L’ambiance était bon enfant à leur retour, mercredi soir, mais la fatigue se ressentait alors qu’ils déchargeaient sacs à dos et sacs de couchage des autobus. « J’ai tellement l’impression de sentir mauvais ! » a lancé une jeune fille en sortant.
Il faut dire que l’expérience a été on ne peut plus immersive pour ces jeunes, qui sont partis tôt mardi matin pour se rendre à Québec et visiter divers organismes communautaires œuvrant auprès des personnes itinérantes, avant de devoir dormir tous ensemble, à même le sol, dans une salle prêtée par les ressources partenaires. Ils ne pouvaient pas avoir accès à leur cellulaire et devaient se débrouiller avec uniquement 10 $ pour se nourrir et s’occuper.
« Certains ont tout de suite eu peur de ne pas en avoir assez pour trois ou quatre repas, alors ils sont partis acheter du pain et du beurre de peanut, par sécurité, a mentionné l’une des enseignantes accompagnatrices, Catherine Bergeron. Ils ont vécu l’inconfort, la faim. Ça reconnecte à la réalité des gens de la rue. »
« Ils ne pouvaient pas fumer, ou bien ils devaient acheter leur paquet avec les 10 $, au risque qu’il ne reste rien pour la nourriture. Les priorités changent quand on n’a plus d’argent », a enchéri Julie Sauvageau, la deuxième enseignante accompagnatrice.
Cette expérience est inspirée du reportage Naufragés en ville et rythme le programme de techniques d’éducation spécialisée depuis maintenant huit ans. « On s’est inspirées de ce reportage parce que les éducateurs doivent être sensibilisés aux enjeux d’itinérance et de santé mentale. Ça réveille leur empathie et ça leur montre la réalité à laquelle ils seront confrontés dans leur travail », ajoute-t-elle.
Si l’immersion se fait à Québec, c’est parce que l’itinérance y est plus présente et qu’il y a davantage de ressources communautaires à faire découvrir aux étudiantes. Et parce que « vivre 36 heures dans sa propre ville, le choc est moins grand. On les sort de leur zone de confort », explique Catherine Bergeron.
Une expérience enrichissante
Même fatigués, les étudiants étaient unanimes : cette expérience a été belle et très enrichissante, même si chacun l’a vécue à sa manière. Ils ont pu ressentir le sentiment d’insécurité que peuvent vivre les personnes sans domicile fixe, et plus particulièrement les femmes, quand la noirceur arrive, expérimenter l’errance, l’attente et la vie en groupe, puis aller à la rencontre des itinérants, partager des moments avec eux, discuter de leur quotidien, etc.
« On a rencontré des itinérants, ils étaient vraiment accueillants et ils nous ont éduquées sur ce qu’ils vivaient dans le respect, sans nous juger. Ils savaient qui on était. On s’est senties tellement choyées de pouvoir partager avec eux sur leur vécu, de voir leur bienveillance. Ils se protègent entre eux. »
— Ève Depatie et Émy Levesque, étudiantes en techniques d'éducation spécialisée
Certains, comme Laëtitia Châteauneuf, trouvaient difficile de devoir s’orienter et trouver des endroits lumineux où se sentir en sécurité, alors que d’autres, comme Sararose Smith, avaient plus de mal avec le fait de devoir vivre en groupe.
« On était en petit groupe, et j’ai trouvé que le plus difficile, c’était d’endurer les gens, de se retenir et de ne pas créer de conflit malgré la fatigue, la faim et un peu de jalousie envers les autres », explique-t-elle, alors qu’elle n’a pas eu accès, comme d’autres groupes, à la Soupe populaire.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/BMDH2MPI3VGRHN4U6FZKRTBGYA.jpg)
Les enseignantes expliquent que plusieurs étudiants, lassés d’errer sans but et sans argent, se sont rendus à la ressource où ils devaient passer la nuit avant l’heure de rendez-vous prévue, fixée à 22 h, et insistaient pour rentrer.
« On les a laissés attendre pour coller encore plus au défi et à la réalité. Le mode survie était activé et plusieurs étaient irritables, mais ça permet aussi de mieux comprendre le comportement des sans-abri », indiquent Catherine Bergeron et Julie Sauvageau.
Une irritabilité qui peut s’expliquer par le manque d’hébergement. Si les étudiants savaient que leur place était assurée, ce n’est que très rarement le cas pour les personnes véritablement en situation d’itinérance, et certains organismes sont souvent obligés de piger pour savoir qui aura le droit à une chambre. Le manque d’hébergement est d’ailleurs ce qui pose le plus problème aux itinérants, selon le groupe.
« C’est lié au manque de ressources et de personnel, d’où l’importance de sensibiliser nos étudiants », d’ajouter les enseignantes.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/MLXDYG5CJJCKRGYYH72LTDGARQ.jpg)
Une chose est sûre : cette expérience restera longtemps gravée dans la mémoire de ces étudiants. Ils repartent tous avec l’envie d’aider et ils en auront tiré une bonne morale. « Il faut enlever les préjugés qu’on a envers les itinérants, il faut arrêter de tourner le regard quand on en voit un, parce que l’itinérance, c’est présent et ça va empirer. Il faut leur dire bonjour, un petit sourire. Ça va leur mettre du bonheur dans les yeux. Et surtout, il faut être reconnaissants de ce qu’on a », de conclure Anne-Marie Renaud.