscite pour réclamer un nouveau Colisée», avais-je encore écrit en 2006.

J’avais alors noté que Jacques Tanguay s’en était abstenu. Il avait plutôt invité les pouvoirs publics à investir dans le sport et la jeunesse. Le reste allait venir plus tard. «Du privé», avait-il suggéré.

L’histoire en a décidé autrement. Ce fut de l’argent public, avec l’espoir, explicite, d’attirer l’attention de la LNH. En vain. Il serait étonnant que remplir aujourd’hui cet amphithéâtre de 18 000 passionnés y change quelque chose. Aussi bien le remplir pour le plaisir. Il y aura moins de risque d’être déçus.