Ceux qui suivent les séries éliminatoires actuelles ont sans doute aperçu les joueurs se désaltérer avec un liquide contenu dans une petite boîte en carton rectangulaire (Tetra Pak). BioSteel est devenue la boisson officielle de la LNH à l’été 2022.
Une publicité mettant en vedette Connor McDavid et Cale Makar est diffusée sans répit pendant les pauses, sur les postes français et anglais. Les deux adversaires sont sur leur banc respectif, suggérant à leurs coéquipiers qu’ils doivent resserrer la surveillance de l’autre. On y voit brièvement de futures vedettes du hockey, comme Connor Bedard et Jade Iginla (fille de Jarome).
«C’est un succès remarquable. C’est l’histoire de David contre Goliath», lance d’entrée de jeu Luc Dupont, professeur de communication à l’Université d’Ottawa et spécialiste en marketing, lors d’un entretien avec Le Soleil. Dans le rôle de Goliath : Gatorade, qui appartient à PepsiCo.
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Même si BioSteel a bien joué la carte marketing jusqu’ici, M. Dupont estime que la nature du produit de l’entreprise canadienne compte pour beaucoup dans ses succès.
«Le problème de Gatorade, et c’est comme ça qu’on le surnomme dans l’industrie du sport, c’est que c’est du Kool-Aid pour adultes. C’est très sucré. Et la nouvelle génération d’athlètes est tellement différente de ce qu’on a connu auparavant.»
BioSteel se présente comme une boisson sans sucre, sans saveur artificielle, faite d’ingrédients naturels. Elle contient aussi tous les électrolytes dont le corps a besoin pour récupérer d’un effort, dit-on.
De la musique aux oreilles de cette nouvelle génération d’athlètes, qui place l’hygiène de vie au sommet de ses priorités.
Une histoire de vestiaire
L’histoire de cette boisson est intrinsèquement liée au hockey, et même à la LNH.
On raconte d’ailleurs qu’elle a vu le jour dans un vestiaire du circuit Bettman, lorsque le hockeyeur Mike Cammalleri et son ami d’enfance John Celenza, un spécialiste de la nutrition, ont croisé la route d’un responsable de la condition physique des Maple Leafs de Toronto, Matt Nichol. Les trois hommes ont alors mis en commun leurs efforts déjà amorcés pour créer une boisson hydratante meilleure pour la santé que celles existantes.
À la clé, une petite poudre créée par Nichol, qui allait rapidement devenir rose.
«Je me souviens, j’étais dans mon appartement à Montréal pour le camp d’entraînement, et John est arrivé avec une bouteille de notre produit», a raconté Cammalleri au magasine Entrepreneur. «Il m’a regardé et il m’a dit : “Mike, c’est rose.” Il m’a demandé ce qui était arrivé. Je lui ai dit : “Eh bien, le fabricant a dit que si ça avait une couleur, les gens en boiraient plus. Alors, on va mettre en marché une boisson sportive rose.“»
Une idée «complètement géniale», selon Luc Dupont.
«Sports. Hommes. Rose. C’est fort, complètement à rebrousse-poil, contre les idées reçues.»
— Luc Dupont
Au départ, BioSteel est une affaire d’initiés. Le produit coûte cher et, pour l’essentiel, seuls des athlètes de haut niveau le consomment. «Ça fait partie du charme, du mythe de la compagnie : c’est réservé aux vraies vedettes», remarque Luc Dupont.
Le charme demeure, mais la réalité change en 2010. Entre deux périodes d’un match présenté à la CBC, l’animateur Ron McLean interroge le hockeyeur nouvellement retraité Gary Roberts sur cette boisson étrange bue par certains de ses pairs. Cette entrevue fait sensation, et BioSteel devient rapidement accessible au commun des mortels.
Au cours des années suivantes, elle cause des remous. Plusieurs joueurs la consomment pendant les matchs, utilisant les gourdes de Gatorade pour ce faire. «J’utilise [BioSteel] toute la saison», lance alors la vedette du Lightning de Tampa Bay Steven Stamkos.
Le géant américain réplique avec une plainte à l’Association des joueurs de la LNH, qui est alors associée, tout comme la LNH, à Gatorade. Une mise en garde est lancée à la jeune pousse : BioSteel doit s’éloigner des joueurs du circuit, du moins publiquement.
En 2019, la compagnie canadienne de production de cannabis Canopy Growth achète 72 % des parts de BioSteel. Cette transaction permet à l’entreprise d’envisager un jour lancer un produit fait à base de cannabidiol, un extrait de cannabis non psychoactif.
«D’un point de vue d’affaires, on a décidé qu’avec plus de recherches et en faisant les vérifications nécessaires, on pouvait lancer une ligne de produits incluant du cannabidiol», a expliqué Mike Cammalleri lors d’une entrevue avec TSN, au moment de la transaction. «On commençait à avoir des conversations, je dirais même à se faire harceler par des entreprises de cannabis. Ça a été la genèse des conversations entourant le cannabidiol. Ça a été une évolution naturelle pour nous.»
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BioSteel permet certainement à Cammalleri d’avoir une après-carrière bien remplie, mais le projet est né vers 2005, alors qu’il était encore un jeune joueur dans la LNH. La compagnie a été fondée officiellement en 2009, sensiblement au moment où il se joignait au Canadien de Montréal.
Cammalleri a finalement disputé deux campagnes et demie dans l’uniforme tricolore. Il a terminé sa carrière en 2018, après avoir joué 906 matchs et récolté 642 points. Il a aujourd’hui 40 ans.
De gros noms
En plus de McDavid et Bedard, BioSteel compte une foule d’athlètes de renom dans ses rangs, dont le quart-arrière vedette Patrick Mahomes, la golfeuse Brooke Henderson et le joueur de soccer Alphonso Davies.
Malgré tout, l’entreprise demeure méconnue, constate Luc Dupont. Gatorade a pris tant de place dans les dernières décennies qu’elle est difficile à déloger de nos esprits. «Dans notre cerveau, au fond, c’est encore Gatorade», lance le spécialiste.
C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles BioSteel a lancé une petite gifle à son compétiteur, cet hiver. Au sens figuré.
En marge de la date limite des transactions dans la LNH, BioSteel a installé des boîtes dans une centaine de magasins sportifs canadiens. Les consommateurs étaient invités à y déposer leur gourde verte de Gatorade en échange d’une gourde de BioSteel.
Et peut-être que notre cerveau est, tranquillement, en train de passer du vert au rose...