Kim Thúy à Granby : de retour là où tout a commencé

Kim Thúy est retournée à quelques endroits qui ont particulièrement marqué son séjour à Granby, il y a une quarantaine d'années.

Dans Ru, son premier roman publié en 2009 et qui l’a rendue célèbre, Kim Thúy a écrit : « Durant toute une année, Granby a représenté le paradis terrestre. » À la veille de la sortie de l’adaptation cinématographique de Ru au Québec, La Voix de l’Est a invité l’écrivaine dans sa première ville d’adoption pour une petite tournée remplie de souvenirs.


En tout et partout, Kim Thúy estime avoir passé 15 mois à Granby après son arrivée au Québec. C’était le 27 mars 1979. Elle avait 10 ans.

Elle et sa famille avaient quitté le Vietnam en guerre pour atteindre la Malaisie au terme d’une périlleuse traversée en mer. Leur statut de réfugiés les avait ensuite obligés à vivre dans un camp insalubre et surpeuplé, dans le dénuement le plus total. On comprend sans peine qu’après de telles épreuves, la petite Kim ait perçu la ville estrienne comme un « ventre chaud » ayant couvé son clan fraîchement débarqué.

(Alain Dion et Jonathan Lalonde)

Maintes fois durant ce bref retour aux sources, l’autrice saluera la gentillesse et la générosité des Granbyens qui avaient « levé la main » pour prendre soin de ce premier contingent d’environ 80 immigrants vietnamiens, qui descendaient tous du même avion.

« Nous, on n’avait pas eu le temps de se préparer à notre arrivée au Canada, mais la ville avait bien préparé les gens qui nous accueillaient. On n’avait pas besoin de s’expliquer. Ils avaient déjà démystifié l’Asie et le Vietnam bien avant qu’on arrive », dit-elle.

Le film Ru sortira en salle le 24 novembre.


L'Hôtel Castel a été le point de chute de Kim Thúy et sa famille.

Hôtel Castel

« Mon Dieu, ça a tellement changé; ce n’est plus mon Castel! » s’exclame en souriant l’écrivaine en se garant devant l’hôtel qui a accueilli son groupe à l’époque. « Ici, c’était notre premier point de chute. On y est restés quelques semaines, le temps d’avoir un appartement. »

Après avoir tout perdu et vécu la misère du camp de réfugiés, la vie à l’hôtel était presque un rêve éveillé. « Avoir un lit propre, se laver, avoir de l’eau à boire, une cafétéria, c’était un luxe incroyable », affirme-t-elle en avouant que sa famille n’avait pas eu le temps de décanter. Il fallait inscrire les enfants à l’école et participer à toutes les activités d’intégration auxquelles ils étaient conviés.

« Je me rappelle que les gens nous apportaient des sacs du magasin Woolco remplis de vêtements. C’est là que j’ai reçu mon premier pyjama à pattes! D’autres nous offraient de la nourriture et même des tours de “char” parce qu’on n’avait pas de voiture. »

Elle se souvient avec émotion du propriétaire de l’hôtel, M. Bouthiette, qui avait confié à son père le nettoyage de l’escalier de secours, puis l’avait promu à la cuisine.

« Il lui avait délicatement offert cet emploi pour lui permettre de gagner de l’argent de façon noble », mentionne Kim Thúy. Même chose pour sa mère, embauchée par la famille Godbout pour entretenir leur maison, alors que tout y brillait déjà comme un sou neuf. « C’était juste une façon de l’aider, en lui donnant un emploi et des références. »


La petite Kim avait presque 11 ans à son entrée en classe d'accueil à l'école Sainte-Famille.

L’école Sainte-Famille

Debout au milieu de la cafétéria de l’école Sainte-Famille, Kim Thúy balaie la salle du regard, en fouillant dans ses souvenirs vieux de 44 ans.

En s’assoyant à un pupitre, les images du passé émergent en vrac : son enseignante Marie-France en classe d’accueil, son test de classement (réussi!) pour passer dans la classe de 6e année de madame Suzanne, les repas du midi chez l’un et l’autre des enfants du quartier, sa nouvelle amie Johanne… L’immersion, dit-elle, a été rapide et teintée de bienveillance.

« On a été carrément plongés dans la culture d’ici. En arrivant du camp de réfugiés, on ne pensait à rien, on n’avait plus d’identité, on revenait d’un no man’s land où on aurait pu mourir sans même que ce soit répertorié. Et soudainement, on était traités avec tous les égards. »

—  Kim Thúy

Silencieuse et obéissante de nature, la petite Kim a rapidement pris de l’assurance. « La Québécoise s’est installée en moi avant même que je parle français. C’est très drôle, ma mère nous a raconté que la nuit, mes deux frères et moi rêvions parfois à voix haute en français, alors qu’on ne parlait pas encore la langue! »

« Dans ma tête, poursuit-elle, j’avais l’impression, au bout d’un mois, d’être comprise et de tout comprendre. On devinait beaucoup à partir des gestes et des expressions des gens. On utilisait notre ressenti et notre intelligence des sens. »


Après le camp de réfugiés, le clan a pu retrouver le confort dans son logement de la rue Principale.

Son premier appartement

« C’était devant la grande église sur un coin de rue… » Dans la voiture en route vers son premier appartement, elle nous donne des indications un peu floues, mais suffisantes pour s’y retrouver. En face de l’ancienne église Notre-Dame, l’immeuble est toujours debout, avec sa façade joliment rénovée.

« On a habité dans deux unités, d’abord un 4 et demi, puis un 5 et demi avec un balcon », explique Kim, en longeant le vieil édifice jusqu’à l’arrière.

Pour les trois enfants et leurs parents, ces logements étaient « plus que bien », compte tenu de ce qu’ils avaient connu au Cambodge.

« Dans le camp, on dormait par terre avec les bibittes qui nous mangeaient. On était 25 dans un abri de la taille d’une petite chambre… Donc, vous me demandez si c’était confortable ici? C’est sûr. Un 4 et demi pour cinq personnes, c’était... trop grand!

« Et au rez-de-chaussée, il me semble que c’était une banque. C’est là que j’ai ouvert mon premier compte bancaire. »

Par le plus beau des hasards, la romancière a découvert que cet espace est désormais occupé… par une librairie.


Kim Thúy a été initiée au patin sur le lac Boivin.

Le lac Boivin

Sur les abords du lac, Kim Thúy se rappelle que c’est son amie Johanne qui l’avait initiée, cet hiver-là, aux joies du patinage sur glace.

« Elle nous a emmenés ici, mes frères et moi. C’est elle qui a attaché mes patins parce que je ne savais pas quoi faire avec ça! Je suis tellement tombée! » rigole la quinquagénaire.

« On est revenus ensuite en famille avec un cousin de Montréal qui savait très bien patiner. C’est une chance que ma mère ne se soit pas cassé quelque chose; c’était la pire de nous tous! La façon d’arrêter, c’était de nous lancer dans les bancs de neige. »

Ouverts à toutes les invitations, ils ont aussi tenté le ski de fond… sans grand succès. « C’était difficile de refuser, car les gens nous donnaient de leur temps les fins de semaine pour nous faire découvrir plein de choses. »

Parmi ces choses, elle se souvient de la première fois qu’elle a vu une vente-trottoir devant l’ancien magasin Greenberg dans la rue Principale.

« On était très étonnés de voir la marchandise sur le trottoir sans surveillance et que personne ne volait. Ça révèle beaucoup sur un pays, je trouve », ajoute la dame, qui a aussi appris à Granby un nouveau concept : les changements de vêtements en fonction des saisons.

Ce sont tous ces petits et grands moments qui ont marqué ses premiers pas sur sa terre d’accueil que Kim Thúy s’apprête maintenant à partager au grand écran.

Les propos ont été édités pour faciliter la lecture.