In My Body : « du street dance à son état pur »

In My Body

Pour certains puristes, dès que le street dance quitte la rue pour monter sur une scène, il se dénature. Après avoir fait son nom dans la communauté des b-boys et b-girls, Crazy Smooth tente d’apporter «du street dance à son état pur sur la scène» afin de pallier au manque et aux mauvaises représentations de cette pratique.


« Je me considère comme un puriste aussi, mais il y en a qui sont encore plus puristes », mentionne Crazy Smooth en entrevue avec Le Soleil.

Comme eux, le fondateur de la compagnie de danse Bboyizm a de la difficulté avec le vocabulaire utilisé par les médias et le grand public pour parler de sa pratique.



« On est des b-boys et des b-girls, et non des break dancers », précise-t-il d’entrée de jeu.

«Break dance est un terme que les médias ont commencé à mettre là-dessus, mais qui n’a jamais été un terme que les danseurs employaient», explique-t-il.

Yvon Soglo, de son vrai nom, est une véritable encyclopédie de la danse de rue, même si cette traduction le fera probablement grincer des dents.

La collision entre les sensibilités des puristes de la langue française et celles des puristes du street dance semble inévitable pour parler du spectacle In My Body qui montera sur la scène du Diamant les 9 et 10 juin.



« C’est une lutte sans fin pour qu’on utilise les vrais termes qui décrivent notre danse et notre culture », affirme le chorégraphe de 43 ans basé à Gatineau.

Crazy Smooth

Crazy Smooth fait probablement partie d’une des dernières générations qui ont appris le street dance de manière authentique, c’est-à-dire en dehors des institutions. Cette marginalité est originalement ce qui unit les différents styles de danses de rue.

« Ce n’est pas quelqu’un qui te montre littéralement “fais le mouvement comme ça”, c’est en étant dans la communauté que tu apprends », fait valoir le danseur qui a réuni trois générations de b-boys et de b-girls sur scène.

« DKC [Freeze] a 58 ans. Il fait partie de la première génération de street dance au Canada. Il dansait en 1983 quand moi je venais d’arriver au Canada, j’avais 3 ans », indique l’artiste né au Bénin.

« Tash est un peu plus jeune que lui, mais elle fait aussi partie des aînés de notre communauté au Canada. Après, il y a ma génération à [Nubian] Néné et moi qui sommes fin trentaine et début quarantaine. Puis, on a nos jeunes qui se préparent pour faire leur apparition aux Olympiques 2024 en France. »

Faire parler le corps

« Les mouvements qu’on fait, c’est sûr que c’est dynamique et impressionnant, sauf qu’il y a des conséquences, il y a des choses qui se passent dans notre corps pendant qu’on fait ça », fait valoir le danseur qui a subi quatre opérations au genou.



Présenté au Diamant dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec, In My Body est un spectacle imaginé par Crazy Smooth, alias Yvon Soglo.

En plus d’offrir une rare occasion de voir du street dance à l’état pur sur scène, Crazy Smooth a voulu mettre en évidence les impacts de cette discipline sur le corps tout en s’intéressant au rapport qu’entretiennent les b-boys et les b-girls avec le vieillissement de celui-ci.

Trois éléments l’ont aidé à traduire ce propos sur scène. Il y a évidemment la danse, car « tout doit venir du corps » pour lui.

Puis, il y a les mots qui vont « à des endroits où le corps ne peut pas aller ». Dans ce spectacle, les mots se déploient sous la forme de poésie et de slam grâce à la plume de Alejandro Rodriguez.

Pour couronner l’expérience, Crazy Smooth a cherché une manière d’amener le public « dans le corps » des danseurs.

Pour ce faire, il a collaboré avec l’équipe multimédia de Mirari qui a notamment proposé de réaliser des projections directement sur les corps des interprètes.

« On va faire ce qu’ils appellent du body mapping », dévoile le chorégraphe qui a travaillé sur ce spectacle pendant plus de deux ans.

Il a également profité d’un financement inédit qui lui a permis de faire appel aux expertises de concepteurs et des artistes pour enrichir sa vision.

« Antérieurement, je n’ai jamais eu la capacité de même imaginer jusqu’où ça pourrait aller », ajoute-t-il.



Présenté dans la cadre du Carrefour international de théâtre de Québec, In My Body est le projet le plus ambitieux de sa carrière à ce jour.

« D’une certaine façon, c’est du jamais vu du street dance avec une valeur de production comme on a », annonce le chorégraphe.

« B-boy for life »

Le vieillissement du corps est souvent accompagné de grandes remises en question pour les b-boys et les b-girls.

« Toute personne qui travaille avec son corps, sans nécessairement le vouloir, se définit par ce qu’il peut faire. Alors quand tu ne peux plus faire cette chose, ça te pousse à réfléchir sur des questions existentielles », fait valoir le danseur.

Les plus fatalistes ne voient pas l’intérêt de continuer à danser s’ils doivent renoncer à certains mouvements, alors que d’autres n’arrêteront jamais de s’adapter à leur corps. Quelques rares spécimens affirment qu’ils dansent mieux dans leurs vieux jours même s’ils ont moins de capacités.

« Il y a des jeunes qui sont plus blessés que des vieux. Il y a une multitude de perspectives », affirme Crazy Smooth.

« Je me considère chanceux, parce que je ne me suis jamais vraiment identifié à mes capacités physiques. C’est pour ça que le nom de ma compagnie est Bboyizm. Le “izm” c’est une substance non tangible, le je-ne-sais-quoi. J’ai toujours été fasciné par les aînés qui sont capables de faire plein de choses sans faire grand-chose », ajoute-t-il.