Au final, ce sont 300 députés qui ont voté pour le projet de loi et un contre. N’empêche, la seule opposition explicite au projet de loi est venue du caucus libéral lui-même. Dans les derniers mois, pas moins d’une dizaine de députés songeaient à voter contre ce projet de loi dont le texte reconnait la Charte québécoise de la langue française.
Finalement, un seul député rouge, l’anglo-montréalais Anthony Housefather, a brisé les rangs. Une autre députée libérale, Sherry Romanado a enregistré un vote d’abstention selon la Chambre des communes.
Lundi, la ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor qualifiait d’«historique» le résultat du vote.
«La loi sur les Langues officielles a été adoptée en 1969 et ça fait 34 ans qu’elle n’a pas été modifiée. Nous sommes rendus à l’étape, dans peu de temps, où nous aurons la modernisation», a-t-elle déclaré en mêlée de presse.
«C’est une journée historique, pour moi. Je me sens un peu émotionnelle aussi. Ça fait un an et demi qu’on travaille sur ce projet de loi.»
— Ginette Petitpas Taylor, ministre des Langues officielles
En modernisant cette loi, les libéraux espèrent freiner le déclin de la langue française au pays et aider les communautés de langues officielles en milieu minoritaires.
Si le Sénat l’adopte, cette loi donnerait plus de dents au commissaire aux langues officielles, augmenterait les seuils d’immigration francophone et obligerait des entreprises privées de juridictions fédérale à respecter la loi.
Une trentaine de députés et ministres ne se sont pas exprimés dans le cadre de ce vote crucial. Le premier ministre Justin Trudeau, qui était de passage en Alberta lundi, n’a pas voté puisqu’il était en déplacement.
«Je pense qu’on peut se dire que tous les partis à la Chambre des Communes ont appuyé le projet de loi. Je sens que j’ai reçu l’appui des collègues du Cabinet, du premier ministre et effectivement, je suis très contente de voir le projet de loi se rendre au Sénat», a-t-elle dit.
La ministre ne s’est pas dite déçue du vote de son collègue Housefather et assure qu’elle n’est pas rancunière.
La modernisation de la Loi sur les langues officielles constituait une promesse phare des libéraux lors des deux dernières campagnes électorales.
À l’Assemblée nationale, le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge a lui aussi salué son adoption.
«Le projet de loi C-13 doit maintenant passer le Sénat, rapidement, et dans sa forme actuelle!», a-t-il écrit sur Twitter.
Prochaine destination: le Sénat
Justement, les sénateurs canadiens attendent depuis mars 2022 ce projet de loi et ont bien l’intention de l’étudier «avec rigueur».
En entrevue au Droit, le sénateur acadien René Cormier, qui préside le comité permanent des langues officielles du Sénat, a rappelé que son comité avait déjà passé de nombreuses heures à étudier la modernisation de la loi.
N’empêche, d’importants amendements pour gagner l’appui du Québec ont été adoptés en cours de route et le projet de loi a changé.
La ministre Petitpas Taylor croit que le projet de loi peut être adopté d’ici la fin juin.
«J’applaudis [l’]optimisme [de la ministre]. Quand je pense aux communautés de langues officielles, je suis d’avis que le plus tôt sera le mieux. Mais, le Sénat doit faire son travail. Si on a été nommé au Sénat, c’est pour faire un travail rigoureux et c’est ce qu’on va faire», a déclaré le sénateur Cormier.
Le projet de loi pourrait être déposé à la Chambre haute aussitôt que mardi et débattus dès jeudi avant que le comité des langues officielles ne commence son étude.
Le calendrier parlementaire est néanmoins serré. Députés et sénateurs seront en relâche la semaine prochaine et il ne restera que quatre semaines pour étudier le projet de loi, l’amender, en débattre, l’adopter et obtenir la sanction royale.
«Ce n’est pas le propre du Sénat et des sénateurs d’avoir de la pression. On doit s’assurer d’avoir le temps de faire notre travail», a déclaré le sénateur Cormier, qui reconnait par ailleurs le travail «important» des députés fédéraux.
Un débat «déchirant»
Le débat entourant C-13 aura été particulièrement sensible chez les libéraux puisque ce projet de loi vise à briser la symétrie qui existe en matière de langues officielles. Le gouvernement promet un rattrapage du français puisqu’il s’agit de la «seule langue officielle menacée au pays».
Ce faisant, des communautés anglophones du Québec, en particulier celle de la région de Montréal, ont farouchement contesté ce projet de loi qui reconnait la Charte québécoise de la langue française.
«Les références à la Charte de la langue française du Québec devraient être supprimées avant que le projet de loi ne reçoive la sanction royale. Elles ne font rien pour promouvoir les droits et libertés des Canadiens d’expression française et tout pour créer un précédent permettant à d’autres gouvernements provinciaux de traiter leurs minorités linguistiques de la même manière», a déclaré la présidente du Quebec Community Groups Network, Eva Ludvig.
Lundi encore, la ministre de l’Agriculture et députée de la circonscription de Compton-Stanstead dans les Cantons de l’Est, Marie-Claude Bibeau, a carrément parlé d’un débat «déchirant» tant dans les communautés anglophones que francophones.
«On a vraiment essayé de trouver le meilleur équilibre pour protéger le français, notamment au Québec et le renforcer à l’extérieur du Québec sans pour autant enlever des droits à la communauté anglophone», a-t-elle dit.
«Regardez, il n’y a pas de bonne réponse, mais on a fait le tour du jardin avec la plus grande sincérité possible. Et puis, là, il faut que ça aille de l’avant», a-t-elle conclu.
Quelques instants plus tard, son collègue Marc Miller, qui avait laissé planer le doute sur ses intentions il y a quelques mois, a reconnu qu’il y aura «toujours une certaine tension» par rapport à ce dossier au sein du caucus libéral.
Aujourd’hui, il a voté pour le projet de loi même s’il y «a eu un malaise» dans les derniers mois.
«C-13, c’est une bonne loi qui va renforcer le français à travers le Canada dans la juridiction que le Canada doit exercer pour reconnaitre cette asymétrie qui existe dans notre pays, dans une mer d’anglais en Amérique», a-t-il expliqué.