Le Québec se démarque des autres provinces dans la production biologique. Selon l’Union des producteurs agricoles du Québec (UPA), 10 % des entreprises agricoles sont biologiques contre 3 % pour l’ensemble du Canada.
« Avec la pandémie, les gens cuisinaient plus. Ils voulaient également de bons produits. Les paniers de fruits et légumes étaient très populaires et la demande supérieure à l’offre », explique le président de l’UPA, Martin Caron.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/2R6RSDURJZBQZOEVAHBBRMB5AA.jpg)
Les agriculteurs ont augmenté leur production et ont investi pour protéger leurs cultures afin d’être en phase avec cet afflux de nouveaux clients. Mais ces derniers mois, l’inflation et la fin de la pandémie sont venues bouleverser les habitudes de consommation, mettant en péril de nombreuses fermes de proximité.
Baisse des inscriptions
France Marcoux, propriétaire d’une ferme à Beauport, a commencé la culture de produits certifiés biologiques en 2016. Cet automne, elle a dû se résigner à augmenter de 2,8 % le prix de ses paniers.
« Produire bio est devenu un véritable enjeu. Les intrants et les semences coûtent beaucoup plus cher cette année. C’est la première fois que cela augmente autant. Juste les salaires, c’est quelque chose. »
— France Marcoux, propriétaire du Potager France Marcoux
Les paniers estivaux de Mme Marcoux subissent également une hausse, avec pour conséquence immédiate une baisse des inscriptions.
« Peut-être que ça va s’inscrire à la dernière minute, mais pour l’instant ce n’est pas la grande affluence. Dans le passé, on était déjà complet », s’inquiète-t-elle.
« Dindons de la farce »
Pour s’en sortir financièrement, Mme Marcoux envisage de mettre un terme à la culture biologique pour retourner vers le conventionnel avec une utilisation intelligente des pesticides. « Vous m’auriez posé la question il y a trois mois, je vous aurais répondu que je restais dans le bio, mais là je ne sais plus. La main-d’œuvre dans le bio se fait rare, le travail est plus difficile pour un rendement qui est moindre. »
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/MDFP2RQBHRDK3M254DSHNNBZMQ.jpg)
Pour le directeur du Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation à l’Université Laval, Patrick Mundler, les producteurs biologiques partent avec deux prises contre eux.
« Le système conventionnel est à la source de problèmes collectifs et tout le monde va payer pour ça. C’est ce qu’on appelle une externalité en économie. L’émetteur du problème ne prend pas en charge le coût. À l’opposé, le marché paye le différentiel de qualité de la bio. C’est un peu injuste comme phénomène global. D’un côté, il y a des gens qui font mieux, mais on compte sur le marché pour le prendre en compte. De l’autre des gens qui font “moins bien“, mais qui ne sont pas pénalisés pour ça », explique-t-il.
Selon un sondage récent de l’Union des producteurs du Québec (UPA), une entreprise sur cinq se trouve en mauvaise ou très mauvaise situation financière.
« On est rendu les dindons de la farce. Je travaille 60 heures par semaine et je n’ai pas de fonds de retraite », réagit Francine Pomerleau, propriétaire de la ferme Vallée des prairies située à Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud.
Productrice biologique depuis 1980 et certifiée, Madame Pomerleau a connu l’âge d’or du bio entre 1987 et 1997.
« Les gens voulaient consommer bio et étaient prêts à payer pour ça. Ce n’est plus le cas maintenant. Les gens ont lancé la serviette et préfèrent se payer des loisirs plutôt que de se nourrir correctement. »
— Francine Pomerleau, propriétaire de la ferme Vallée des prairies
Une vision partagée par plusieurs agriculteurs interrogés par Le Soleil, dont Jérôme Ouellet, copropriétaire de Hortus Fungi, une ferme maraîchère bio-intensive sur petite surface à Saint-Nicolas. « Les heures de travail sont longues et peu valorisées. Les prix ne sont pas représentatifs de notre travail. Le bio est considéré comme un produit de luxe. C’est l’une des choses qui saute en premier avec le contexte inflationniste. »
Changer les mentalités
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/VPEPP7OZ2BERVO6QFYTGYXHSEE.jpg)
S’il se pose beaucoup de questions, M. Ouellet n’envisage pas pour l’instant d’arrêter ses cultures biologiques. Mais les nombreuses difficultés auxquelles il doit faire face pourraient finir par plomber sa vocation.
« Je n’ose pas trop me poser la question. Le jour où je n’aurai plus de fun, je vais arrêter »
— Jérôme Ouellet, copropriétaire de la ferme Hortus Fungi
Selon M. Mundler, l’alimentation ne représente que 16 % du budget des Québécois. « Avec l’inflation, les gens se sont mis à compter et à couper dans les dépenses alimentaires pour ne pas réduire d’autres dépenses comme les loisirs. On ne paye pas assez cher pour se nourrir et cela aura des conséquences dans le futur », martèle-t-il.
Des pistes pour sauver le bio au Québec
Face à un tableau aussi sombre, tous ne baissent pas les bras. Il existe au moins quatre solutions qui méritent d’être explorées.
1. Conscientiser les consommateurs
Tous les indicateurs poussent vers une consommation locale, saine et la plus propre possible. « On entend parler de sécheresse, de problèmes avec l’eau. Les gens sont de plus en plus malades. Ils doivent savoir ce qu’ils consomment, sans parler des GES avec le transport des produits importés », insiste M. Caron.
Pour Émilie Viau-Drouin, directrice générale de la Coopérative pour l’Agriculture de Proximité Écologique (CAPÉ), l’une des solutions passe par l’éducation de la population. « Un client au marché m’a dit : “ça n’a pas de sens, 5 $ pour de la rhubarbe”. Je lui ai répondu que je devrais la vendre deux fois plus cher pour pouvoir vivre décemment. Finalement, il m’en a acheté deux. Les agriculteurs, quand ils augmentent les prix, ça leur brise le cœur. Ils veulent rester accessibles pour la population, mais les gens ne se rendent pas compte de tout le travail derrière. »
2. Faciliter la certification des producteurs
Les différents acteurs du secteur agricole reprochent entre autres aux gouvernements québécois et canadien de ne pas faire leur part pour valoriser les exploitations biologiques.
« La certification biologique canadienne est l’une des plus sévères au monde. Je me pose de sérieuses questions sur la qualité des produits importés. La loi est censée être la même pour les produits qui entrent sur le territoire canadien. Mais dans la réalité, on s’aperçoit que c’est loin d’être le cas », peste Jean-Julien Plante, copropriétaire de Ohbio Ferme sur l’île d’Orléans, certifiée biologique depuis 2019.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/V4BAPUXMABBJDLGKVK2X4VM3TI.jpg)
Selon le président de l’UPA, Martin Caron, les États-Unis et l’Europe soutiennent beaucoup plus l’agriculture biologique. « L’État américain assure 50 % des frais de certification. Au Canada, on demande de remplir beaucoup de paperasses qui ne servent à rien. Ça n’amène pas plus d’efficacité pour la production et l’environnement. Ce sont juste des données », cite-t-il en exemple.
M. Caron insiste sur le fait que le gouvernement doit mieux soutenir les agriculteurs.
« On est le garde-manger des Québécois. Ce n’est pas une dépense de nous soutenir et d’informer la population sur les enjeux et l’importance de manger local. L’autonomie alimentaire passe par là. »
— Martin Caron, président de l'UPA
3. Encourager les « quasi bios »
Pour le professeur de l’Université Laval Patrick Mundler, les pouvoirs publics ont décidé d’améliorer les pratiques et de diminuer les pesticides plutôt que de favoriser la culture biologique, qu’elle soit certifiée ou non. « Certains agriculteurs, sans posséder le label bio, entreprennent beaucoup d’efforts pour ne pas utiliser de pesticides et le marché ne le reconnaît pas. Aucun label ne les distingue », critique-t-il.
C’est le cas de la ferme de Jérôme Ouellet. « Je cultive bio depuis 2018, mais je n’ai pas demandé la certification. J’ai une relation de confiance avec mes clients. Il est nécessaire d’éduquer les consommateurs sur les produits non saisonniers qui se retrouvent sur les tablettes des épiceries », estime-t-il.
4. Réinventer l’offre
Qu’ils soient bio certifiés ou non, les producteurs de fermes de proximité vont devoir s’adapter au marché et revoir leur modèle d’affaires pour répondre adéquatement à la demande des consommateurs.
« On s’aperçoit que les clients préfèrent choisir leurs légumes. Les paniers ne correspondent peut-être plus à la manière de vivre des clients. On a créé un kiosque et un mini-marché, en partenariat avec une brasserie », indique M. Ouellet.
Les agriculteurs attendent également du gouvernement une plus grande publicité des produits locaux et bio, ainsi que la création de partenariat avec des institutions gouvernementales comme les CIUSSS. « Mettons plus de bio dans les assiettes des CHSLD », disent-ils.