Benjamin Mercier a entamé, lundi, sa troisième année de cégep. Il complète quelques cours pour obtenir — il l’espère —, en décembre, son DEC en Sciences humaines.
« Cet hiver, j’ai échoué dans un cours et j’étais étudiant à temps partiel afin de pouvoir travailler environ 30 h à côté », raconte-t-il.
Originaire de Drummondville, Benjamin est arrivé à Québec en 2021, à 17 ans, pour commencer ses études au Cégep Garneau. « J’ai choisi de venir à Québec parce que le cégep chez nous ne me plaisait pas et je souhaitais aussi me préparer pour ma future vie d’étudiant à l’Université Laval », explique-t-il.
Aîné d’une famille de quatre enfants, Benjamin savait qu’il devrait tout payer. Les revenus de ses parents étaient trop modestes pour prendre en charge une telle dépense. « Je suis devenu un adulte avant l’âge. J’ai trouvé un studio à 550 $ à côté du cégep. Le loyer représentait environ 45 % de mon budget. Je devais aussi payer mon épicerie, l’assurance et l’électricité. »
Pas préparé à jouer à l’adulte
Benjamin se souvient parfaitement de sa première épicerie.
« J’avais tellement la chienne à ce moment-là. Je n’avais jamais vraiment fait d’épicerie seul. J’avais l’impression de jouer à l’adulte, comme quand on est enfant. Je n’étais pas très bien organisé et je ne connaissais rien aux techniques pour économiser. »
— Benjamin Mercier
Il blâme en partie le manque de préparation au secondaire. « On a un seul cours d’éducation économique et honnêtement ce n’est pas suffisant ni assez poussé. J’ai eu la chance d’avoir un enseignant merveilleux, mais je pense qu’on gagnerait vraiment à avoir une plus grande préparation pour la vie d’adulte. »
Le jeune cégépien a mis six mois pour s’adapter. « Au début, j’avais aussi le goût de manger des choses que mes parents ne faisaient pas à la maison. J’essayais aussi de me nourrir selon des menus types, mais ça revenait cher. Quand tu as beaucoup de choses à payer, l’alimentation est le plus facile à couper », confie-t-il.
Les cannes et les circulaires
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Mercredi, Le Soleil a accompagné Benjamin au Maxi Fleur de Lys pendant ses courses. Dans son panier : des boîtes de conserves de maïs, de tomates en dés, de sauce tomate, d’olives et de haricots noirs de la marque Sans nom, des mélanges d’assaisonnement au chili, deux oignons rouges, deux poivrons, un paquet de bagels (Sans nom), un mélange de noix et de fruits séchés, un paquet de barres tendres, des protéines sans viande, un sachet en rabais de 30 % (date limite de péremption) de pains ciabattas, deux pots Catelli de sauce tomate aux légumes, du jus de tomates Sans nom et une limonade Minute Maid.
Facture : 45,27 $.
« Chaque semaine, je regarde les circulaires et je décide du plat que je vais préparer. Je dépense environ 200 $ par mois et c’est quasiment impossible d’acheter des fruits et des légumes frais. C’est inabordable », mentionne l’étudiant, qui travaille actuellement à temps plein à l’Hôtel Pur et gagne 24 $ de l’heure.
Avec la montée des prix, Benjamin est devenu végétarien. Il se procure le strict minimum et s’accorde que très peu de plaisirs. « Je n’achète plus de croustilles », évoque-t-il.
Pour compléter son alimentation, Benjamin se sert régulièrement dans le frigo-partage mis en place par le Cégep Garneau au cours de l’automne dernier.
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Depuis deux semaines, il profite également des légumes plantés dans le jardin communautaire par le Front vert, une association étudiante du cégep.
De plus en plus d’heures de travail
Lorsqu’il a commencé le cégep, Benjamin bénéficiait des prêts et bourses. Il a pu se consacrer à temps plein à ses études et il ne travaillait que 15 h par semaine.
Mais peu à peu, il a augmenté ses heures de travail afin de boucler les fins de mois. Au cours de sa seconde année, il a pris la décision de passer d’étudiant à temps plein à étudiant à temps partiel pour la session d’hiver.
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« J’avais une dette d’étude de 10 000 $ et je voulais la rembourser au maximum avant le début de mes études universitaires. Je mets aussi beaucoup d’argent de côté pour éviter de me retrouver avec une dette faramineuse après ma maîtrise », indique-t-il.
Ce choix a eu plusieurs conséquences pour Benjamin. En plus de retarder l’obtention de son DEC, Benjamin s’est également retrouvé en difficulté académique.
« Quand j’ai échoué mon cours, je me suis posé la question si je continuais à Garneau. Tous mes amis habitent chez leurs parents et je vois la différence. »
— Benjamin Mercier
Il a finalement déménagé dans Limoilou et vit avec un colocataire pour réduire ses frais.
Cet automne, Benjamin travaille 40 h par semaine. Le plus complexe pour lui : se lever le matin pour aller en cours à 8 h, quand il finit à 23 h. « Même si j’ai très peu de cours, ça reste difficile de tout gérer », concède-t-il.
Benjamin appréhende le futur à l’université. « Il va falloir que je trouve une solution. Je ne pourrai ni travailler ni étudier à temps plein. »
DES ÉTUDIANTS DE PLUS EN PLUS PRÉCAIRES
Les cégépiens sont de plus en plus nombreux à demander une aide alimentaire ponctuelle et à mettre en péril leurs études en travaillant. Une situation qui inquiète la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), alors que les prix des denrées alimentaires continuent d’augmenter.
Dès la mise en place d’un frigo communautaire au Cégep Garneau, durant la session d’automne 2022, celui-ci a été pris d’assaut par les étudiants, témoigne la travailleuse sociale du cégep, Jasmine Tremblay-Vilao.
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Quelques mois plus tard, le Cégep Limoilou a emboîté le pas. « Les besoins étaient élevés, ça faisait la file », relate le coordonnateur des affaires étudiantes, Jérôme Beaulieu, qui s’attend à voir encore plus d’étudiants venir se servir dans le frigo cette session.
« L’augmentation du coût de la vie touche fortement les étudiants. Pour ceux qui vivent en appartement, ils préfèrent couper dans leur alimentation pour être capables de payer leur loyer. »
— Laurence Mallette-Léonard, présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec
Durant la dernière année scolaire, le personnel des cégeps a également remarqué une augmentation des demandes d’aides ponctuelles. « Nous leur donnons entre autres des bons de 100 $ pour l’épicerie. Nous avons également un fond d’urgence sous forme de prêt », mentionne Mme Tremblay-Vilao.
Parallèlement, des cuisines collectives ont vu le jour afin d’apprendre aux cégépiens à cuisiner à bas prix.
Le travail au détriment des études
Selon la FECQ, les étudiants travaillent de plus en plus d’heures pour subvenir à leurs besoins. « Des études ont prouvé que si un étudiant travaille plus de 15 h par semaine, il y a une atteinte aux résultats académiques », déplore Mme Mallette-Léonard.
Si elle voit d’un bon œil les initiatives mises en place dans les cégeps pour venir en aide aux étudiants, la présidente de la FECQ insiste sur le fait que cela ne suffit pas.
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« On réclame une bonification de l’aide financière et là je parle des bourses, notamment pour les dépenses admises, c’est-à-dire le loyer, la nourriture et l’électricité », fait-elle valoir.
Laurence Mallette-Léonard invite également les cégeps à mieux promouvoir les aides existantes. « Beaucoup d’étudiants ne sont même pas au courant qu’ils peuvent obtenir des bons pour l’épicerie ou qu’ils ont droit à une aide financière qui leur permettrait de poursuivre leurs études à temps plein », se désole-t-elle.
« Je ne savais pas que le cégep donnait de tels bons. Je l’ai appris dans le cadre de ce reportage », confirme Benjamin Mercier.
MAINTENIR DES PRIX ABORDABLES À LA CAFÉTÉRIA
À l’heure du dîner, mardi, la cafétéria du Cégep Limoilou fourmillait d’étudiants venus s’acheter un repas. Face à l’explosion des prix des denrées alimentaires, le chef cuisinier a dû déployer plusieurs stratégies pour maintenir des tarifs abordables.
Un plat chaud coûte entre 6,50 $ et 7,11 $ selon s’il s’agit d’une assiette végétarienne ou avec de la viande. Le menu avec trois items (entrée ou dessert, plat principal et breuvage) revient à 10,96 $ ou 11,50 $.
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« On regarde constamment les prix du marché. Comme nous réinvestissons tout, nous avons une plus grande marge de manœuvre », explique Maxime Jacob, gestionnaire et chef-cuisinier de la cafétéria du Cégep Limoilou.
« Les étudiants nous disent que nous sommes moins chers que les autres cégeps », poursuit-il.
Pour arriver à garder les prix le plus bas possible, l’équipe de M. Jacob cuisine tout au cégep. Les recettes sont également adaptées afin de limiter les coûts, mais tout en conservant un « équilibre nutritionnel ».
Malgré tout, M. Jacob n’a pas eu le choix de procéder à une augmentation moyenne de 8 % selon les produits. « Ces deux dernières années, les prix ont flambé que ce soit le bœuf, l’huile, le lait », cite-t-il en exemple.
« Le frigo des cégépiens »
Selon le directeur de la COOPSCO F.-X. Garneau, Francis Viens, malgré l’augmentation du coût de la vie, la cafétéria reste très populaire chez les étudiants. « Ils regardent ce qu’il y a dans le frigo chez leurs parents et si ça ne leur plaît pas ou qu’ils n’ont pas le temps de se préparer un lunch, ils viennent manger ici. Nous proposons un choix diversifié et ils y trouvent leur compte. »
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Un avis confirmé par des étudiants croisés à la cafétéria du Cégep Limoilou, dont Jordan April, un étudiant de 4e année en Sciences humaines. « Je profite de l’épicerie de mes parents. Je travaille également et quand je veux manger à la cafet, je paye avec mon propre argent et je trouve que le prix est tout à fait correct. »
Comme au Cégep Limoilou, la COOPSCO cuisine tout sur place. « On limite au maximum le gaspillage. Les étudiants nous demandent aussi de plus en plus des plats végétariens et ils coûtent moins cher à produire. Nos sandwichs se vendent aussi très bien », indique M. Viens.
Encore trop cher
Pour Benjamin Mercier, qui doit payer tous ses frais contrairement à la majorité de ses camarades, manger à la cafétéria n’est pas compatible avec son budget.
Il déplore l’absence d’un tarif social pour les étudiants qui connaissent des difficultés financières afin de les aider à manger plus correctement. « Un menu à 5 $ au lieu de 10 $ serait une bonne idée », souffle-t-il.
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