Philippe Lavalette : combler les brèches de l’histoire

Philippe Lavalette publie son deuxième roman, Marchand de quatre-saisons.

L’histoire est parfois fragmentaire : Philippe Lavalette a découvert celle de son père par bribes. En cueillant ici et là de courtes phrases que ce dernier a semées de son vivant et en trouvant, après sa mort, des objets lui ayant appartenu. Dans Marchand de quatre-saisons, l’auteur et directeur photo tisse passé et fiction afin d’offrir un roman qui raconte pour de bon un récit complet.


En 2017, Philippe Lavalette a offert au public Petite Madeleine. Un roman dans lequel il racontait la vie de sa grand-mère. Six ans plus tard, à une étape de la vie où il faut prendre le temps « de revenir en arrière pour comprendre », il réitère un exercice semblable avec Marchand de quatre-saisons.

Son nouvel ouvrage s’intéresse à la vie de son père, Jacques Lavalette — nommé Valmont dans le livre —.



Ancré entre la France du XXe siècle et le Québec d’aujourd’hui, l’auteur met ainsi en lumière des pans du destin de ce marchand ambulant qui vendait des légumes dans les rues de Paris.

« Pourquoi tous ces silences? Comment s’est construite cette vie dont je ne sais à peu près rien? » s’est demandé Philippe Lavalette.

Celui qui se décrit en partie comme un « archéologue de l’intime » a dû creuser et faire bon nombre de recherches afin d’écrire entre les pages de son livre les fragments de vie de son paternel.

Marchand de quatre-saisons, Philippe Lavalette, 168 pages.

« [Ma grand-mère et mon père] sont des êtres qui ont beaucoup souffert de l’abandon. Cette souffrance-là, elle rend muet. […] Elle est transmissible. »



« Pour mettre du baume sur cette douleur, il faut comprendre, savoir. En reconstruisant, même à l’aide de la fiction, cette connaissance des êtres qui nous sont chers, on parvient à apaiser la souffrance », explique l’auteur, en entrevue au Soleil.

Plusieurs artistes près de lui ont d’ailleurs entamé une démarche semblable dans les dernières années. Dont sa femme, la réalisatrice Manon Barbeau (Les enfants de Refus global, 1998), ainsi que sa fille, la réalisatrice et romancière Anaïs Barbeau-Lavalette (La femme qui fuit, 2015).

La petite et la grande histoire

Des photos, une lettre, un portefeuille, la «boucle de ceinturon d’un officier allemand», un couteau de poche : Philippe Lavalette a interrogé ces témoins ayant appartenu à Jacques par le passé.

L’auteur a par la suite été en mesure de lier ces objets à des bouts de phrases que son père lui a confiées soudainement, sans plus ample détail. Plus jeune, ses nombreuses questions n’ont reçu que des «réponses lapidaires».

Philippe Lavalette admet de pas être habité outre mesure par le silence de son père. En particulier puisque ce dernier a vécu l’abandon dès l’enfance et côtoyé la violence humaine de près.

« Je pense que c’est une génération qui a beaucoup souffert. On avait la même chose au Québec, à cette époque. Les hommes de cette génération sont silencieux. »

—  Philippe Lavalette

Dans Marchand de quatre-saisons, Philippe Lavalette mélange d’ailleurs la petite et la grande histoire puisqu’il plonge son récit au cœur de la Seconde Guerre mondiale, au cœur des combats auxquels Jacques a participé.



L’auteur s’intéresse notamment à un pan méconnu de cet événement, soit «la poche de Saint-Nazaire». Une des bases militaires où les Allemands se sont repliés pendant la guerre. Les soldats français, dont Jacques, ont été chargés d’y tenir le fort alors que les Alliés concentraient leurs forces vers Berlin.

« [À la fin de la guerre], le territoire était libéré sauf dans ces poches. Cette partie-là de l’histoire, on en parle très peu. Paris est libéré au mois d’août, mais les résistants français sont encore là neuf mois plus tard. C’est quand même hallucinant », raconte Philippe Lavalette.

Décrire le monde une image à la fois

S’il invite les lecteurs au cœur de sa démarche fort personnelle, Philippe Lavalette ne les y plonge pas avec un ton larmoyant ni même nostalgique.

Pour l’auteur, fouiller la vie de son père ou celle de sa grand-mère n’a «pas été une épreuve» en soi. Bien au contraire.

« Les parcours humains sont tellement intéressants! », lance-t-il.

S'il a offert au public deux romans dans les dernières années, Philippe Lavalette est reconnu pour son travail au cinéma. Tant du côté de la fiction que du documentaire.

Directeur photo de métier, Philippe Lavalette souhaite partager des connaissances, des émotions et des images avec le public. Cette approche, il y tient que ce soit derrière la caméra ou devant les pages blanches de ses manuscrits.

Pour lui, les « pixels deviennent des mots » lorsqu’il écrit.

« Les phrases sont comme des plans. Il y en a une qui peut être un travelling, une autre sera un gros plan et la suivante un mouvement de caméra. »



« [La littérature et le cinéma] sont deux lectures du monde qui se complètent pour moi », affirme l’artiste passionné.

Marchand de quatre-saisons est offert en librairie.