Emprunter un « livre humain » et découvrir un chapitre de sa vie

Après avoir fait voyager la bibliothèque vivante dans des cégep ou encore au Marché de Noël, le chargé de projet Marc-Émile Vigneault et la responsable de la médiation culturelle chez Pech/Sherpa Lydie Colaye amènent l’initiative au Jardin Jean-Paul-L’Allier.

Le jardin Jean-Paul-L’Allier sera bientôt l’hôte d’une bibliothèque vivante. Les curieux de passage dans le secteur auront l’occasion d’emprunter un « livre humain », de s’asseoir à ses côtés et d’en tourner les pages afin de découvrir l’un de ses chapitres de vie.


Créer des dialogues entre le grand public et des gens ayant souffert de problèmes de santé mentale n’est pas chose simple. Et ce, même si le sujet résonne davantage au sein de la population.

Avec l’activité S’ouvrir à la bienveillance, l’organisme communautaire Pech/Sherpa a toutefois bon espoir d’y parvenir. L’organisation, qui participe au rétablissement des personnes ayant des problèmes multiples (santé mentale, judiciarisation, toxicomanie ou encore itinérance cyclique), voit en ce projet une façon de combattre une panoplie de préjugés.



« C’est comme si les gens allaient à la bibliothèque mais, au lieu d’emprunter un livre, ils empruntent une personne. […] Ce sont des gens qui ont eu une expérience avec la maladie mentale, qui ont passé à travers et qui continuent d’avancer », explique Marc-Émile Vigneault, chargé de projet pour S’ouvrir à la bienveillance.

Ça s’orchestre autour de quoi une bibliothèque vivante? Autour d’humains et de beaucoup d’écoute, soutient de son côté Lydie Colaye, responsable de la médiation culturelle chez Pech/Sherpa.

Le samedi 10 juin, les participants seront accueillis au Jardin Jean-Paul-L’Allier par des bibliothécaires (des bénévoles) qui leur présenteront un catalogue. À l’intérieur, le résumé, en deux ou trois phrases, de chacun des livres susceptibles d’être empruntés.

Dans le cadre de cet événement, présenté au sein du Carrefour international de théâtre, il y aura huit livres. Des êtres aux histoires bien distinctes qui s’ouvriront autour de la dépression, la bipolarité, l’itinérance ou encore de la psychose.



« Ça permet [aux participants] de valoriser leurs différences, de voir ce qu’elles leur apportent. […] Ils sortent souvent fiers de cette expérience. »

—  Lydie Colaye

Les membres du public auront l’occasion de « louer » un humain pour une durée de quinze minutes. Un moment lors duquel ils pourront entendre son histoire, mais aussi poser quelques questions.

« Les gens sont toujours agréablement surpris par la qualité des échanges », soutient Marc-Émile Vigneault, qui participe à ce type d’initiatives depuis 2015.

Marc-Émile Vigneault et Lydie Colaye ont également collaboré avec Lydia Trahan afin de mettre en œuvre le projet de bibliothèque vivante.

Des règlements encadrent toutefois l’expérience : il faut notamment ramener le livre « dans le même état physique et psychologique que vous l’avez emprunté », ne pas plier « le coin des pages » et être « respectueux de la dignité des personnes qui s’ouvrent à vous ».

Chaque livre a également « le contrôle de sa lecture, il peut garder des détails pour lui, changer le sujet ou se fermer s’il le désire, et ce, sans avoir à se justifier ».

Les deux organisateurs en conviennent : ces sujets peuvent « réveiller des choses » chez les « lecteurs » comme chez les « livres ». Des intervenants accompagneront cependant les individus tout au long de l’activité, assurent-ils.

« On agit comme personne-ressource pour les deux. On ne veut pas non plus que nos lecteurs rentrent chez eux déboussolés! » lance en riant Mme Colaye.



Les participants qui acceptent de partager un chapitre de leur vie reçoivent toutefois au préalable une formation de trois heures « sur le dévoilement ». Ils étudient ainsi les éléments de leur récit qu’ils rendront public et mesurent l’impact que cet échange pourrait avoir sur eux. Le tout afin d’arriver bien préparés à la bibliothèque.

« De la honte à la fierté »

Profondément humaine, l’activité S’ouvrir à la bienveillance donnera au public l’occasion de découvrir des histoires touchantes. Mais il ne faut pas sous-estimer l’apport que ce projet peut avoir sur les personnes qui font office de livres, croient Marc-Émile Vigneault et Lydie Colaye.

« Ça permet de sortir de la honte. On a souvent peur de parler [de nos différences] parce qu’on ne sait pas comment le monde va réagir. Mais les partager, c’est valorisant.

« […] Moi, ça m’a permis d’avoir beaucoup de facilité à entrer en contact avec les gens. Et ça m’a permis de passer de la honte à la fierté », soutient M. Vigneault, qui se prêtera lui-même au rôle de « livre humain », le 10 juin, autour du sujet de la bipolarité.

Marc-Émile Vigneault a participé à plusieurs bibliothèques vivantes depuis 2015 afin de réduire les préjugés sur les gens qui vivent avec la bipolarité.

Pour lui, la bibliothèque vivante est ainsi un outil « merveilleux » pour les gens qui s’y ouvrent. Car elle leur permet « de voir qu’ils font partie de la société » et de se sentir moins marginalisés.

« Quand tu fais un résumé de ta vie, quand tu vois tout ce que tu as combattu, ça aide à réaliser : “wow! J’ai fait tout ça” », ajoute de son côté Mme Colaye.

Un phénomène en pleine croissance

Le chargé de projet Marc-Émile Vigneault et la responsable de la médiation culturelle chez Pech/ Sherpa Lydie Colaye voient grand pour l’initiative de bibliothèque vivante à Québec : elle pourrait contenir une panoplie de livres.

Ses étagères pourraient être remplies d’histoires d’anciens prisonniers, d’un parent dont l’enfant vit avec des troubles de santé mentale ou encore de personnes ayant immigré au pays, imaginent les deux passionnés.



Les avenues semblent illimitées pour ce projet né au Danemark, en 2000, et qui est chapeauté aujourd’hui par la Human Library Organization.

En 23 ans, les bibliothèques vivantes se sont installées dans plus de 85 pays à travers le monde. À Québec, la bibliothèque Gabrielle-Roy a accueilli pour la première fois l’initiative en 2007.

S’ouvrir à la bienveillance aura lieu le samedi, 10 juin, au Jardin Jean-Paul-L’Allier. Une série de balados sera également créée à partir de l’événement.

Pour plus de détails, on peut visiter le site web du Carrefour international de théâtre.