Tramway: La Pocatière craint d’être «sacrifiée» au profit du Mexique

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE - La Pocatière --- Portrait économique de La Pocatière.  Visite de de l'usine de Bombardier.  La ligne de montage des tramways pour la ville de Toronto. --- -19 février 2019 P-AFF-2019-02-13-8464

Le contrat des rames du tramway de Québec laisse les travailleurs de l’usine Alstom de La Pocatière sur leur faim, eux qui craignent de ne récolter que les «miettes» de l’assemblage, sachant que les véhicules seront plutôt construits au Mexique.


«Non-sens», «aberration»: autant de mots qui traduisaient mardi la «stupéfaction» du Syndicat des employés de Bombardier La Pocatière–CSN.

Dans un communiqué, il rapportait avoir appris ces dernières heures que les rames du tramway de Québec seraient construites à 4000 kilomètres de la province, au Mexique, tournant ainsi le dos à une usine située à moins de 200 kilomètres de la capitale, regrette le président du syndicat de l’usine du Bas-Saint-Laurent, Marco Lévesque.



«Jamais les employé-es de l’usine de La Pocatière n’auraient pu imaginer que le contrat du tramway de Québec, pratiquement dans notre cour, nous échapperait au profit d’une usine mexicaine», déplore la présidente de la CSN, Caroline Senneville.

Malgré l’«expertise» développée au fil des ans, «on nous a dit que ce serait seulement que l’assemblage, aucune soudure. Les travailleurs disent ‘’on est devenus des boulonneux, au lieu de fabricants’'», illustre à son tour avec regret le président de la Fédération de l’industrie manufacturière, Louis Bégin, en entrevue avec Le Soleil.

Il présume qu’Alstom peut préférer le Mexique et ses 1600 employés pour la fabrication pour une «question de coûts». «Mais un dollar investi au Québec a des retombées ici», insiste-t-il.

«On est contents d’avoir l’assemblage, mais on aurait voulu plus.»

—  Louis Bégin, président de la Fédération de l'industrie manufacturière

La Ville de Québec a officialisé lundi la signature de son contrat avec la multinationale française pour la construction et l’entretien des rames du futur tramway. Le contrat prévoit un plancher de contenu local, fixé à 25%. Une clause stipule aussi que l’assemblage final doit se faire au Québec.



Les travailleurs de l’usine de La Pocatière devraient d’ailleurs commencer à assembler les rames en 2025.

À LIRE AUSSI: Alstom et Québec signent le contrat du tramway

Les règles internationales, entre autres une entente avec l’Europe, empêcheraient toutefois le gouvernement du Québec d’exiger plus du quart de contenu local, d’après le premier ministre François Legault.

«On a essayé avec Alstom d’en faire le maximum à La Pocatière [et la] conception, le plus possible à Saint-Bruno, mais il y a une partie qui va effectivement être faite au Mexique, a-t-il reconnu mardi. Ce qu’on souhaite, c’est qu’il y en ait le plus possible qui soit fait au Québec.»

Le syndicat souligne que le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) avait pourtant pris des engagements pour que l’usine du Bas-Saint-Laurent décroche une bonne part du contrat du tramway de Québec.

«L’usine de La Pocatière ne ramassera que les miettes de ce projet d’envergure de près de 4 G$, soit seulement l’assemblage», s’indigne le syndicat. Un constat d’autant plus choquant, au moment où La Pocatière travaille à fabriquer les rames du tramway de Toronto.



Redoutant un «impact majeur» pour le maintien de l’expertise locale, le regroupement envisage aussi des conséquences pour les fournisseurs régionaux et une perte de retombées économiques pour la province.

Alstom «pleinement engagée» au Québec

Depuis qu’il a été retenu comme soumissionnaire privilégié, Alstom se targue de proposer à Québec une «solution de mobilité éprouvée et fiable, développée et assemblée au Québec». La multinationale française souligne souvent à grands traits l’«expertise d’ingénierie mondialement reconnue et nos capacités industrielles uniques au Québec».

Encore dans ses communications mardi, sans nommer le Mexique, le géant des transports soutient que les rames du tramway de Québec «seront développées par les ingénieurs d’Alstom basés à Saint-Bruno-de-Montarville et elles seront assemblées dans son usine de La Pocatière dans la région du Bas-Saint-Laurent».

Alstom se dit même «pleinement engagée» à accroître ses activités localement et compte honorer ses «obligations» envers la Ville de Québec, de rencontrer le seuil de contenu local.

«L’usine de La Pocatière est un joyau pour Alstom.»

—  Michelle Stein, Vice-présidente des Communications Amériques pour Alstom

Citant «des efforts considérables» réalisés au cours des dernières années pour faire rouler l’usine, la porte-parole Michelle Stein énumère une série de contrats d’ailleurs «rapatriés» à La Pocatière récemment. «Nous avons plus de 400 employés actuellement à l’usine, au-dessus de nos engagements envers le gouvernement du Québec.»

Loin des «embauches en montagnes russes», le maire de La Pocatière se dit d’ailleurs «confiant» qu’Alstom «va travailler à court terme, mais aussi à moyen et long terme pour rendre l’usine pérenne dans le temps. Mon souhait, c’est qu’on embauche le maximum de gens chez nous», exprime Vincent Bérubé.

Le maire Marchand savait-il?

À l’hôtel de ville de Québec, les réactions n’ont pas été aussi positives.

Évoquant des propos tenus par le maire Bruno Marchand sur la «construction» du tramway au Québec par Alstom, le chef de l’opposition officielle est d’avis qu’il a «induit en erreur, volontairement ou pas» la population.



«Ce n’est pas ce qui nous a été vendu», pointe Claude Villeneuve. Il sous-entend que le maire ne connaissait pas «la nuance» entre la construction et l’assemblage. «Il ne faut pas attribuer à la malveillance ce que l’incompétence suffit souvent à expliquer. S’il ne nous a pas menti, il l’a échappé».

«Dans un projet qui peine à se faire aimer», dit le chef de l’opposition, il estime que Bruno Marchand «était très content de venir dire que ça allait se faire à La Pocatière, notamment pour faire monter l’acceptabilité sociale».

La deuxième opposition soupçonne quant à elle le maire d’avoir été au courant que la construction se ferait hors du pays. «Le maire a joué sur les mots, il a manqué de transparence, il a menti», l’a accusé le chef, Patrick Paquet.

«Sinon, il s’en est fait passer une petite vite», a-t-il illustré. «On nous roule dans la farine, on nous berne, c’est du grand n’importe quoi».