Chez Produits forestiers Résolu (PFR), le plus gros joueur de l’industrie dans la forêt boréale québécoise, les forestiers analysent déjà la situation. Le président Rémy Lalonde n’attend que le feu vert du gouvernement du Québec pour lancer l’artillerie lourde.
«Nous avons été au rendez-vous pour la lutte contre les feux et supporter pour la sécurité des communautés. Il y a encore du travail à faire et nous sommes prêts également pour aller de l’avant avec la récolte lorsque la situation sera sécuritaire.»
PFR a obtenu, pour la journée de mardi, la permission de la SOPFEU pour procéder à un premier survol en hélicoptère de certains territoires afin de permettre aux ingénieurs forestiers d’avoir une idée plus précise de la situation pour les unités d’aménagement du Lac-Saint-Jean.
Le plan de vol prévoyait un passage à proximité du feu 379 situé à plus de 100 kilomètres à vol d’oiseau au nord de Saint-Félicien. Il s’agit d’un feu de 17 000 hectares, dont la tête s’étend sur plusieurs kilomètres et qui est toujours en activité en direction sud.
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Au terme de ce survol, les dirigeants de PFR estiment être en mesure d’intervenir rapidement dans au moins trois feux (La Doré, Notre-Dame-de-Lorette et le feu 370), le tout étant évidemment conditionnel à une analyse de terrain plus poussée.
«Nous sommes en train d’installer un camp. Il est à une douzaine de kilomètres du flanc est du feu. Il reste la cuisine à organiser, mais ça peut se faire très rapidement et nous pouvons atteindre le feu dans un délai très court. Dans la récolte du bois brûlé, l’accès à un réseau de chemins est le principal enjeu, tout comme il l’est pour la lutte sur le terrain», explique l’ingénieur forestier Charles-André Préfontaine, grand patron des opérations forestières de PFR dans la région, dans le système de communication de l’appareil.
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L’aéronef devait garder une distance sécuritaire du brasier imposée par la SOPFEU. Il a donc été impossible de vérifier l’état des arbres, mais il est assuré qu’il y a des tiges récupérables dans ces 17 000 hectares. C’est également ce qu’il a été possible de constater lors de survols de feux éteints un peu plus vers le sud (Notre-Dame-de-Lorette).
Produits forestiers Résolu n’a pas une très grande superficie de bois à récolter dans les zones de feu. Le ministère pourrait toutefois retirer les permis déjà accordés à l’entreprise pour l’obliger à procéder à la récolte du bois brûlé.
Les patrons de PFR sont formels, ils n’ont pas l’intention de se lancer dans un bras de fer avec le gouvernement pour éviter la récolte des feux. Ils souhaitent que l’on mette en place le plus vite possible une procédure administrative accélérée pour entrer dans les zones de bois brûlé et récupérer le maximum de tiges qui ont encore une valeur commerciale.
«On sait qu’il est obligatoire de consulter les Premières Nations et dans ce cas, c’est le territoire de Mashteuiatsh. Nous avons des relations avec la communauté et on a déjà pris les premiers contacts pour regarder la situation», reprend Charles-André Préfontaine.
Habituellement, une période de 60 jours de consultation publique a lieu avant l’émission des permis pour la récolte, selon les procédures de la Loi sur l’aménagement écosystémique des forêts du Québec. Les longicornes noirs n’ont pas cette contrainte et dans 60 jours, les larves de ces insectes, qui raffolent des grands arbres brûlés, vont déjà avoir causé des dommages sérieux aux tiges.
«On ne connaît pas beaucoup de consommateurs qui se présentent dans les quincailleries et qui veulent acheter du bois avec des trous», lance Hugues Simon, président de la division des produits du bois chez PFR, qui était également de la mission d’observation.
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Il voulait avoir une idée de ce qui devra être fait en urgence dans les prochains jours pour redéployer tout le parc d’équipement qui sera nécessaire pour procéder à la récolte. L’entreprise doit relancer la chaîne d’approvisionnement des scieries en billes de bois et la production de copeaux pour ses trois usines de papier et l’usine de pâte kraft de Saint-Félicien en copeaux, sans oublier les écorces utilisées pour la production d’électricité à sa papeterie de Dolbeau.
«On a une planification d’inventaire jusqu’en 2024. On ne manquera pas d’écorces ni de copeaux, mais ça va prendre une gestion serrée puisque nous sommes dans un système qui était en fragile équilibre avant le début des feux», ajoute Hugues Simon.
Il n’y a pas un forestier au monde qui rêve de se lancer dans une récolte de bois brûlé. Du conducteur de l’abatteuse au président de la compagnie, une telle campagne comporte son lot de difficultés alors que la rentabilité d’une telle entreprise est loin d’être évidente, surtout dans un marché où les prix du bois d’oeuvre ont fondu comme neige au soleil depuis la fin de la pandémie. Celui de la pâte kraft amorce quant à lui une baisse non négligeable. Le prix du bois est passé de 1200 $ US le 1000 PMP à plus ou moins 400 $ et même moins dans certains produits.
Lors de l’arrêt de l’hélicoptère dans le feu du nord de La Doré, Charles-André Préfontaine a illustré la difficulté qui attend les opérateurs d’abatteuse.
«On leur demande d’être plus attentifs, mais ils ne peuvent pas voir toutes les faces de l’arbre. On demande de façonner la tige de façon à enlever toute présence de carbone. C’est une plus grande concentration sur chaque tige», indique l’ingénieur.
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Charles-André Préfontaine a passé la tranche sur des arbres et sous l’écorce endommagée par les flammes. Il y avait déjà des traces du passage du feu dans la fibre de l’arbre.
Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts a déjà évalué à 20 % la baisse de productivité des opérations de récolte dans les feux. Ce qui ne tient pas compte de la perte de valeur des produits livrés après le sciage.
«Le gouvernement va accorder une réduction sur les droits de coupe, mais ce n’est pas assez pour compenser. On préférerait payer les droits de coupe et être en mesure de livrer des produits de première qualité. La récolte va coûter plus cher, mais c’est principalement la perte de qualité dans les produits que nous livrons qui constitue le principal coût», admet Hugues Simon.
L’objectif de PFR, qui est partagé par toutes les entreprises contactées par Le Quotidien dans les derniers jours, est de récolter tout le bois qui serait autrement perdu. Cette récolte évitera au gouvernement d’accorder des permis dans des zones de bois vert pour combler le manque à gagner aux garanties d’approvisionnement. C’est ainsi qu’il y aura un impact significatif sur la possibilité forestière disponible dans le futur.
Le survol devait également couvrir le feu historique de l’Abitibi. Les conditions de feu dans cette zone n’ont pas permis de survol dans ce secteur, selon l’ingénieur forestier Simon Beaudoin, l’entreprise s’attend à perdre des inventaires au sol, ainsi que des abatteuses, transporteurs et autres équipements lourds qu’il a été impossible de sortir du territoire en raison de l’intensité du feu.
La science des insectes et du feu
«Les insectes commencent à coloniser les arbres quelques heures ou quelques jours après le passage du feu, souligne Yan Boucher, professeur au département des sciences fondamentales à l’Université du Québec à Chicoutimi. Les longicornes noirs arrivent par centaine de millions d’individus pour venir pondre leurs œufs dans les troncs», ajoute l’expert des dynamiques forestières et des perturbations naturelles.
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Une fois écloses, les larves commencent à forer des trous pour se nourrir, faisant perdre de la valeur au bois. « Plus on attend et plus il y a de dégâts », note Yan Boucher.
Ce dernier se souvient d’avoir visité un parterre forestier deux semaines après un feu. « On entend les insectes grignoter les arbres et on peut apercevoir le bran de scie à ses pieds », dit-il.
Ces insectes deviennent à leur tour une manne pour différents oiseaux, dont le pic à dos noir qui raffole des larves de longicorne, soutient Jacques Ibarzabal, également professeur à l’UQAC et expert de la dynamique des populations d’oiseaux. « C’est une espèce opportuniste, qui n’a pas besoin du feu, mais qui sait en profiter », dit-il.
« Ça lui fait comme un énorme garde-manger rassemblé dans un petit secteur. »
L’ombre du caribou
Il est impossible de passer une journée avec des ingénieurs forestiers sans entendre parler du plan caribou que Québec doit annoncer. Charles-André Préfontaine ne fait pas exception à la règle. Le forestier est d’avis que l’on doit avoir une stratégie, tout comme son patron Rémy Lalonde.
«Avec ce que nous connaissons en ce moment et ce qui risque de se produire dans le futur, on comprend que ça prend une stratégie évolutive. Le feu ne fait pas la différence et quand bien même il y a une aire protégée, le feu va passer. On doit adapter la stratégie à cette nouvelle réalité», croit le patron de la foresterie chez PFR dans la région.
* Le Quotidien a participé au survol des zones de feu à l’invitation de la direction de Produits forestiers Résolu.