Une Madama Butterfly inégale à l’Opéra de Québec

L’Italienne Francesca Tiburzi dans le rôle-titre.

CRITIQUE / Après Montréal il y a une semaine, c’était au tour de la capitale d’inaugurer sa propre production de Madama Butterfly samedi soir au Grand Théâtre. Un spectacle bien ficelé, mais grevé par les limites des interprètes des deux premiers rôles.


Il faut sans doute remonter à la Traviata de 2019 ou à la Carmen de 2018 pour trouver une production de l’Opéra de Québec aussi courue. Les billets des quatre représentations de Madama Butterfly de Puccini étaient en effet déjà envolés plusieurs jours avant la première, une excellente nouvelle pour l’institution, qui avait à peine réussi à remplir la moitié de la salle Louis-Fréchette l’an passé pour Faust et Don Pasquale.

Le succès de cette œuvre dépend à un très haut point de la qualité du rôle-titre. La marche était haute après la prestation mémorable de la Coréenne Yunah Lee au même endroit en 2013. Nous ne savons évidemment rien de ce qu’en fera sa compatriote MyungJoo Lee qui, pour des raisons de santé, a dû passer le flambeau à l’Italienne Francesca Tiburzi pour la première et la troisième représentations.

Cette dernière n’est pas qu’une simple doublure, puisqu’elle a chanté le rôle à plusieurs endroits, notamment au Festival Puccini en Italie, rien de moins. Essen (Allemagne) l’entendra également chanter la jeune geisha dans aussi peu que deux semaines. Guère de surprise, donc, à voir la soprano à l’aise dans ce rôle, qu’elle joue comme une seconde nature.

C’est toutefois plus délicat sur le plan vocal. Le médium – onctueux et étonnamment sombre – et les quelques suraigus sont magnifiques, mais il y a une sorte de trou entre ces deux zones où la voix peine à rester accrochée, rendant l’intonation et la projection parfois hasardeuses.

Ce n’est toutefois rien à côté du Pinkerton du ténor québécois Éric Laporte, qui nous avait pourtant fait un excellent Erik dans le Vaisseau fantôme en 2019. Le chanteur cherche constamment ses marques, en particulier dans les aigus, qu’il fait souvent à moitié en voix de tête. Le long duo d’amour du premier acte fut rien de moins que pénible.

Heureusement, les rôles plus secondaires sont en général nettement plus satisfaisants, entre autres avec le baryton Philipp Addis, qui faisait ses débuts en Sharpless. La voix est bien galbée, avec un jeu tout en nuances.

Lysianne Tremblay, qui enseigne à Québec au niveau collégial et universitaire, possède une belle voix de mezzo-soprano. Son jeu est cependant peut-être un peu trop démonstratif pour ce personnage inférieur dans la hiérarchie traditionnelle.

Il est étonnant qu’on ait fait venir quelqu’un de France pour tenir le petit rôle de Goro, mais le ténor Antoine Normand, un spécialiste de l’opérette, était tout à fait à sa place, comme la basse Marcel Beaulieu en Bonze, le toujours excellent Geoffroy Salvas, qui a prêté sa voix de baryton charnue à l’amoureux éconduit Yamadori, et son collègue Michel Desbiens, en commissaire à la voix excellemment timbrée.

Le ténor québécois Éric Laporte et le baryton Philipp Addis

La soprano Geneviève Dompierre-Smith, pour le peu qu’on a pu entendre dans le minuscule rôle (sur le plan musical) de Kate Pinkerton, montre de belles promesses.

La cheffe italienne Clelia Cafiero, première femme à diriger une production régulière de l’Opéra de Québec depuis 2005, a mené l’Orchestre symphonique de Québec avec une main ferme et inspirée, faisant émerger de splendides sonorités de cordes de la fosse.

La mise en scène de Jacques Leblanc en 2013 nous avait valu un des plus beaux décors maison créés ici. Une maison et un pont sur pilotis, rien de bien compliqué donc, habillaient excellemment la scène et nous transportaient dans un autre monde.

Cette fois-ci, le dispositif scénique créé par Michel Baker, plante une maison traditionnelle japonaise devant un ciel en trompe-l’œil. C’est simple, quoique peut-être un peu trop symétrique. Sans trop en dire, on attendra le troisième acte pour voir quelque chose de plus poétique sur le plan visuel.

Seul détail qui cloche dans la mise en scène plutôt sobre de François Racine : le fait qu’une fillette d’environ huit ans ait été choisie pour jouer l’enfant de Butterfly, alors que ce dernier a environ trois ans dans le livret…

Les autres représentations (à guichets fermés) se tiendront les 16, 18 et 20 mai.