Chronique|

Et si on écoutait la Banque du Canada?

Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem

CHRONIQUE / Je persiste à croire qu’on viendra à bout de l’inflation, mais force est d’admettre que le petit bout de chemin qui nous sépare encore de la cible des 2 % s’annonce tortueux et jonché d’obstacles, avec une pente ascendante et un vent de face.


Ce ne sera pas la portion la plus facile, surtout pour ceux qui ont déjà la langue à terre.

C’est le message que j’ai entendu mercredi de la part de la Banque du Canada qui, après deux pauses en mars et en avril, a relancé la hausse de son taux directeur. L’augmentation de 0,25 % (ou 25 points de base) porte le taux de la banque centrale à 4,75 %. On connaît la chanson, l’impact sur les taux hypothécaires à taux variable et les marges de crédit est immédiat, et il se répercutera rapidement sur le coût des prêts personnels.



En 18 mois, le taux directeur est passé de 0,25 % à 4,75 %. L’été dernier, d’un seul coup, il a grimpé de 100 points de base. Puis de 75 autres la fois suivante. C’était après une progression de 1,25 % et avant de nouvelles hausses totalisant 1,25 %.

Qu’est-ce qu’on en a fait un plat, chaque fois! L’explosion des coûts de financement additionnée à l’inflation confinera chez eux des consommateurs exsangues, pensions-nous. Eh bien non! On continue de faire la file pour acheter des autos, on troque un voyage au Mexique pour un autre à Cuba, on est à peine rebutés par les prix exorbitants des repas au restaurant. Il n’y a vraiment que le secteur de l’immobilier qui a refroidi. Pour le reste, ça roule à plein régime!

C’est ce que nous suggèrent les données économiques. La consommation demeure robuste, le marché de l’emploi reste tendu, la croissance du PIB confond les experts. Toutes ces belles nouvelles pointaient vers une nouvelle hausse de taux.

«En fait, les économistes étaient divisés. Les taux d’intérêt mettent du temps à faire leur effet, et une nouvelle augmentation pose des risques pour l’économie, c’est pourquoi beaucoup croyaient que la banque centrale ne bougerait pas», explique Hendrix Vachon, économiste principale au Mouvement Desjardins.



Déterminé à ramener l’inflation vers sa cible de 2 % (elle persistait à 4,4 % en avril, après un léger rebond), Tiff Macklem n’a pas eu cette patience.

Une minorité qui pâtit

C’est à se demander quelle frange de la population subit réellement l’augmentation du coût du crédit. Parmi les propriétaires de maison, nombreux sont ceux dont la dette hypothécaire est en majeure partie réglée, sinon totalement. La majorité des emprunteurs optent généralement pour des prêts à taux fixe, lesquels ne sont pas affectés par les décisions de la banque centrale, du moins dans l’immédiat.

Chez ceux qui ont souscrit un taux variable, une portion importante ont un paiement fixe, ils ne déboursent plus que des intérêts, sans rembourser de capital. C’est possible, croit Hendrix Vachon, que ces ménages ne ressentent pas encore pleinement la hausse des taux et continuent de maintenir leur rythme des dépenses.

Le courtier hypothécaire Ryan La Haye, de Planiprêt, estime que c’est toujours une minorité de ménages qui se trouve frappée de plein fouet par l’explosion des taux hypothécaires. « Je fais un parallèle avec la pandémie. Le temps qu’elle a duré, la majorité des gens ont fait plus d’argent qu’avant, et la minorité qui en a souffert, elle a vécu beaucoup de souffrance. C’est la même chose que je constate aujourd’hui. »

« La plupart des gens ne sont pas très affectés par les décisions de la Banque du Canada, mais ceux qui en souffrent, ils en souffrent pas à peu près. »

—  Ryan La Haye, courtier hypothécaire

Mercredi, il a consacré une partie de sa journée à répondre au téléphone pour atténuer les inquiétudes de clients, pour trouver des solutions pour d’autres qui sont arrivés au bout de leurs moyens.

«Parfois, on peut aller en refinancement avec un amortissement de 30 ans, mais souvent, c’est impossible, car les clients doivent désormais se qualifier avec un taux entre 7 % et 8 % à cause du test de résistance, et ils ne passent pas », explique le courtier hypothécaire. L’ultime porte de sortie, c’est la vente de sa maison.



Depuis des mois, Ryan La Haye prépare sa clientèle à de nouvelles hausses de taux. Si elle semble découragée, elle n’est pas surprise. Le courtier n’avait pas de doute sur l’augmentation annoncée mercredi et il reste convaincu que Tiff Macklem récidivera le mois prochain.

Dans son communiqué de presse publié mercredi, la banque centrale n’a donné aucune indication dans ce sens, mais elle n’a pas non plus laissé planer le contraire. Elle n’a pas télégraphié ses intentions, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Je ne sais pas trop ce qu’on doit en conclure, mais je ne dirais pas que c’est rassurant.

« Que nous dit la banque du Canada, au fond? Elle nous dit d’être prudents, de réduire les dépenses, d’en mettre un peu plus de côté. Il faut cesser de faire miroiter des baisses de taux dans un avenir prévisible, ça risque de ne pas arriver de sitôt, mieux vaut s’y préparer », prévient Ryan La Haye.

Si l’inflation ne fléchit pas assez rapidement, les coûts d’emprunts finiront par frapper plus large, à mesure que se renouvelleront les prêts hypothécaires à taux fixe. Et durant tout le temps où les taux se maintiendront à des niveaux élevés, le nombre d’aspirants propriétaires frustrés en attente de conditions meilleures continuera de grimper. Quand l’antichambre sera bien remplie, j’imagine mal la Banque du Canada ouvrir les vannes en réduisant substantiellement ses taux. Ç'aurait des airs de 2021.

Je ne veux pas décourager personne, mais la perspective d’un marché immobilier qui tournerait à la faveur des acheteurs me paraît s’éloigner.