M. Jolin-Barrette a confirmé jeudi soir au Soleil que Charles-Olivier Gosselin, nommé juge le 3 mai, est bel et bien son ami. Les deux se connaissent depuis l’université et se fréquentent encore « une ou deux fois par année », a dit le ministre en entrevue.
« La candidature du juge Gosselin a été traitée au mérite », a assuré Simon Jolin-Barrette.
« Moi, quand je reçois les candidatures, je fais la sélection en fonction des compétences et des qualités. [...] C’est mon devoir, comme ministre de la Justice, de faire une recommandation au Conseil des ministres », a-t-il affirmé, répétant avoir suivi le processus réglementaire « en tous points ».
Au cours des derniers jours, une douzaine d’avocats et juges ont dénoncé, en entrevue au Soleil, ce qui leur apparaît comme une nomination partisane.
La nomination de Charles-Olivier Gosselin à la chambre criminelle de la Cour du Québec a créé et continue d’alimenter un immense malaise dans le milieu juridique de Québec. « C’est gênant », commente une source.
Tous deux âgés de 36 ans, Jolin-Barrette et Gosselin ont fait leur droit à l’Université de Sherbrooke. C’est Charles-Olivier Gosselin qui signe le mot dans l’album de finissants de Simon Jolin-Barrette. Le ministre a été inscrit au tableau de l’ordre du Barreau du Québec en 2010. Le nouveau juge a lui été reçu avocat en 2011.
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Célébrant du mariage de son ami
Le 15 mai 2015, Simon Jolin-Barrette, élu un an plus tôt député de Borduas et alors porte-parole de l’opposition en matière d’immigration, a célébré le mariage de Charles-Olivier Gosselin et de sa conjointe au Domaine Cataraqui de Sillery devant plusieurs dizaines de convives.
Différentes sources ont confirmé ce fait au Soleil. Le ministre Jolin-Barrette l’a admis lui-même, en entrevue au Soleil.
Pas un secret
Au palais de justice de Québec, la relation d’amitié entre MM. Gosselin et Jolin-Barrette était connue de plusieurs juges et avocats et ce depuis de nombreuses années. «On le sait parce que le nominé ne s’en cache même pas. Il n’a aucune gêne avec ça», indique une source, qui dit avoir entendu lui-même l’information de la part de son ancien collègue avocat Gosselin.
Selon nos sources, la relation entre Simon Jolin-Barrette et Charles-Olivier Gosselin est «très solide», encore à ce jour et ils sont qualifiés de «très bons amis».
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Avocat du tueur de la Mosquée
Reçu au Barreau du Québec en 2011, Charles-Olivier Gosselin était jusqu’à la semaine dernière avocat au bureau de l’aide juridique de Québec. Reconnu comme un juriste compétent, avec des connaissances jurisprudentielles très étendues, Charles-Olivier Gosselin a défendu le tueur de la Mosquée de Québec, aux côtés de son collègue Jean-Claude Gingras, aujourd’hui juge à la cour municipale de Québec.
L’avocat Gosselin a porté le dossier d’Alexandre Bissonnette jusqu’en Cour suprême, plaidant que les peines consécutives pour les auteurs de meurtres multiples étaient inconstitutionnelles. La Cour suprême a finalement invalidé la disposition du Code criminel qui permettait d’imposer des peines de plus de 25 ans d’incarcération.
Si les sources ne remettent pas en doute les compétences de Charles-Olivier Gosselin, plusieurs nous ont dit qu’une telle nomination à 36 ans, avec une expérience somme toute limitée de 12 années de pratique, est rare.
La chasse aux réponses
Dans les derniers jours, le ministre Jolin-Barrette et son cabinet ont été invités à plusieurs reprises à répondre aux questions précises du Soleil concernant la relation entre le ministre de la Justice et le nouveau juge, ainsi que sur le processus de nomination.
Chaque fois, la réponse, par écrit, revenait à résumer le processus de nomination d’un juge et de dire qu’il avait été suivi à la lettre.
Abordé en personne dans les couloirs du Parlement, mercredi, M. Jolin-Barrette a encore décliné la demande, estimant que toutes les réponses à nos questions avaient été fournies.
Jusqu’à jeudi soir, quand le ministre s’est finalement laissé convaincre d’accorder une entrevue, au téléphone.
« J’exerce mes fonctions avec rigueur, avec jugement et je suis en mesure de faire la meilleure recommandation pour le Conseil des ministres », a-t-il déclaré, interrogé sur l’apparence de conflit d’intérêts.
« Le processus réglementaire, le processus législatif, oblige le ministre à sélectionner quelqu’un qui lui est soumis et recommandé par le comité indépendant. Ce n’est pas comme si le ministre choisissait dans un bassin de candidatures où il n’y aurait pas de critères. C’est strictement encadré par la loi et le règlement. Je me dois de faire une recommandation et que le meilleur candidat soit recommandé au Conseil des ministres. Ce que j’ai fait avec la nomination du juge Gosselin. »
Il persiste et signe. Le ministre de la Justice s’avère la seule personne habilitée à faire cette recommandation à partir de la courte liste qui peut contenir jusqu’à trois noms pour un poste. Il a recommandé la meilleure personne, selon lui. Même s’il s’agissait de son ami.
« Ça fait 15 ans que j’évolue dans le domaine juridique. Donc, tous les candidats que j’ai déjà croisés, que je connais, ne pourraient pas être désignés comme juges? Tous les ministres de la Justice depuis Claude Wagner étaient tous membres du Barreau. Ce qui disqualifierait probablement tout le monde qui a déjà œuvré dans le milieu juridique », a extrapolé le ministre Jolin-Barrette.
Claude Wagner a été le premier ministre de la Justice du Québec à la création du ministère sous sa forme actuelle, en 1965. M. Jolin-Barrette est le 26e.
Le processus de sélection
Seuls les avocats ayant exercé leur profession pendant au moins 10 ans peuvent soumettre leur candidature au poste de juge ou de juge de paix magistrat.
Plusieurs critères sont énumérés dans la loi pour évaluer la candidature d’un candidat, dont ses compétences professionnelles, son intégrité, sa pondération, la qualité de son expression ainsi que son degré de conscience à l’égard des réalités sociales.
Les nominations de juges à la Cour du Québec sont faites par le Conseil des ministres, suivant la recommandation du ministre de la Justice.
Pour chaque concours, un comité de sélection indépendant, formé de deux avocats, d’un juge et de deux membres du public désignés par l’Office des professions, procède à l’évaluation de chacune des candidatures en toute confidentialité, en fonction des critères prévus au règlement.
À la fin du processus, le comité de sélection prépare un rapport dans lequel il indique au ministre les noms d’au plus 3 candidats aptes à être nommés juges. Un candidat est proposé lorsque la majorité des membres du comité est favorable à cette proposition, rappelait le cabinet du ministre de la Justice.
Le choix du ministre
Le ministre de la Justice choisit, parmi les personnes déclarées aptes, celle dont il recommandera la nomination au Conseil des ministres. Pour faire ce choix, le ministre de la Justice se fonde sur le rapport du comité de sélection qui contient une appréciation personnalisée des candidats proposés.
Le cas Hamad
D’autres proches de ministre ont déjà accédé à la magistrature.
Le 25 mars 2009, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale Sam Hamad avait, selon ses dires, appris seulement à son arrivée à la réunion du Conseil des ministres que son épouse Marie-Claude Gilbert était sur la liste des candidats recommandés pour devenir juge à la Cour du Québec.
Le ministre Hamad affirmait avoir quitté la réunion durant les délibérations au terme desquelles la ministre de la Justice Kathleen Weil a recommandé la nomination de Mme Gilbert.
Pas de commentaires de la Cour du Québec
Le Soleil a transmis au juge Charles-Olivier Gosselin des questions sur sa relation d’amitié avec le ministre Jolin-Barrette. Le juge a décliné notre demande d’entrevue.
Le Soleil a aussi demandé à la Cour du Québec si, à son avis, le ministre de la Justice aurait dû se retirer du processus de nomination puisqu’un de ses amis était concerné.
« La juge en chef estime qu’il ne lui revient pas de répondre à la question relative à la conduite que le ministre de la Justice aurait dû adopter si vos allégations sont fondées, écrit Me Anne Latulippe. La priorité de la Cour du Québec est de poursuivre le processus d’accueil et d’intégration de l’honorable Charles-Olivier Gosselin au sein de son institution. »
La Cour du Québec compte 319 juges et 39 juges de paix magistrats.
«Responsabilité morale»
L’ex-ministre de la Justice Me Marc Bellemare, qui a lui-même dénoncé par le passé un possible trafic d’influence dans la nomination des juges, affirme, en entrevue au Soleil, que si Simon Jolin-Barrette a tranché en faveur d’un ami parmi une liste de trois candidats finalistes pour le poste de juge, le public est en droit de s’interroger sur ses motifs de sélection.
« On peut se demander pourquoi il a choisi lui plutôt que les deux autres, dit Me Bellemare. Est-ce qu’il a vraiment opté pour la compétence? »
Selon Marc Bellemare, les ministres de la Justice ont une «responsabilité morale» de maintenir la crédibilité du processus de sélection des juges, en se plaçant au-dessus de tout soupçon de favoritisme.
« Le ministre, sa job, c’est de s’assurer que les institutions vont être à l’abri de toutes remarques, quitte à ne pas nommer quelqu’un que tu connais intimement », dit-il.
En 2010, une commission d’enquête présidée par le juge Michel Bastarache avait examiné les allégations faites par l’ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, qui disait avoir subi des influences indues dans le processus de nomination des juges québécois.
Au terme de longues audiences, le commissaire Bastarache avait conclu que l’ancien ministre libéral n’avait pas subi de «pressions colossales» pour nommer des juges, contrairement à ce qu’il avait soutenu.
Michel Bastarache avait toutefois identifié de nombreuses «insuffisances» dans le processus de sélection des juges et proposé de nombreuses mesures pour le rendre moins perméable aux influences.