Chronique|

CELI: une mégagaffe qui commande le respect

On ne peut plaider l’ignorance quand on enfreint les règles, encore moins lorsque l’information est facilement accessible, écrit Daniel Germain.

CHRONIQUE / « Un ratage aussi spectaculaire en appelle presque au respect. » C’est en ces mots d’esprit que le lecteur François a commenté l’histoire du « malheureux » qui se retrouve dans l’incapacité à régulariser sa situation auprès de l’Agence du revenu du Canada (ARC).


J’ai raconté la semaine dernière les démêlés de ce contribuable avec le fisc. Le type a versé une somme colossale à son CELI, dépassant la limite de plus de 600 000 $. Après avoir vu ses investissements fondre, le fautif n’est plus en mesure de retirer sa cotisation excédentaire, tel que l’exige l’ARC, seul moyen de stopper les pénalités qui s’accumulent au rythme de quelques milliers de dollars par mois.

Cette affaire revêt quelque chose d’éminemment clownesque, entre Charlie Chaplin et Gaston Lagaffe. À ces niveaux, un fiasco peut en effet susciter une certaine admiration.



Quelques lecteurs se sont plutôt apitoyés sur le sort du contribuable. Notre lectrice Danielle, entre autres, nous rappelle que les gens « normaux » ne peuvent pas tout connaître. Elle se dit « catastrophée ».

Elle prend comme exemple le cas de sa mère, décédée en 2011. Au moment de régler la succession, notre lectrice a constaté que la défunte avait ouvert deux comptes CELI dans deux institutions financières différentes et qu’elle y avait déposé le maximum permis, aux deux endroits. Sa mère s’est donc retrouvée en situation de cotisation excédentaire.

La succession a rapidement avisé l’ARC de l’anomalie, elle a vidé et fermé un des comptes pour se conformer aux règles. Personne n’a été pénalisé dans l’histoire. L’indulgence du fisc s’explique facilement dans ce cas : en 2011, le CELI n’existait que depuis deux ans, les règles étaient moins connues tandis que les contrôles étaient moins serrés; la succession a corrigé la situation avec diligence; l’offense était minime et inconsciente, la contribuable avait 89 ans.

Le cas rapporté ici la semaine dernière appartient à une autre dimension. Le contribuable a outrageusement excédé la limite permise pour investir dans des actifs à risque.



Les règles du CELI, qui font l’objet d’une abondante couverture médiatique et qui sont clairement indiquées sur le site du gouvernement fédéral, devraient aujourd’hui être connues. On ne peut plaider l’ignorance quand on enfreint les règles, encore moins lorsque l’information est aussi facilement accessible.

Plutôt que d’obtempérer aux injonctions de l’ARC, le contribuable s’est entêté à conserver ses investissements à l’intérieur du CELI, dans l’espoir de récupérer ses pertes (elles se sont alourdies).

Notre lectrice, comme quelques autres, se demande pourquoi l’institution financière, probablement un courtier à escompte, n’a pas levé un drapeau. Comment a-t-on pu laisser quelqu’un déposer plus de 600 000 $ dans son CELI? Cette question sous-entend qu’aucune responsabilité ne devrait peser sur les individus.

On peut reprocher beaucoup de choses aux banques, mais pas les niaiseries de leurs clients. Quelqu’un qui emprunte des centaines de milliers de dollars sur une marge de crédit pour l’investir dans des placements risqués en faisant fi des règles peut difficilement se poser en victime du système, encore moins se plaindre de la voracité des banques.

Et même si elle le voulait, une institution financière sera toujours incapable de savoir si un client dépasse ou non sa limite. Elle n’a qu’un portrait parcellaire de la situation. N’importe qui peut ouvrir le nombre de CELI qu’il veut, dans autant de banques et de sociétés de courtage.

Celles-ci ignorent les droits de cotisations inutilisées des personnes qui détiennent un CELI chez elles. Cette information est centralisée à l’ARC, elle est mise à jour probablement pas plus d’une fois par année.



Mais 600 000 $, direz-vous, c’est tellement évident! Pas tant que ça. Un contribuable aurait pu accumuler cette somme dans un CELI grâce à d’heureux investissements. Ça existe. Il aurait pu retirer cet argent de son compte, puis le déposer de nouveau l’année suivante.

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Et si le gars avait réussi son coup?

Un lecteur m’a confié qu’une telle idée lui avait déjà effleuré l’esprit. En principe, pour que ce soit «avantageux», les rendements sur les investissements doivent dépasser la pénalité sur les cotisations excédentaires, fait-il remarquer. L’ARC inflige une sanction de 1 % par mois sur les montants cotisés en trop. Donc, selon cette stratégie, un rendement supérieur à 12 % permettrait de rentabiliser l’opération. Déjà là, c’est risqué, comme en témoigne l’histoire que je vous ai rapportée.

C’est peut-être le pari qu’a fait le contribuable fautif, mais il était perdu d’avance. S’il avait réussi son coup, que se serait-il passé? En plus de la pénalité de 1 % par mois, l’ARC aurait imposé à 100 % les rendements générés par la cotisation excédentaire. Vous ignoriez sans doute ce détail.

Maintenant, vous le savez.

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Vider son CELI ou aider un enfant?

Toujours à la suite de cette chronique, la lectrice Martine se demande si, pour aider son fils à acheter sa maison, il serait plus judicieux de vider son CELI qui contient 140 000 $ ou de puiser dans son portefeuille non enregistré dont la valeur atteint 1 M$. Comme un retrait du CELI est non imposable, elle aurait tendance à favoriser cette approche. « J’en ai parlé à mon conseiller en placements, mais celui-ci n’était pas certain qu’il s’agissait de la meilleure façon de procéder. »

Le conseiller a raison.

Supposons que vous vidiez votre CELI pour aider votre fils à devenir propriétaire, vous vous retrouveriez avec un CELI à zéro et des droits de cotisation à ce dernier de 140 000 $ l’année suivante. De l’autre côté, vous auriez un portefeuille non enregistré de 1 M$.

Quelle recommandation ferait-on à une personne dans une situation pareille? On lui dirait de combler tout l’espace du CELI à partir des investissements non enregistrés. Cette opération générerait certes une facture fiscale (la même que celle qu’on voulait éviter à la première étape), mais elle serait profitable du fait que les rendements futurs seront libres d’impôt.

Martine : gardez votre conseiller.