Avec son clavier qui fait «clic-clic» et son écran relativement grand, le BlackBerry, né à Waterloo (quelle ironie, quand même…) dans la tête de l’ingénieur Mike Lazaridis, allait faire son chemin rapidement. Une machine qui tient dans une poche et qui donne accès aux appels téléphoniques, mais connectée à Internet.
Adieu les téléavertisseurs déjà ringards. Les téléphones flip aussi seront regardés de haut tout bientôt.
Mais un autre joueur, Apple et son iPhone, allait tout faire foirer pour nos Canadiens.
La pomme a gagné contre la mûre, en somme.
«C’est une vraie histoire canadienne qui est tellement intéressante, confie l’acteur Jay Baruchel. Ce ne sont pas toutes les histoires qui méritent des films. Mais des fois, il y a quelque chose qui se passe et c’est vrai que la réalité dépasse la fiction. On a du mal à croire que tout ça est véridique.»
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Dans le long métrage BlackBerry, au cinéma le 12 mai, Jay Baruchel incarne l’ingénieur Mike Lazaridis. Avec son copain Douglas Fregin (Matt Johnson, qui réalise le film), ils pilotent en Ontario la compagnie Research in Motion (RIM), assise sur une mine d’or.
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Mike se montre rigoureux. Il voit grand, mais il est plutôt discret. Il a un produit révolutionnaire en tête. Doug mise sur la culture d’entreprise et le plaisir au boulot.
Devant les investisseurs potentiels, ils ne font pas le poids. Ça prendra un requin du marketing pour propulser l’affaire : Jim Balsillie (Glenn Howerton). Quelqu’un qui a de l’ambition pour l’invention, mais qui aime le hockey. Beaucoup plus que les téléphones.
Tellement qu’il va miser ses billes sur les Penguins de Pittsburgh, afin de déménager l’équipe en Ontario, avant de se faire rabrouer par la Ligue nationale de hockey.
«Je l’ai connu parce que je suis un grand fan de hockey. Pendant un moment, j’étais au courant de tout ce qu’il a fait. Mais je n’en savais pas beaucoup sur ce qui s’était passé en coulisse chez Research in Motion», note Jay Baruchel, qui a grandi à Montréal et qui a fait sa place à Hollywood dans des films comme Presque célèbre, Million Dollar Baby ou L’apprenti sorcier.
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Ce fier Canadien — admirateur du Tricolore devant l’éternel — estime que notre humilité nationale explique le fait que le périple de BlackBerry et de ses artisans n’ait pas tant marqué les mémoires.
«Ils sont toujours anonymes, avance l’acteur. Si c’était des scientifiques ou des entrepreneurs américains, on connaîtrait déjà cette histoire sous toutes ses coutures. Parce que c’est canadien, c’est une tragédie qui demeure méconnue.»
Pas que le cours des événements aurait été différent au sud de la frontière, croit Jay Baruchel, resté fidèle à BlackBerry jusqu’à récemment. Les irréductibles derniers utilisateurs ont vu leur appareil mis hors service au début 2022.
«Ils étaient vraiment les premiers», note celui qui a, comme bien des gens, fait la transition vers Apple.
«Le déclin abrupt aurait eu lieu de toute manière, ajoute-t-il. Mais il y aurait eu de grands noms qui seraient ressortis. Pour le meilleur et pour le pire, les Américains adorent créer des héros.»
CÉDER À LA PANIQUE
Avec l’arrivée de l’iPhone, les créateurs du BlackBerry ont-ils cédé à la panique?
Selon Luc Dupont, professeur au département de communication à l’Université d’Ottawa spécialisé notamment en marketing, la principale erreur de la compagnie Research in Motion (RIM) aura été de vouloir plaire à tout le monde.
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«En 2007, quand Steve Jobs va annoncer son iPhone, la première chose qu’il va dire en conférence de presse : “Quarante pour cent du téléphone n’est pas nécessaire sur le BlackBerry.” Et il pointe le clavier», raconte-t-il.
Même si les ventes du BlackBerry continuent de grimper, RIM va commettre un impair très important, selon l’auteur d’une dizaine de livres sur le marketing et la communication : lancer un téléphone avec un clavier virtuel et un autre avec un clavier physique.
«Là, on plairait à tout le monde, cite M. Dupont. Ce qui est arrivé, c’est que le téléphone avec le clavier virtuel a été lancé un peu vite. Technologiquement, il n’était pas prêt. On s’est aperçu que RIM s’était enfargée dans les fleurs du tapis. Et elle n’a plus jamais été la même.»
On connaît la suite. Plus tard, les téléphones utilisant le système développé par RIM sont devenus des Android.
Les failles de sécurité ont émergé au moment de passer à Android, explique Yves Therrien, journaliste retraité du Soleil spécialisé en technologie.
«Ça a été le début de la fin...» indique-t-il.
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Avec le BlackBerry, la caractéristique la plus intéressante, notamment pour les gens d’affaires, c’était le chiffrement des données.
«Personne ne pouvait le pirater, comme ça pouvait se faire avec les autres et voler tes informations», ajoute M. Therrien.
«À l’époque, tous les employés fédéraux possédaient un BlackBerry. C’était surtout la question de la sécurité autour de l’appareil. Le niveau de chiffrement était beaucoup plus élevé. Et c’était un avantage», renchérit M. Dupont.
«Si bien qu’en 2008, quand Barack Obama a été élu [président des États-Unis], il a dit : “Je veux continuer à utiliser mon BlackBerry!”» reprend-il.
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À cette période, les ventes du BlackBerry sont à leur summum.
«En 2010, 43 % du marché nord-américain est détenu par BlackBerry. Et à l’échelle planétaire, c’était 20 %. Douze ans plus tard, ils annonçaient qu’ils mettaient fin au soutien du BlackBerry», détaille Luc Dupont.
En 2007, rien ne laissait présager la déconvenue du BlackBerry. Quand le patron d’Apple, Steve Jobs, a dévoilé l’iPhone, la plupart des gens pensaient qu’il se trompait. Comme le cofondateur de Microsoft, Steve Ballmer, qui avait affirmé que «jamais ça ne marcherait»...
«On était toujours dans la folie BlackBerry. À ce moment-là, Ballmer avait dit : “Un, l’iPhone est trop cher. Deux, les applications, quelle idée ridicule! Et trois, avez-vous vu l’écran sur lequel il y a plein d’images? À quoi ça va servir tout ça?”» relate M. Dupont.
L’avenir lui aura donné tort...
Il ne faut toutefois surtout pas croire que l’entreprise de Waterloo est morte. Bien au contraire. Depuis le 4 janvier 2022, BlackBerry a désactivé son infrastructure et son service pour les téléphones portables.
Même si elle a cessé de produire, de vendre et d’assurer le soutien technique des téléphones, la compagnie est toujours en exploitation. Cependant, elle se spécialise maintenant en cybersécurité, en systèmes intégrés et dans le suivi pour les firmes de transport et dans les solutions pour la conduite assistée ou autonome d’automobiles.