Half Moon Run : retour à l’ancien nous

Devon Portielje, Conner Molander et Dylan Phillips ont effectué un important retour aux sources pour réaliser les chansons de leur nouvel album. Intitulé « Salt », celui-ci est paru le 2 juin.

On le sait, Half Moon Run a émergé de la pandémie avec un musicien en moins. Le départ d’Isaac Symonds en 2020 s’est fait dans la plus totale harmonie avec ses coéquipiers. Mais il n’en a pas moins placé le trio devant la nécessité de se redéfinir, de revenir à la source, notamment celle de son premier album Dark Eyes (2012).


Or, comme retour à la source, c’en fut tout un! Devon Portielje, Conner Molander et Dylan Phillips sont allés fouiller dans la tonne de démos qu’ils ont accumulés en plus d’une décennie. Ils ont déterré des motifs musicaux enregistrés depuis belle lurette mais jamais utilisés. Ils ont mis le point final à des chansons entamées il y a des années, mais qu’ils n’avaient jamais réussi à terminer.

Le résultat, paru le 2 juin, s’intitule Salt, et il porte ce nom parce que ces trois artistes chouchous de la scène québécoise ont vraiment le sentiment d’avoir renoué avec l’essence, le suc, la substance, le sel de leur musique.



« Ça a été une sorte d’exploration de la force qu’on avait en tant que trio, explique Dylan Phillips. On voulait retrouver qui on est et trouver ce qu’on fait maintenant pour la suite. Le mot salt est là pour exprimer ce qui nous représente le mieux comme personnes, comme musiciens, comme groupe. »

« Parfois, c’est le passé qui nous décrit le mieux, mais parfois, ce sont les nouvelles choses qu’on essaie de faire », ajoute-t-il.

« Certaines des anciennes chansons n’étaient pas de grandes idées, poursuit-il, mais nous en avons récupéré de très bonnes. C’est juste qu’à l’époque, on n’était pas encore capables de les enregistrer. Il fallait simplement les travailler de la bonne manière. »

Dylan Phillips, Devon Portielje et Conner Molander sont prêts à reprendre la route avec les chansons de leur nouvel album « Salt ».

La motivation, derrière cette plongée dans les débuts, est aussi venue de Connor Seidel, nouveau réalisateur de Half Moon Run.



« Il voulait vraiment explorer tout notre catalogue, essayer de finir tout ce qu’on avait commencé, sans jugement. Je pense qu’on avait 380 démos! Connor souhaitait examiner tout notre historique et tenter d’en faire quelque chose d’enregistrable. »

Notre ami Tascam

L’exercice a été fructueux : avec l’expérience et la maturité acquises depuis leur fondation en 2009, les Half Moon Run se sont vite aperçus qu’ils pouvaient désormais rendre certaines chansons à terme. Ce fut le cas pour 9beat, Alco, Hotel in Memphis, Dodge the Rubble et Salt.

« On a beaucoup aimé le processus. C’est un peu un cadeau des anciens nous… au présent », résume Dylan.

Cela n’aurait évidemment pas été possible si les membres de Half Moon Run ne conservaient pas tout ce qu’ils font quand ils créent ensemble...

Depuis 2012, leur meilleur ami est un petit enregistreur Tascam à deux pistes. Ils l’ont initialement acheté pour immortaliser leurs concerts lors de leur première tournée européenne. Capter et réécouter leurs séances de composition et d’improvisation est devenu une de leurs principales méthodes de travail.

« Ça fait partie de notre routine. À la fin d’une journée, on a souvent une cinquantaine d’enregistrements. Je reviens à la maison, je mets tout ça sur mon ordinateur, puis dans Dropbox, et tout le monde a accès à ce qu’on a fait plus tôt. »

—  Dylan Phillips

Pour 9Beat, Devon s’est retapé les quelque 150 versions qui n’avaient jamais abouti, rapporte Dylan. « Il a pris des notes sur ce qui marchait bien dans chacune. Ça nous a donné plein d’idées sur la façon de réenvisager cette chanson. »



Quant au motif d’ouverture d’Alco, le chanteur l’avait imaginé sur un ukulélé lors d’un voyage en Thaïlande en 2012.

Alco est une pièce sur l’engagement, poursuit Dylan. « Alco veut un peu dire alternative commitment, ou, dans ce cas-ci, l’absence d’engagement, que ce soit en amitié ou avec un partenaire amoureux. Du moins, c’est mon interprétation de cette chanson de Devon. »

Clip de la chanson « Alco », réalisé par Marc-André Dupaul. (YouTube, The Pepper Gang, BMG)

Go East!

Mais certaines des onze plages de Salt sont de composition récente et nées pendant la pandémie. C’est le cas d’Everyone’s Moving Out East, alors que les trois musiciens ont vu plusieurs amis quitter Montréal pour l’est du Québec, même pour les Maritimes.

« J’ai l’impression que cette période a été propice pour susciter une réflexion profonde chez beaucoup de personnes, qui ont saisi l’occasion de déménager. C’est aussi un texte sur ce qu’on rate de sa vie quand on est un peu isolé. »

Clip de la chanson « Everyone's Moving Out East », réalisé par Maïlis. (YouTube, The Pepper Gang, BMG)

Half Moon Run a pu tester les pièces de Salt, fignolées en automne 2022, lors d’une prestation surprise offerte au Théâtre Corona de Montréal la semaine dernière.

« On était tellement stressés! D’habitude, quand on donne un spectacle secret, on insère trois ou quatre nouvelles chansons dans la feuille de route et on invite juste nos amis et les abonnés de notre infolettre. Mais cette fois-ci, on tenait à présenter quelque chose de nouveau. On en a donc interprété neuf… et elles sont vraiment difficiles à jouer! » commente Dylan en riant.

Bref, malgré toute son expérience, le trio était terrorisé. « On ne savait pas de quelle manière ça allait tourner. Finalement, on a très bien joué. Le public était tellement dedans! Les gens connaissaient déjà par cœur les paroles des trois premiers extraits du disque. Le feeling a été très bon. »

« Salt », plus récent album de Half Moon Run, paru le 2 juin.

Leurs admirateurs les plus chanceux sont ceux et celles qui réussiront à les attraper en début de tournée à Cowansville et Trois-Rivières, car ils feront halte au festival Soif de musique le 6 juillet et au Festi-Voix le 7.



Les autres devront s’armer de patience : ce n’est qu’à la fin de l’année que le trio reviendra ici, après une importante série de concerts en Europe et en Amérique du Nord. Rendez-vous les 25 et 26 novembre à l’Algonquin Commons Theatre d’Ottawa, le 15 décembre à la salle Maurice-O’Bready de Sherbrooke, le 17 décembre au Théâtre du Palais municipal de Saguenay et le 18 décembre au Grand Théâtre de Québec.

Les cordes d’Antoine

Depuis qu’il intègre des cordes à sa musique, Half Moon Run a souvent collaboré avec le quatuor Esca. C’est à nouveau le cas pour Salt, mais un nouveau complice s’est invité, en la personne d’Antoine Gratton, qui a signé les arrangements du quatuor.

« Antoine avait arrangé les cordes pour notre chanson Fatal Line, sur l’album du 1969 Collective de Connor Seidel, raconte Dylan Phillips. En fait, c’est en participant à ce collectif qu’on a rencontré Connor. Et comme on a adoré les arrangements d’Antoine (dans le passé, c’est moi qui m’occupais des cordes), on a décidé de voir ce que ses propositions pourraient apporter. Finalement, les arrangements sont de nous deux, et on les a même mélangés parfois, sans ego ni jugement. »

Half Moon Run a remporté l’automne dernier son cinquième Félix, celui pour le meilleur spectacle anglophone de 2022.

D’inoubliables plaines

Dylan Phillips et ses coéquipiers ne sont pas près d’oublier leur carte blanche au Festival d’été de Québec, le 17 juillet 2022, devant une foule estimée à quelque 60 000 personnes.

« C’était absolument fou! Le niveau du spectacle était deux fois plus élevé que tout ce qu’on a fait auparavant. Pour des anglophones comme nous qui ne viennent pas d’ici, c’était tellement un honneur d’avoir Daniel Bélanger et les sœurs Boulay comme invités, et de voir tous ces gens du Québec avec nous. Disons qu’après des mois de pandémie, à vivre seul à la maison, à promener le chien, à faire les courses, à cuisiner et à donner peu de concerts, savoir qu’il y avait le show au Festival d’été de Québec à l’horizon nous a beaucoup aidés. Je pense que je ne vais jamais oublier ça de toute ma vie », commente Dylan.

Le spectacle sur les plaines d’Abraham le 17 juillet 2022, devant environ 60 000 spectateurs, en compagnie des sœurs Boulay et de Daniel Bélanger, aura laissé un souvenir indélébile aux membres de Half Moon Run.