Chronique|

Hausse des taux: la banque profite-t-elle de la situation?

Les tours bancaires sont présentées depuis Bay Street, dans le quartier financier de Toronto, le mercredi 16 juin 2010.

CHRONIQUE / Vous avez constaté ma prédilection pour le marché hypothécaire. Je ne me tanne pas d’écrire là-dessus, ça touche les gens.


À la longue, j’ai toutefois remarqué que le sujet pouvait être une source de confusion chez certains lecteurs.

Donc voilà : ce n’est pas vrai que les banques multiplient les profits quand les taux d’intérêt grimpent en flèche comme ce fut le cas ces 18 derniers mois. Ça ne fonctionne pas tout à fait comme ça.

C’est immanquable, il se trouve toujours quelqu’un pour dénoncer la voracité des prêteurs lorsqu’il est question ici des taux hypothécaires. Je ne nie pas l’appétit des institutions financières pour les profits (comme n’importe quelle entreprise capitaliste), mais tout ce que les emprunteurs paient de plus en intérêts ne se répercute pas intégralement sur la ligne des bénéfices.

Dans les fins détails, au jour le jour, ne me demandez pas quel chemin prend chaque dollar dans le système financier, ça m’échappe autant qu’à vous. Ma compréhension reste générale, j’ai donc discuté du sujet avec Christophe Faucher-Courchesne pour un peu d’éclairage et mettre plus de chair autour de l’os. Planificateur financier au centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859, il détient une maîtrise en ingénierie financière. Il est toujours généreux de ses lumières pour expliquer des affaires un peu compliquées.

On s’en tiendra quand même aux grands principes, ça devrait suffire à dissiper la croyance d’un complot bancaire.

Je disais donc que la marge que les institutions financières réalisent sur les hypothèques n’augmentait pas vraiment avec la progression des taux. La raison est fort simple : elles ne prêtent pas leur argent, mais le vôtre. «Le bilan d’une banque est formé à 90 % de dépôts et de prêts. Du point de vue d’une institution financière, l’argent que lui confient ses clients représente un passif et les prêts qu’elle leur consent constituent un actif», explique le planificateur financier. C’est tout le contraire de nous!

Le profit n’explose pas dans un contexte de hausse de taux d’intérêt, puisque l’entreprise doit elle-même rémunérer davantage ses déposants. Augmente-t-elle sa marge? Dans un environnement où les taux bougent rapidement, sans doute un peu, mais ça n’a rien à voir avec l’ampleur des variations que subissent les emprunteurs.

Je suis justement allé jeter un coup d’œil aux états financiers de Banque Nationale pour constater ce qui en ressort. C’est partout la même histoire. Au troisième trimestre de 2023, l’institution financière a enregistré une progression du revenu net d’intérêt sur ses opérations de prêts, notamment en raison d’une hausse de volume, mais aussi grâce à l’augmentation de la marge. Elle est passée de 2,17 % au 3e trimestre en 2022, à 2,34 % en 2023, soit un écart de 0,17 %, et ce, pour toutes les activités de prêts aux particuliers et aux entreprises. Le taux directeur de la Banque du Canada a bondi de 1,75 % durant la même période.

C’est assez peu satisfaisant comme explication quand on constate que les taux offerts sur son compte « opérations » ne bougent pas d’un iota. Je ne sais quelle proportion de cet argent peut être refilée sous forme de prêts par une banque, mais selon Christophe Faucher-Courchesne, les dépôts qui peuvent être retirés à tout moment par les clients sont de piètre qualité du point de vue d’un prêteur. En revanche, celui-ci sera disposé à rémunérer les dépôts à long terme, comme ceux réalisés par l’intermédiaire des certificats de placement garantis (CPG). Cet argent est facile à prêter. C’est pourquoi l’épargnant peut toucher 5 % sur des certificats non rachetables de 5 ans. On ne peut pas en dire autant des sommes qui serviront à régler l’épicerie à la fin de la semaine (ou à rembourser l’hypothèque à la fin du mois).

Le modèle d’affaires paraît assez rudimentaire tout de même, mais le nerf de la guerre dans cette industrie repose sur l’exécution. Les sommes qui dorment produisent des « pertes ». Tout se joue dans la gestion de la trésorerie. Les institutions financières sont tenues de conserver un certain ratio de liquidités, mais peu ne circule pas dans le système sans générer un minimum de revenus d’intérêts. Les banques se prêtent constamment de l’argent entre elles pour équilibrer leurs comptes à la fin de la journée, et le taux qu’elles se facturent est déterminé par la Banque du Canada (taux de financement à un jour, soit le taux directeur, l’équivalent de 5 % par année).

Si les centaines de dollars de plus que les emprunteurs déboursent chaque mois ne se traduisent pas en autant de profits supplémentaires pour les bailleurs de fonds, où va cet argent? Dans les poches des épargnants, pour l’essentiel.

Il était intéressant de souligner que les actions des banques sont en concurrence avec les autres titres financiers dans le marché, dont les CPG sans risque à 5 %. Elles doivent être plus attrayantes que ça.

Le surcroît de marge engrangé par les entreprises finit donc par retourner lui aussi vers les particuliers. Une large portion des profits est versée sous forme de dividendes aux actionnaires des banques, majoritairement des investisseurs institutionnels. Qui ça? Les fonds de placement dans lesquels vous et moi mettons une partie de nos avoirs et les régimes de retraite desquels nous dépendons.

C’est sans compter ce que récupère le fisc de ce tourbillon d’argent, de sa part sur les recettes du secteur financier jusqu’à l’impôt sur nos revenus de pension.

Les raisons de ne pas aimer les banques sont nombreuses, cela dit : produits moyens, niveau et qualité de service discutables, frais excessifs, incitation à l’endettement, mode de rémunération davantage axé sur la vente que sur les besoins des clients… Mais les juteux profits générés par l’explosion de taux n’en font pas partie.

Je voulais clarifier.

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