Chronique|

Un baume pour les travailleurs, la hausse du salaire minimum?

Le revenu disponible des bas salariés fera un bond en 2023, mais pas seulement à cause de l’augmentation du salaire minimum.

CHRONIQUE / Lundi, le salaire minimum augmentera d’un dollar l’heure pour passer à 15,25 $. Ça représente une hausse de 7 %. Pour les principaux intéressés, est-ce que «ça change le monde»?


La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke (CFFP) a publié une analyse sur la question, hier. D’abord, quelques mots sur l’approche. Lorsqu’on décortique les salaires et autres données de l’Institut de la Statistique du Québec pour les faire interagir avec les mécanismes fiscaux, l’exercice peut paraître froid et décalé par rapport à la réalité sur le terrain.

Je le souligne, car c’est le genre de chronique qui me vaut habituellement un rappel sur la clientèle grandissante des banques alimentaires, le prix exorbitant des loyers et l’inflation de la facture d’épicerie. Je sympathise sincèrement, mais ce n’est pas le sujet. Je m’apprête à vous annoncer que la situation, de façon générale, progresse dans la bonne direction pour les salariés, ce qui ne veut pas dire qu’il ne reste pas du chemin à faire.



Bon, maintenant, l’étude.

Les auteurs Suzie St-Cerny et Luc Godbout ont évalué l’impact qu’aura cette hausse d’un dollar sur le revenu disponible des travailleurs concernés. Le revenu disponible, c’est ce qui reste dans nos poches une fois les impôts et les cotisations sociales déduits, et après avoir ajouté les prestations sociofiscales, comme les allocations familiales. À partir de là, les chercheurs ont établi un ratio par rapport à une autre donnée, la «mesure du panier de consommation» (MPC). Ce calcul permet d’évaluer jusqu’à quel point un ménage est capable de couvrir ses besoins de base.

La conclusion, en gros, c’est que le revenu disponible des bas salariés fera un bond en 2023, mais pas seulement à cause de l’augmentation du salaire minimum. Pour vous tenir en haleine, je vous livrerai les autres explications plus loin dans la chronique.

Moins de travailleurs au salaire minimum

D’abord, qui gagnera 15,25 $ à compter du 1er mai? C’est moins de monde que je croyais, ce groupe représente à peine 3,7 % des emplois totaux. Le pourcentage n’a jamais été aussi bas, exception faite de l’année 2006. Le recul du nombre de postes au salaire minimum s’explique surtout par la pénurie de main-d’œuvre. Le plancher, notez bien, constitue aussi un repère, il influence la progression des salaires voisins.



Je viens d’évoquer des allocations familiales, mais les parents sont assez rares (12 %) à l’intérieur de cette catégorie. En fait, les deux tiers travaillent à temps partiel, et 59 % ont moins de 25 ans. Chez ceux qui gagnent 125 % du salaire minimum, la majorité est âgée de 15 à 24 ans, et 51 % œuvrent sur des horaires allégés. On peut raisonnablement conclure que l’employé typique qui touche une faible rémunération est un étudiant.

D’une province à l’autre, le salaire minimum se ressemble en oscillant autour de 15 $ l’heure, à l’exception de l’Ontario (16,55 $) et de la Colombie-Britannique (16,75 $). Au Québec, un travailleur à temps plein (35 heures par semaine, personne seule, sans enfant) gagnant 15,25 $ dégage un revenu annuel de 27 160 $, pour un revenu disponible de 25 311 $. Ce montant représente 107 % de la MPC. Un chiffre supérieur à 100 % indique qu’un ménage est théoriquement en mesure de couvrir ses besoins de base. Évidemment, c’est à prendre avec des pincettes, surtout quand on se trouve si près du point de l’équilibre. Il suffit de déménager de Shawinigan à Québec, et tout peut basculer.

L’aspect à souligner ici, c’est qu’il n’y a qu’au Québec et au Nouveau-Brunswick que le taux de couverture des besoins de base dépasse 100 %. En raison du coût de la vie plus faible ici, le salaire minimum permet de se débrouiller plus facilement dans la Belle Province qu’en Ontario ou en Colombie-Britannique, où la rémunération au bas de l’échelle semble plus «généreuse». C’est vrai pour les ménages en solo et pour toutes les autres configurations familiales étudiées par les universitaires (couple sans enfant, avec enfant, monoparentale, un revenu ou deux revenus, etc.).

Le taux de couverture des besoins au Québec varie de 98 % (dans le cas improbable où un couple vit sur le salaire minimum d’un seul conjoint) à 141 %, selon la composition du ménage. En 2023, cette donnée se sera améliorée dans tous les cas de figure, dans une fourchette de 2,7 à 4,2 points de pourcentage, grâce à un revenu disponible en croissance. Pour arriver à cette conclusion, on doit faire fi des prestations ponctuelles des gouvernements versées en 2022 pour soulager de l’inflation.

Suzie St-Cerny et Luc Godbout soulignent dans leur étude que l’augmentation d’un dollars du salaire horaire sera conservée dans des proportions très élevées, de 88 % à 187 %, ce qui explique la hausse relativement importante du revenu disponible.

Comment ça? Deux autres facteurs entrent en ligne de compte : les baisses d’impôt annoncées dans le dernier budget provincial couplées à l’indexation des tables d’impôt arrivée un an après le pic d’inflation (les tables d’impôt, les montants des crédits, les divers seuils ont été rehaussés de 6,5 % pour 2023, contre un taux d’inflation attendu de 3,5 % sur l’année).

Que faut-il conclure de tout ça? De moins en moins de gens doivent se contenter du salaire minimum à cause de la pénurie de main-d’œuvre. La majorité des travailleurs concernés sont des jeunes encore aux études, dont une partie habite chez leurs parents. La hausse de lundi améliorera leur situation. De manière perceptible? Ce sera très variable.